Jacques et Raïssa Maritain incarnent un couple phare de la vie intellectuelle et spirituelle française de la première moitié du XXème siècle.
Jacques et Raïssa Maritain incarnent un couple phare de la vie intellectuelle et spirituelle française de la première moitié du XXème siècle.
Élèves de Bergson, filleuls de Léon Bloy, amis d’Ernest Psichari, de Jean Cocteau, dont nous fêtons en ce moment le 40ème anniversaire de sa mort, de Charles Péguy et de nombreuses autres figures illustres, Jacques et Raïssa ont traversé les apparences de leur époque marquée par les deux guerres et le positivisme ambiant, pour se consacrer à la recherche de la vérité.
Leur témoignage demeure prophétique aujourd’hui. A trop de chrétiens qui rêvent d’une piété dispensée du travail de l’intelligence, Jacques et Raïssa enseignent qu’il faut que « l’Amour procède de la vérité et que la connaissance fructifie en Amour ». Aux apôtres impatients tentés par des stratégies d’évangélisation massive, ils rappellent que chaque âme est unique dans son mystère irréductible. Seule l’amitié spirituelle peut réconcilier l’appel de la charité et celui de la vérité.
Ce couple à la vocation sponsale particulière vous invite aujourd’hui à partager leurs grandes amitiés et leur chemin de sainteté.
Jacques et Raïssa : deux êtres assoiffés de vérité
Jacques Maritain voit le jour à Paris le 18 novembre 1882. Petit fils de Jules Favre, l’un des pères fondateurs de la IIIème République, Jacques grandit à l’ombre du grand homme dans une atmosphère protestante et bourgeoise qui lui devient vite irrespirable.
Le 31 Août 1883 naît Raïssa Oumançoff dans les confins de la Russie. Dix ans plus tard, la famille Oumançoff est contrainte de quitter la Russie pour la France afin de pouvoir donner à leurs filles une éducation correcte. Raïssa est une élève douée, baignée dans un climat familial favorable à son épanouissement intellectuel. C’est un esprit avide de connaissance et de découverte.
Jacques et Raïssa font connaissance à Paris alors qu’ils sont tous les deux étudiants à la Sorbonne. Ils n’ont pas alors 20 ans. S’ils se découvrent bien différents dans leurs origines respectives, ils se révèlent l’un à l’autre semblables dans leurs aspirations et dans leur recherche de la vérité quils ne trouvent dans aucun système philosophique enseigné. Le désespoir les guette jusqu’au jour où, par l’intermédiaire de Charles Péguy, ils découvrent le cours de Bergson. Jacques et Raïssa trouvent en effet chez Bergson les réponses philosophiques, “décisives et inoubliables”, à une angoisse existentielle qui a remis en cause jusqu’à leur désir de vivre.
Puis, c’est la lecture d’un roman de Léon Bloy, La femme pauvre, qui les bouleverse en les mettant en présence de réalités tout à fait nouvelles pour eux : la foi et la pauvreté. “On n’entre pas au Paradis demain, ou dans dix ans, on y entre aujourd’hui, quand on est pauvre et crucifié”. La sainteté aussi : “Il n’y a qu’une tristesse, c’est de n’être pas des saints”. De cette lecture naît le désir de rencontrer l’auteur qui devient l’un de leurs plus chers amis et les accompagne sur le chemin de leur conversion. C’est ainsi que le 11 juin 1906, en la fête de Saint Barnabé, Jacques, Raïssa et sa sur Véra sont baptisés en l’église Saint-Jean l’évangéliste à Montmartre. Raïssa écrit dans Les grandes amitiés : ” Une paix immense descendit en nous, portant en elle les trésors de la foi. Il n’y avait plus de questions, plus d’angoisse, plus d’épreuves, il n’y avait plus que l’infinie réponse de Dieu. L’Église tenait ses promesses, et c’est elle la première que nous avons aimée. C’est par elle que nous avons connu le Christ.”
Aussitôt après leur baptême, Jacques et Raïssa reçoivent de l’Église la bénédiction de leur mariage. Jacques réussit brillamment son agrégation de philosophie.
Commence pour eux une vie de prière et de contemplation dans le monde qui s’achève pour Raïssa le 4 novembre 1960 , à la suite d’une longue maladie et pour Jacques le 28 avril 1974 , chez les petits frères de Jésus de Toulouse où il s’était retiré. Ils reposent tous les deux à Kolbsheim.
Ils nous laissent une oeuvre tout imprégnée de Saint Thomas et nourrie d’une profonde expérience de l’oraison.
Jacques et l’ange de l’école
Jacques, Raïssa et Véra commencent à mener une vie communautaire.
