En 1866, dans le couvent où Bernadette Soubirous vient de prendre l’habit des religieuses de la charité de Nevers, on surprend un jour la jeune novice en train de réciter le chapelet, agenouillée devant une statue de Saint Joseph !
– Vous avez une distraction, lui dit une sœur !
– La Sainte Vierge et Saint Joseph sont parfaitement d’accord, et au ciel, il n’y a pas de jalousie ! répond Bernadette.
Il y a donc une place pour Saint Joseph dans la vie intérieure de Bernadette. Laquelle ?
François Soubirous, le père de Bernadette, meurt le 4 mars 1871 et nous savons l’importance qu’il avait pour sa fille. Il était, dira Bernadette, « celui que j’avais de plus cher au monde ». C’est à ce moment que Bernadette réalise que Saint Joseph est en quelque sorte devenu son père spirituel. Elle en fera confidence au mois d’août 1872. Elle est à l’infirmerie et elle dit à celles qui se trouvent là :
– Soyez bien sages, je vais faire une visite à mon père…
– Votre père ?
– Vous ne savez donc pas que, maintenant, mon père, c’est Joseph ?
Désormais, dira Bernadette, « Joseph est mon père et le patron de la bonne mort ». Elle retrouve en Joseph son père de la Terre qui n’est plus avec elle. Au lieu de sentir son père s’évanouir dans le passé, Bernadette le retrouve en Joseph, et le lien qu’elle établit entre père et patron de la bonne mort est significatif. Un père aide son enfant à assumer la mort indispensable à la vie. Je remarque ici que Bernadette ne dit pas d’ailleurs que Joseph est son père spirituel, elle dit tout simplement père. Et elle dit que ce père lui est apparu à un moment de sa propre vie, « maintenant et jusqu’à l’heure de la mort. »
Joseph ne pourrait-il pas devenir pour nous un véritable père comme il l’est devenu pour Bernadette ? Il faut avouer que souvent Joseph demeure une référence lointaine pour nous ; or, il est cet homme juste que Dieu a choisi pour éclairer les temps qui sont les derniers, c’est-à-dire ces temps où le fils de Dieu est venu parmi nous. Les papes nous ont exhortés à invoquer saint Joseph comme le saint protecteur et le patron de l’Eglise universelle. Il exerce dans la vie des saints et des saintes une effective et sensible paternité. Je remarque aussi combien les jeunes communautés retrouvent comme par instinct l’intuition des plus anciennes, en se confiant régulièrement au rayonnement et à l’intercession du père de la Sainte Famille. La paternité de Joseph aujourd’hui continue celle qu’il reçut de Dieu auprès de Jésus et au côté de Marie. Joseph a pris chez lui Marie, son épouse, pour être pleinement le père adoptif du Seigneur Jésus.
Tournons-nous vers Joseph pour mieux comprendre le service de la paternité tel qu’il l’a exercé et qu’il continue d’exercer aujourd’hui comme époux de la Vierge Marie de laquelle est né Jésus. Joseph éclaire pour nous aujourd’hui le sens de la paternité.
Joseph et Marie nous font signe pour nous entraîner, dans le pèlerinage de la Foi, à faire ce qui nous a été demandé de la part de Dieu.
Dès que nous réfléchissons à la paternité, en Occident, nous sommes sensibles aux « blessures » qui ont été celles de peuples européens trompés dans leur confiance envers un chef. Qu’il s’agisse d’Hitler ou de Staline, la perversion du pouvoir a pour longtemps abîmé en profondeur la relation confiante d’une nation envers son chef. Ceci a une conséquence sur la méfiance qui s’est installée à l’endroit du courage d’être père et aussi dans celui de recevoir la paternité comme un don qui fait grandir.
Joseph a véritablement exercé une paternité pour l’enfant qui a été engendré en son épouse. Aucun être humain ne peut être père et mère sans se recevoir fondamentalement comme fils et fille. Je ne serais jamais père si je ne me reconnais pas fils. En exerçant la paternité et la maternité, l’homme et la femme qui eux-mêmes sont fils et fille donnent le meilleur d’eux-mêmes. Qu’il suffise à chacun de penser à la paternité ou à la maternité qu’il a reçu comme un service à accomplir. C’est le lieu où le meilleur de nous même est sollicité. Devant un enfant et un jeune confié à nos soins, l’égoïsme et l’orgueil fondent comme neige au soleil, et c’est l’humble service d’un petit d’homme qui est sollicité de notre part. Donc, nous faisons cette expérience, comme père, comme mère, de donner le meilleur de nous-même à nos enfants. Il faut dire aussi quelque chose de très simple : nous donnons non seulement le meilleur de nous-même, mais nous donnons mieux et plus que nous-même. Comme si une bonté cachée, inconnue jusqu’alors, se révélait dans l’exercice de la paternité. L’évangile le dit très bien : « vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants. » Nous donnons ce que nous n’avons pas en nous-même à l’état naturel… Et le Seigneur ajoute : « Combien plus alors votre Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui lui en font la demande ? » Nous devons là encore partir de la révélation du Père par le Fils, la révélation du visage du Père bouleversant de miséricorde que Jésus fait voir entièrement en lui-même. Ce n’est pas Dieu qui est à l’image de nos parents, mais, s’ils le comprennent bien, nos parents qui reçoivent de Dieu un service à accomplir.
Saint Joseph a été appelé par Dieu à servir directement la personne et la mission de Jésus en exerçant la paternité. En ce sens, on peut dire que Saint Joseph est serviteur du salut. La liturgie de la fête de Saint Joseph le dit bien : « à saint Joseph a été confiée la garde des mystères du salut à l’aube des temps nouveaux… il fut le serviteur fidèle et prudent, à qui Dieu confia la sainte Famille pour qu’il veille comme un père sur son Fils unique ». Joseph a appris à exercer ce service en prenant Marie, son épouse, chez lui. C’est Marie, qui la première, a appris à Jésus à dire « père, abba, papa ». Elle le lui a appris pour qu’il s’adresse à Joseph. Le Fils éternel a dit « père » à Joseph et il s’en est réjoui… il a choisi librement de « descendre à Nazareth… » et d’y demeurer longuement. Il a été heureux d’entendre Marie lui dire pour elle-même et pour Joseph : « vois ton père et moi te cherchions, angoissés ». Comment ne pas méditer ici sur la confidence unique qui nous est faite sur les nombreuses années de Jésus à Nazareth concernant la conscience personnelle que Jésus a eue de son identité et de sa mission : « Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ? » Et là où nous aurions attendu qu’il quitte son père de la Terre, bien au contraire, Jésus est resté de longues années à Nazareth soumis à Joseph et à Marie, grandissant en sagesse et en intelligence devant Dieu et devant les hommes.
+ Benoît RIVIERE