Cette prière de foi reprise du Centurion pour la guérison de son enfant (voir Mt 8,8) a mis Jésus dans l’admiration. Elle peut me rejoindre et me faire découvrir un possible itinéraire de bonheur dans l’adversité et la souffrance.
Je sors du service de Réanimation Médecine dans lequel je travaille, dans l’accompagnement des personnes malades, « regonflée à bloc » ! Pendant un bon moment, je savoure ce bonheur que je me rappelle avoir éprouvé aussi lorsque j’intervenais dans une Unité de Soins Palliatifs. Être là, en ce lieu de vie et de mort, auprès de tant de personnes vivant dans la détresse, la peur et la douleur de la proche séparation d’avec l’être aimé, dans l’impuissance devant l’inéluctable, et m’en trouver bien, plus encore, stimulée et dynamisée ! Comment est-ce possible ? Que se passe-t-il donc ? D’où peut venir ce bonheur au milieu du malheur?
Il y a de quoi se poser des questions : est-ce du sadisme au point de se nourrir de la détresse des autres ? Non, je ne peux pas croire que le malheur d’autrui puisse être source d’une telle joie profonde ! Il y a quelque chose qu’il me faille comprendre, quelque chose d’une réalité cachée.
C’est en Romain 8 que la Parole de Dieu m’apporte quelques éléments de réponse :
« J’estime en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportions avec la gloire qui doit être révélée en nous
Car toute la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu
elle garde l’espérance pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu
Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement.
Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps.
Car notre salut est objet d’espérance; et voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer : ce qu’on voit, comment pourrait-on l’espérer encore?
Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c’est l’attendre avec constance. »
Le gémissement de la création.
Ce lieu et ce temps qui nous rapprochent de la mort, nous mettent au cur d’un mystère de Vie. Nous sommes là, chacun, en vérité : nous ne biaisons plus avec la réalité, avec l’essentiel de ce qui nous constitue. Nous n’avons plus qu’à être ce que nous sommes. Être qui nous est donné, un ’courage d’être ’. Il n’y a pas à s’inquiéter de faire ou dire. Avec ce frère dans la souffrance ou parfois au seuil de la Vie éternelle, nous sommes sollicités au meilleur de nous-même, au-delà de tout personnage composé. Dans cette situation d’impuissance où nous nous trouvons, ensemble, bien que de façon différente, un lien profond de fraternité s’établit. Toute la capacité d’amour qui nous habite peut se déployer comme si elle ne pouvait résister à une force d’attraction produite par cette situation d’impuissance et de vérité. J’aime ce lieu de vérité, il s’agit d’un impératif de l’amour dans une présence simple qui autorise à poser un geste fraternel, parfois de tendresse, quand c’est possible et d’oser une parole, ou aussi et bien souvent, un silence puisse-t-il être de communion ! Voilà, je crois ce qui peut être un lieu de création, de travail d’enfantement à la vie dans l’espérance de la gloire où l’humanité entre dans le travail d’enfantement au divin.
Pareillement l’Esprit vient au secours de notre faiblesse; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables
Et nous savons qu’avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein.
Car ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères; et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés; ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés.
Que dire après cela? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Lui qui n’a pas épargné son propre Fils mais l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur?
Quand humanité et divinité se rejoignent
En effet, Dieu ne veut que notre joie et notre bonheur. Il connaît bien notre réalité humaine qui, très souvent, se heurte au mal, à la souffrance, à toutes formes de détresse. Par amour pour nous, il a accepté de nous accompagner jusque là, jusque dans notre angoisse de la mort, mais aussi au cur de cette mort pour que nous vivions avec lui. Tout le ministère de Jésus Christ en témoigne : c’est bien auprès de personnes pauvres, exclues, souffrantes qu’il est attiré et présent ; plus encore, où Jésus nous dit-il mieux son amour pour nous que lorsqu’il est pendu au bois de la croix, fidèle à sa condition humaine ? Dieu nous fait la délicatesse de nous rejoindre en ce lieu commun à tout homme : le lieu de la souffrance et de la mort. « l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables
»
Dieu ne fait pas autre chose que de nous accompagner au cur de nos détresses, que d’être là et de déployer toute sa capacité d’amour en ce lieu même où se joue la mort et la vie. Lorsque nous pouvons nous tenir en ce lieu, nous faisons comme Dieu. Nous agissons comme lui à moins que ce soit lui-même qui soit en train d’agir en nous, à travers nous. « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (cf. Ga 2, 20). Divinité et humanité ne font plus qu’un lorsque nous nous situons au plus vrai de notre humanité.
C’est à partir de cette expérience là, que je crois possible d’entrer dans ce chemin d’espérance qui me donne d’accueillir chaque jour, dans ce qu’il offre de nouveau”, avec son lot de souffrance, et croire au-delà de tout ce qui me dépasse que rien n’empêchera le Christ de ressusciter.
Alors je peux entrer dans ce cur de gémissements polyphonique pour avancer dans ce chemin de liberté et dans la gloire des enfants Dieu, opérée par l’Esprit Saint et en comprendre la joie qui vient me surprendre.
“Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans toutes nos afflictions, afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque affliction que ce soit.” (2 Co 1, 3)
Donne-nous, Seigneur de savoir reconnaître ta présence au cur de nos détresses, de notre impuissance et de notre vulnérabilité, pour qu’à notre tour, nous sachions être présents auprès de tous ceux que nous rencontrons dans nos lieux de travail au service de l’homme atteint dans tout son être. Donne-nous la grâce d’être tellement homme et femme que notre humanité communie à l’humanité même du Christ et en devienne divine. Je te le demande, à Toi, “Dieu le Père, dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir par Jésus-Christ, notre Seigneur et notre frère et dans l’Esprit qui nous anime aujourd’hui et pour les siècles des siècles.” Amen (cf. Ep3, 20-21).