C’est à cette époque que le Père Clérissac, leurs père spirituel, leurs fait découvrir la Somme Théologique de Saint Thomas d’Aquin. Raïssa est “inondée de joie et d’amour”. Elle compose des cantiques, prières sorties spontanément de son cur et les met en musique. Jacques aimait encore les chanter durant les dernières années de sa vie. Quant à Jacques, la découverte de Saint Thomas est une grande révélation qui détermine le chemin de sa pensée “J’éprouvais alors comme une illumination de la raison : ma vocation philosophique m’était rendue en plénitude”.
C’est ainsi qu’il passe toute sa vie à chercher Dieu dans Saint Thomas qu’il revisite profondément et fait redécouvrir à son époque à travers ses ouvrages comme Le Docteur angélique, Humanisme intégral. On peut citer également le Court traité de l’existence et de l’existant publié en 1947 quand la France vit de l’existentialisme de Sartre et de Camus. Maritain oppose ici à l’existentialisme du néant et de l’angoisse, condamné à se dévorer lui même, celui qui, “impliquant et sauvant les essences ou natures” manifeste “une suprême victoire de l’intelligence et de l’intelligibilité”.
Sa carrière de philosophe prend fin avec l’édition de son ouvrage culminant, fruit de toute une vie de recherche philosophique à l’école de Saint Thomas : La philosophie morale.
Quand Raïssa meurt en 1960, Jacques décide rapidement de la suite de sa vie en rejoignant les petits frères de Jésus à Toulouse. Le vieil homme n’aspire plus qu’à suivre la voie contemplative engagée très tôt par Raïssa et Véra. “Il prie longuement. On peut le voir le soir au fond de la chapelle de la Fraternité, à genoux dans un coin, prosterné à même le sol, tache sombre éclairée par la lampe à huile du sanctuaire. Il travaille aussi avec le même acharnement dont il a fait preuve toute sa vie, mais avec grande difficulté car il est fatigué, son cur est malade” raconte un des Petits Frères.
A cette époque, il prend connaissance du journal intime de Raïssa. Ces quatre carnets de 1906 à 1925, son journal de 1931 et quelques autres lettres constituent l’intégralité des uvres de Raïssa que Jacques s’appliquera à publier.
Jacques voit et affirme clairement, l’importance pour notre temps de cette vie d’oraison et d’union à Dieu, de cette contemplation dans le monde. Et cela non seulement par de nouvelles familles religieuses, mais aussi par tous ceux qui mènent une vie laïque ordinaire, avec tout ce qui fait la vie des hommes et des femmes de notre époque : la travail, l’agitation, les risques et les engagements temporels. Jacques pense que ces personnes sont moins rares qu’on ne croit et qu’elles seraient plus nombreuses si on ne les en détournait pas, soit parce qu’on les en suppose incapables, soit parce qu’on tient pour plus urgent d’engager tous les laïcs de bonne volonté dans l’action et l’efficacité.
Raïssa l’orante et la poétesse
“Dieu, mon dieu, je me tiens devant Toi”
En 1922, Raïssa entreprend la rédaction du “Directoire”, qui deviendra De la vie d’oraison. “L’intelligence elle même ne peut développer ses plus hautes virtualités que si elle est protégée et fortifiée par la paix que donne l’oraison. Plus une âme s’approche de Dieu par l’amour, plus simple devient le regard de l’intelligence et plus lumineuse sa vision… L’oraison seule nous permet, en rectifiant surnaturellement nos facultés de désir, de faire passer la vérité dans la pratique.”
Dans son journal, elle note : “Je veux que le prochain ait un abri dans mon cur, comme je veux moi même trouver un abri dans le cur compatissant de Jésus”.« Mon Jésus est tellement mon Dieu que je ne puis avoir d’autre Dieu que lui. Je l’ai vraiment choisi dès ma jeunesse. Il est ma vie dès maintenant.«
Raïssa a également tout dit de sa prière et de sa vie pour Dieu, dans ses poèmes, car elle eut le rare privilège de pouvoir exprimer son expérience mystique dans une intuition poétique, limpide et pure. ” En moi les poèmes ne se font pas au sein d’une rumeur continue de l’imagination, mais au sein du silence le plus dépouillé quand il atteint un degré suffisant de profondeur et de pureté…”
« Quel doux réveil pour l’âme purifiée
Quel clair matin et de quelle journée
En vos parvis tranquille Trinité
Sera chanté au Roi d’humilité
Un chant d’amour durant l’éternité ».
Extrait de Chant royal in La vie donnée, Poèmes et essais
Pour aller plus loin
uvres complètes de Jacques et Raïssa Maritain, Éditions universitaires Fribourg Suisse, Éditions Saint-Paul Paris, 1993, XVI volumes.
Inclus Le Journal de Raïssa, Les Grandes Amitiés de Raïssa Maritain, publié également chez DDB.
BARRÉ, Jean-Luc, Jacques et Raïssa Maritain. Les Mendiants du Ciel. Paris, Stock, 1996