Le 13 octobre 1956 mourait Madeleine Daniélou. Le cinquantième anniversaire de sa mort est une occasion de découvrir cette grande figure du XXe siècle, mère de famille fondatrice d’une communauté apostolique,universitaire passionnée par la pensée de son temps et par l’éducation, apôtre brûlant d’amour pour Jésus-Christ (communauté saint François-Xavier). Extrait d’un article paru dans la revue Esprit et vie.
Madeleine Daniélou est née en 1880 dans une famille dont la lignée paternelle était militaire et la lignée maternelle universitaire. Le côté militaire était catholique et proche de la droite de ce temps ; le côté universitaire était agnostique et libéral. À l’âge où les petites filles vont à l’école primaire, elle suivit sa famille en Indochine (on disait alors ainsi) dont elle a rapporté des souvenirs qui ont enrichi sa jeune imagination. Quand elle fut en âge de songer à des études supérieures, le baccalauréat n’était pas ouvert aux jeunes filles. Celles-ci passaient le brevet supérieur sans latin qui n’ouvrait pas d’accès à l’université. Un concours d’entrée à l’École normale supérieure de Sèvres permettait le détour vers la Sorbonne ; seul, à Paris, le Cours Sévigné, privé et laïc y préparait. On ne peut lire sans étonnement l’état très masculin de l’enseignement il y a tout juste un siècle. C’est au Cours Sévigné que Madeleine a eu le choc spirituel qui a commandé tout le reste de sa vie. La directrice lui dit dès l’entrée : « Je sais, Mademoiselle, que vous êtes catholique ; or, ici, l’usage est de perdre la foi en trois mois. » Le climat intellectuel de l’époque était imprégné du positivisme d’Auguste Comte, du scientisme hérité de la génération de Taine et de Renan. Jacques Maritain, qui était à la Sorbonne dans les mêmes années, disait : « Notre cœur défaillait de faim et de soif de la vérité. » Très marquée par cette expérience, elle songea, dès son agrégation qui venait d’être ouverte aux jeunes filles, à fonder des écoles normales catholiques pour former des enseignantes. Elle rencontra et épousa un Breton, Charles Daniélou, qui voulait suivre une carrière politique dans la tendance libérale. Ils ont eu six enfants dont l’aîné fut le cardinal Jean Daniélou. Elle avait une très haute idée de l’éveil de l’intelligence et, dans sa première École normale libre, elle a tenu à ce que tous les professeurs soient agrégés, elle-même se réservant la pédagogie et une partie de la philosophie. Elle cherchait aussi une sorte de troisième voie entre l’enseignement laïc et les écoles catholiques telles qu’elles étaient alors et qui ne la satisfaisaient pas. Le collège Sainte-Marie de Neuilly est né de cette recherche. Parallèlement, elle pensait à une association de femmes consacrées qui seraient libres pour mettre toutes leurs forces au service de l’enseignement. Un jésuite qui fut un grand maître spirituel – c’était le P. de Grandmaison – l’aida dans cette tâche en mettant l’accent sur la docilité à Dieu. L’association fut mise sous le patronage de saint François-Xavier ; les premières professions furent prononcées en 1915. C’était la guerre. Elle était seule devant une mission à réorganiser en fonction des circonstances nouvelles. Son dernier enfant avait un mois. Son frère et un beau-frère furent tués dès les premiers combats. Son mari, dispensé, parce qu’il était parlementaire, a tenu à rejoindre le front comme simple soldat d’artillerie. Sainte-Marie de Neuilly continuait.
Après la guerre, ce fut l’accueil des réfugiés russes. La société très cultivée de ceux qui avaient fui la révolution trouvait à Sainte-Marie un lieu d’échanges intellectuels à sa mesure. Et du même coup, parce qu’ils étaient orthodoxes, une page nouvelle de l’œcuménisme s’ouvrait là. Il fallut essaimer en plusieurs établissements, avec de lourdes difficultés financières, car l’alliance politique à gauche de Charles Daniélou avait privé l’association de plusieurs soutiens nécessaires. C’est à ce moment-là aussi que Madeleine Daniélou fonda plusieurs écoles primaires dans la banlieue qui était alors religieusement et intellectuellement abandonnée. Ce furent les écoles Charles Péguy qui étaient gratuites comme les écoles publiques, et où on n’enseignait pas le catéchisme, à la différence des autres écoles catholiques. Elle pensait qu’un humanisme chrétien devait naître d’une bonne formation de l’intelligence – un mot qui revient souvent sous sa plume. Elle attachait beaucoup d’importance à une évangélisation de la culture, mais pas dans la médiocrité. Ses lectures allaient directement à des hommes qui n’étaient pas encore totalement reconnus, mais qui furent parmi les plus grands du siècle, Valéry, Claudel, Péguy. C’est elle qui a mis la dernière main à l’ouvrage monumental du P. de Grandmaison sur le Christ. Robert Garric, Emmanuel Mounier, le P. de Montcheuil ont enseigné à Sainte-Marie.
Elle avait exprimée dans un petit livre, intitulé Action et inspiration , les grandes lignes de sa pensée sur l’éducation qui a suscité un éloge de Bergson qui pourtant n’était pas prodigue de témoignages d’admiration. Elle insistait beaucoup sur la diversité des enfants, sur le respect de leur rythme et, en même temps, sur une haute exigence intellectuelle qui n’est pas avidité de résultat mais formation de l’esprit. (…)Jusque peu avant sa mort, elle continua de lire, de publier des articles, de faire connaître les auteurs religieux qui ont marqué l’immédiat après-guerre.