Nous voici enfin ensemble !
Vous êtes venus ici entendre parler du Christ, celui que l’on appelle Emmanuel, Dieu avec nous Nous allons le chanter tout au long de ces jours Mais j’aimerais tellement que vous le chantiez tous les jours de votre vie.
Car je ne suis pas venu vous enseigner comme un professeur, pour vous donner un savoir intellectuel. Je suis venu partager avec vous ma foi, mon expérience, ma rencontre avec le Christ. Et je tremble comme un amoureux tremble lorsqu’il présente sa bien-aimée : c’est tellement difficile de faire comprendre pourquoi on aime quelqu’un !
Essayons !
* VOIR ET ENTENDRE
Pourquoi êtes-vous venus aux JMJ ? Pour faire le point sur votre vie ? Pour faire une grande fête ? Pour rencontrer des personnes du monde entier ? Pour rencontrer le Pape ? Pour découvrir l’Église ?
Peut-être êtes-vous venus aussi pour d’autres raisons plus ambiguës : parce que votre grand-mère vous a offert le voyage, parce que votre ami vous a entraîné… que sais-je ? D’ailleurs le savez-vous vous-mêmes ?
Pour moi, je suis venu à Rome parce que je suis persuadé que le Christ est la porte du bonheur et je suis donc venu faire un pèlerinage jubilaire. Dois-je vous avouer que, depuis deux jours, j’ai eu des distractions ? En traversant les forums impériaux, les termes de Caracella ou en regardant le temple de Saturne, j’ai revu en esprit toutes les ruines humaines qu’il m’a été donné de voir depuis dix ans au Cambodge, à Timor, en Somalie, en Bosnie… Tout ce qui est humain passe, se détruit ou est détruit : la haine ou simplement le temps cassant tout.
Je pense au génie, aux ambitions, aux générosités, aux amours de ceux qui ont construit : Qu’en reste-t-il ? Quelques pierres qui résistent encore quelques instants à la végétation toujours renaissante !
C’est dans ce processus lent ou accéléré de la mort à l’ouvrage que j’entends le cri qui résonne au coeur de l’ancien Testament : Un enfant nous est né, un fils nous a été donné. C’est cet enfant qui s’appelle Emmanuel.
Etrange histoire ! Jérusalem est assiégée. Les ennemis l’entourent ! Le roi, Achaz, s’affole : lui, le représentant actuel de la dynastie de David à qui a été faite la promesse de donner jour au Messie, vient, très probablement dans l’affolement, de sacrifier son fils, ce chaînon indispensable pour que la promesse de Dieu s’accomplisse. C’est ainsi que l’on faisait dans les peuplades autour d’Israël et de Juda. Et c’est là, rentrant de l’endroit du sacrifice, qu’il rencontre Isaïe et qu’Isaïe renouvelle la promesse de Dieu : un enfant te sera donné. La jeune fille va enfanter.
Lorsque l’on y réfléchit, il n’y a que deux moyens humains de lutter contre la mort : l’action et la naissance. Achaz pense que l’action est impossible. Il se résigne à la mort. Et Dieu lui envoie le signe de la naissance inattendue, inespérée.
Les anciens, les grecs ne connaissaient pas l’espérance. Tout l’Ancien Testament est une école de l’Espérance. Et la naissance du fils d’Achaz nous apprend que cette espérance se fonde en Dieu. Elle est signe de la naissance toujours possible de Dieu dans les curs. La vie est un cadeau de Dieu, au delà de toutes les destructions humaines.
* ENTRER DANS LE SILENCE AVEC MARIE
Nous voici quelques siècles plus tard : Jésus est né. Dans le silence Marie médite. Elle est le meilleur du peuple juif Elle est de ces pauvres qui à travers les vicissitudes de l’histoire ont fait confiance.
Marie est la première dans l’histoire à vivre la foi chrétienne. Certes c’est une fille de la confiance d’Abraham. Mais, elle, elle croit en Dieu tel qu’il est, Trinité.
L’ange lui a parlé successivement du Père au nom duquel il la salue, du Fils du Très-Haut, de l’Esprit qui est la Puissance du Très-Haut et rend possible ce qui semble impossible. Et elle a dit oui.
Permettez-moi de m’arrêter un instant pour, dans le silence, entendre le oui de cette femme, de cette fille de 12 ans, 13 ans peut-être : il faut être Dieu pour confier le sort du monde à une aussi jeune femme… Il est vrai que je me dis que c’est Marie et que je suis différent d’elle. Pourtant, je suis, nous sommes pétris de la même humanité et nous pouvons lui demander d’entrer dans sa capacité de dire oui.
Faisons-le tranquillement.
Entrons dans sa méditation : saint Luc affirme deux fois qu’elle médite tous ces événements dans son cur
comme pour dire qu’elle le fait tout le temps. Une des deux fois, il emploie le mot grec symbolein (dont l’antithèse serait diabolein – diviser, analyser, diaboliser) ; elle unifie dans son cur tout ce qui lui semble contradictoire à première vue :
– Il arrive que ce que l’on sait de quelqu’un empêche de le connaître : toutes les femmes disent de leur enfant qu’il est adorable
Mais lorsqu’il crie la nuit, lorsqu’il faut le nettoyer, lorsqu’il faut laver le linge (il n’y avait pas de couches-culottes), l’adorer devient quasi impossible. Un Père du désert affirmait : Si tu rencontres Dieu, tue-le, ce n’est pas lui
Comment penser que ce petit si dépendant est le Fils du Très-Haut ?
