Revenir à la Parole de Dieu. Tel a été le thème de la rencontre d’évêques du monde entier à Rome du 5 au 26 octobre 2008. Nous vous proposons, par différentes portes d’entrées, d’approfondir ce thème essentiel à toute vie chrétienne.
Le chrétien homme de la Parole
La conversion de S.Augustin a été déterminée par cet appel de l’Ecriture : “Prends et lis”.
On a parfois simplifié la distinction entre catholiques et protestants de cette façon. Les premiers sont des hommes de l’Eucharistie, des sacrements et de l’Eglise, les seconds les hommes de la foi et de l’Ecriture. Aujourd’hui il faut dire que beaucoup d’églises protestantes redécouvrent l’importance de l’Eucharistie et de sa célébration plus fréquente, tandis que beaucoup de catholiques ont vraiment fait un retour à l’Ecriture, à la Parole de Dieu lue, écoutée et partagée le plus fréquemment possible.
C’est le concile de Vatican II qui a consolidé cet élan initié par le renouveau des études bibliques du vingtième siècle : l’école biblique de Jérusalem en est un signe bien visible, mais pas le seul. Cela s’est marqué par le développement de la liturgie de la Parole dans nos célébrations : cycle des trois années, traduction pour la liturgie, traduction œcuménique, lectionnaires développés pour les sacrements… « Prions en Eglise » et « Magnificat », depuis les années 80, ont encore facilité l’accès à la Bible, avec cependant l’inconvénient de ne pas vraiment renvoyer, malgré les efforts dans les introductions et rubriques régulières d’initiation, au livre même de la Bible.
Dans sa lettre apostolique « au début du nouveau millénaire », le Pape a noté ce grand renouveau et voulu le soutenir encore : « il est nécessaire que l’écoute de la Parole devienne une rencontre vitale, selon l’antique et toujours actuelle tradition de la lectio divina permettant de puiser dans le texte biblique la parole vivante qui interpelle, qui oriente et qui façonne l’existence. Nous nourrir de la Parole, pour que nous soyons des serviteurs de la Parole dans notre mission d’évangélisation, c’est assurément une priorité pour l’Eglise du début du nouveau millénaire. » (n°39 et 40)
Il nous est donc recommandé de devenir un familier de l’Ecriture. Fréquenter la Bible peut devenir assurément une grande joie. Peut-être la voyons nous surtout comme un guide de bonne conduite, de repérage dans l’existence compliquée, un livre de sagesse… et nous regrettons parfois de la connaître mal. Je vous y engage à découvrir qu’elle est le lieu d’une familiarité avec Jésus : apprendre à le connaître, à l’aimer davantage, en le regardant vivre dans les livres des évangiles, en discernant sa présence dans toute la Bible. Comprendre également dans la Bible la fidélité de Dieu toujours présent dans la vie des hommes, et ainsi soutenir notre propre fidélité en réponse à la sienne.
Voici quelques suggestions pour lire la Bible :
– lire un évangile à la suite ;
– lire avec régularité, même quotidiennement, des passages choisis (ceux de la liturgie du jour) : retenir et méditer une parole qui m’a touché, se la rappeler plusieurs fois au cours de la journée ;
– se laisser toucher par tel psaume et le relire, et découvrir les psaumes ainsi progressivement ;
– à propos des psaumes, se demander : comment Jésus pouvait-il comprendre ce psaume, le dire pour lui-même ? comment a-t-il une signification aujourd’hui pour moi ou pour d’autres personnes ?
– lire un évangile à la suite avec un « fil rouge » : c’est-à-dire en se rendant attentif à un aspect dans tout le texte : les lieux, ou les personnages (les malades, ou les femmes, ou les disciples), ou un personnage (Pierre…), ou un thème (la maladie, ou l’argent…) ;
– quand on est réuni, suggérer la lecture d’un passage de l’Écriture…
Le chrétien homme des signes
Faites ceci en mémoire de moi.
Le premier témoignage du Nouveau Testament au sujet de l’Eucharistie se trouve dans la 1ère lettre de S.Paul aux Corinthiens : « chaque fois que vous mangez ce pain et buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne ». (11,26) Ainsi donc, dans le tout début de l’Eglise, célébrer l’Eucharistie est perçu comme un signe donné, un témoignage concret de l’espérance chrétienne (« jusqu’à ce qu’il vienne »). Ce n’est donc pas d’abord une obligation liée à l’appartenance à l’Eglise ; ce n’est pas le test d’un conformisme ; ce n’est même pas le besoin d’une nourriture spirituelle, et encore moins le résultat d’une envie personnelle… qui sont, elles, des justifications modernes.
Plus encore qu’un témoignage de foi, c’est un témoignage d’espérance : si tu veux montrer combien Dieu est fidèle, combien tu crois qu’il sera toujours là, et que son amour sauvera le monde entier, alors tu vas écouter la Parole de Dieu, et rompre le pain de l’Eucharistie.
L’un des premiers écrivains chrétiens, Justin l’apologiste, au milieu du 2è siècle, raconte ce que font les chrétiens le dimanche, jour du soleil (jour de la création et jour de la résurrection) et il commente : «nul ne peut y participer s’il ne confesse la vérité de notre doctrine (Je crois en Dieu), s’il n’a reçu le bain de la rémission des péchés et la régénération (baptême), et s’il ne vit selon les préceptes du Christ (vie quotidienne). » (1ère apologie, 66 et 67) Etre un chrétien fidèle, c’est donc non seulement suivre le Christ sur le chemin de la vie morale, mais c’est aussi énoncer la foi, et être participant aux signes du baptême et de l’Eucharistie.
Déjà la lettre aux Hébreux disait : « ne désertons pas nos assemblées, comme certains ont pris l’habitude de le faire, mais au contraire encourageons-nous mutuellement d’autant plus que vous voyez s’approcher le Jour du Seigneur ». (Heb 10,25)
Il ne s’agit pas simplement d’aller à la messe, mais d’être fidèles aux signes qui désignent et renforcent la foi et l’espérance chrétiennes(…et aussi la charité, j’y viens). Ce sont les sacrements : tous les sacrements, que nous soyons en train de les recevoir pour nous mêmes, ou que nous participions à une célébration où d’autres les reçoivent.
Il s’agit de suivre la célébration de ce que nous appelons les « mystères du Seigneur » : de Noël au dimanche du Christ Roi de l’univers, Epiphanie, Baptême de Jésus, Tentations au désert, Semaine Sainte, Pâques, Ascension, Pentecôte, temps ordinaire de l’Eglise, Toussaint.
Il s’agit enfin de vivre personnellement dans la prière : personnelle et quotidienne, commune et partagée avec les autres. Cela aussi est un signe.
Le chrétien homme du don
Heureux les hommes dont tu es la force, des chemins s’ouvrent dans leurs cœurs, quand ils traversent la vallée de la soif, ils la changent en source. (psaume 83)
Traversés que nous sommes par le don de Dieu qui se livre mystérieusement aux hommes et se révèle intimement dans les signes de la Parole et de la vie sacramentelle, les chrétiens deviennent, bien imparfaitement il est vrai mais ils se savent appelés à cela, des hommes du don, du partage. Devenir hommes du don, ce n’est pas réservé aux chrétiens évidemment. Mais pour eux, cela s’enracine clairement dans le don de Dieu qu’ils apprennent à connaître au jour le jour.
Je ne retiens que deux caractéristiques de ce don qui est signe de vie chrétienne :
– C’est un engagement simple et surtout généreux, sans calcul, spontané –je ne veux cependant pas dire naïf : on n’est pas obligé de se faire « rouler », il n’est pas nécessaire de fournir aux autres l’occasion d’être fourbes et profiteurs !
– C’est un engagement qui associe le proche et le lointain. Ne parler que de l’étranger « là-bas », c’est risquer de rêver une fausse générosité ; et ne s’occuper que du prochain tout proche, c’est risquer l’égoïsme du clan !
Le mot d’ordre de la mondialisation à visage humain, c’est : « think global, act local », et je le trouve juste ; j’aime bien aussi renverser la formule et j’y ajoute qu’il y a aussi des personnes dont la responsabilité est d’agir au niveau global (act global) et à nous il n’est pas interdit de réfléchir à ce que nous faisons localement (think local) !