– De plus cet enfant a été mal accueilli par le Peuple qu’il va sauver : aucun signe n’est donné d’une mission qu’elle doit attendre – comme tous les pauvres de Yahvé triomphante : il n’est pas possible qu’elle pressente la croix et qu’elle puisse déchiffrer le fait qu’il soit né à Bethléem, la maison du pain, et déposé dans une mangeoire comme déjà offert en nourriture. Mais elle sait qu’il n’a pas été reçu.
– Si cet enfant est Dieu, alors Dieu ne parle pas, ne s’impose pas, ne se défend pas
Et Marie dans l’unité de son cur, dans la confiance, passe de ce qui se voit – la triste réalité humaine – à ce qui ne se voit pas : la renaissance de Dieu dans son cur et au cur du monde. Et dans son oui, sans cesse renouvelé devant cet Emmanuel, elle n’a pas d’autre question que celle qu’elle a déjà formulée : comment cela se fera-til ?
Entrons dans la méditation de Marie et puisqu’elle nous a été donnée pour mère, recevons ce qu’elle a dans son cur comme notre héritage. Demandons-lui de passer de ce que nous voyons à la perception des réalités invisibles :
– Nous voyons, et nous devons voir, les guerres, l’injustice, le Noël des enfants dont les pères sont partis et qui crient à leur mère : où est Papa ? , la solitude, la peur de la vie, la peur de la mort, le besoin de vivre, le désir de s’éclater, la force de notre désir sexuel, le mal dans notre cur, dans celui de ceux que nous aimons, dans la vie de l’Église.
– Nous voyons notre joie d’être ensemble, notre désir de voir, notre sentiment que ce que laissent présager les JMJ soit vrai, notre confiance au Pape
mais nous entendons aussi la voix de nos amis – qui est aussi une voix intérieure et qui dit non. Dieu nous semble si fragile !
Poursuivons notre méditation : je sais que méditer fait peur. Nous avons tellement de difficultés à accepter tout ce qui nous habite. Trions ce qui est réel de ce qui est imaginaire et entrons dans cette compréhension du monde où tout devient symbolique , où tout nous parle du vrai Dieu. Il est toujours douloureux de quitter ses rêves et ses cauchemars. Marie a dû percevoir dès le début que des glaives lui transperceraient le cur. Mais elle avance dans sa méditation et fait confiance.
* S’EMERVEILLER
Un fils nous a été donné.
Il est Prince de la paix.
Nous avons tous appris, à moins que nous en ayons spontanément l’idée, qu’il fallait se mettre à genoux devant Dieu infiniment grand, infiniment parfait… Cela est vrai.
Et pourtant, la crèche annonce le geste du lavement des pieds. On t’a appris : agenouille-toi, fais-toi petit devant lui et voici que tu le regardes de haut car il s’est fait plus petit que toi.
– Dieu s’est fait enfant ! Chacun de nous est capable de beaucoup de choses pour un enfant. Le plus grand criminel est sensible au cri d’un enfant. Chacun de nous est capable de vouloir qu’il ne souffre pas. Chacun de nous est capable au minimum d’appeler quelqu’un s’il sent que l’enfant en a besoin. Dieu se fait enfant pour nous, pour toi : un fils t’a été donné.
– Marguerite Yourcenar écrit dans l’Oeuvre au noir, je crois : Pendant combien de nuits ai-je repoussé l’idée que Dieu n’est au-dessus de nous qu’un tyran ou qu’un monarque incapable et que l’athée qui le nie est le seul homme qui ne blasphème pas. Puis une lueur m’est venue : si nous nous trompions en postulant sa toute-puissance… ?
Si cet enfant est Dieu
– Tu es libre : ta liberté est inviolable puisque même Dieu la respecte et que non seulement il ne veut pas la briser mais se soumet à toi.
– Tu es digne de confiance : Dieu accepte tes bras pour le protéger… Ne dis pas que tu es trop jeune. Marie a reçu mission encore plus jeune que tu n’es.
– Tu es responsable : Dieu t’est confié. Il a besoin de ton affection, de ta parole, de ta tendresse ; mais il a aussi besoin que tu prennes en charge ses intérêts.
Prenons encore quelques minutes pour nous émerveiller Entendez le tambourin et Marie qui nous apprend son chant : Le Seigneur a fait pour moi des merveilles.
Pensez que si légitimement vous vous émerveillez Dieu aussi s’émerveille. Je sais votre péché – je suis suffisamment votre frère pour le savoir et Dieu sait encore plus profond que moi – mais Dieu sait l’Esprit qu’il vous donne.
Au cur de ce monde silencieux de Dieu, le Créateur de tout veut, par son Emmanuel, nous faire découvrir qu’il est présent. Et le signe de sa présence, c’est que vous sentez en vous une source de générosité, de don qui vous pousse à vous tourner vers Dieu.
Et à lui dire : Père.