Pas de paix sans justice. On peut dire que c’est une quasi banalité. Mais elle a encore besoin d’être affirmée, en 2002, avec insistance. Une catéchèse de Mgr Ulrich
Pas de paix sans justice
On peut dire que c’est une quasi banalité. Elle a encore besoin d’être affirmée, en 2002, avec insistance. Ainsi Jean-Paul II le fait-il dans le message à l’occasion du 1er janvier, journée annuelle mondiale de la paix : « l’Eglise désire témoigner de son espérance, fondée sur la conviction que la mal, mysterium iniquitatis (=mystère de l’injustice), n’a pas le dernier mot dans les vicissitudes humaines ». Le Pape ajoute qu’il a souvent réfléchi et prié devant les injustices et violences qui ont marqué sa vie, et notamment sa jeunesse, la barbarie nazie et les crimes engendrés par le communisme. Il ajoute que sa méditation l’a conduit à penser que seuls la justice et le pardon, ou la miséricorde, sont source de paix. Le terrorisme moderne, complètement internationalisé, se nourrit de toutes les occasions d’injustices, mais « la prétention qu’a le terrorisme d’agir au nom des pauvres est une flagrante imposture », car « il est fondé sur le mépris de la vie humaine ». Deuxième imposture lorsqu’il prétend se justifier sur une volonté divine : « la violence terroriste est contraire à la foi en Dieu créateur de l’homme, en Dieu qui prend soin de l’homme et qui l’aime ».
On peut illustrer le propos : « l’Occident a donné la sentiment d’imposer une culture dominante, essentiellement matérialiste, vécue comme une agression » (le Président de la République française à l’Unesco, le 15 octobre 2001). Ou bien encore : depuis la guerre du Golfe, début 1991, le Pape ne cesse de demander que l’embargo contre l’Irak soit levé, c’est une injustice et une violence qui pèse sur le peuple irakien et non sur ses dirigeants, elle nourrit le sentiment d’être méprisé et la jalousie à l’égard des nations puissantes et riches.
Ou bien encore : le général Jacques Pâris de Bollardière, qui démissionna de l’armée en 1962 à la fin de la guerre d’Algérie pour désaccord sur les méthodes de maintien de l’ordre (la torture), écrivit un livre : « Bataille d’Alger, bataille de l’homme » (1972) en réplique à celui du général Massu : « la vraie bataille d’Alger ». Bollardière avait cru à la pacification des relations franco-algériennes, mais l’usage de la violence et de la torture pervertit tout, il détruit les bases d’une justice possible. La torture est le comble de l’injustice qui détruit l’humanité en l’homme, la victime comme le bourreau : « notre société industrielle crée à l’intérieur de chaque pays des situations de violence que nous refusons de voir et que nous n’avons plus le courage de surmonter. Violence dans le monde du travail, violence dans la compétition et la frénésie de posséder et de consommer, violence enfin entre les générations. (
) Le souffle de l’Esprit anime le monde. Une seule cause peut le sauver : c’est celle de l’homme libéré de lui-même, vainqueur de la haine et du mépris, devenant enfin ce qu’il est : Fils de Dieu et Frère de tous les hommes. »
Pas de justice sans miséricorde
On pourrait croire que le pardon est une sorte d’oubli des injustices, mais il n’en est rien : le pardon est fait pour conduire à la réparation des injustices. Le pardon décidé dans le cur a des implications dans la vie relationnelle, dans la vie familiale, entre les groupes sociaux, les Etats et les nations. Inversement, l’entrée dans des discussions entre nations pour faire cesser un état de guerre, de guérilla, de terrorisme n’est possible qu’avec la décision personnelle de ceux qui acceptent de devenir des interlocuteurs.
Illustrons encore : c’est ce qui est arrivé entre les anciens belligérants de l’Europe occidentale quand se sont levés des Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, à l’origine de la construction européenne actuelle. C’est ce qu’il faudra obtenir pour mettre fin à la situation intolérable d’injustice et de violence qui sévit depuis si longtemps entre Israël et la Palestine ; c’est réellement ce qui commençait à se faire avec le Premier Ministre israélien Itzhak Rabin qui accepta les négociations d’Oslo en 1993, mais fut assassiné en novembre 1995. Le Pape conclut en appelant les religions du monde à contribuer à créer un état d’esprit favorable à la paix par la justice et le pardon.
Le philosophe René Girard qui a beaucoup réfléchi sur les mécanismes de la violence dit qu’elle naît du désir mimétique d’appropriation, de posséder ce que l’autre possède. Mais cette violence n’est pas dans les gênes de l’homme, ni dans la société; elle s’aperçoit dans le développement des relations humaines, ce qui rend possible une conversion, un changement décidé. Et la loi de la justice n’est pas la loi du plus fort : le plus faible peut être, et est souvent, la victime qui a bien raison contre le plus fort, le violent.
Dans les dix commandements (Exode 20) existe un interdit fondamental : « tu ne désireras pas la femme de ton voisin, ni rien de ce qui appartient à ton voisin ». Cette phrase, dit René Girard, est une « découverte prodigieuse sur la nature rivalitaire » (La Croix , 29-30 décembre 2001, p.14).
Voir aussi le récit de « la vigne de Naboth » dans la Bible : 1 Rois 21
Pas de paix, donc de justice et de pardon, sans décision personnelle, engagements, action concrète et gestes symboliques
D’abord une lucidité nécessaire : il est des combats qui vont ensemble, pour la paix, pour la promotion et le développement des peuples, pour la vie dès la conception jusqu’à la mort, pour le soutien aux personnes handicapées, pour l’éducation, contre la dégradation de la personne par la dépendance de la drogue, de l’alcool, de l’esclavage sexuel, etc. Prendre part à l’un de ces combats, c’est assurément travailler pour la paix.
Dans le contexte de mondialisation, il est évidemment nécessaire que l’on perçoive d’une part que l’économie de marché permet des réalisations à l’échelle du monde, mais aussi que d’autres formes d’économie (coopérative, mutualiste ) pourraient trouver place de façon complémentaire et équilibrante. De même que des réglementations et régulations sont nécessaires pour corriger les disparités. L’Europe tout entière n’aurait pas tant progressé depuis cinquante ans sans ces compensations entre régions, par exemple, ou sans soutien à certaines activités économiques (les deux parfois se combinant).
Le développement doit être entendu d’un point de vue qui intègre cultures et expressions spirituelles. Le modèle d’une globalisation qui supprimerait les diversités culturelles, ou les ignorerait diminuerait l’apport de chaque peuple à la construction de l’humanité ; en augmentant les risques de révoltes de plus en plus violentes. La rencontre des religions est un phénomène dont l’ampleur est une nouveauté, le dialogue est l’uvre nécessaire de demain. On explore aujourd’hui de façon raisonnée le nouveau concept de développement durable qui veut tenir compte des relations sociales et des effets environnementaux de l’activité économique.
Chacun peut poser dans l’un ou l’autre de ces domaines des gestes qui l’engagent : travail pour le développement, coopération civile et aussi réflexion sur les armées au service de la paix et du refus des violences multiples qui menacent de submerger le monde, relations personnelles et suivies avec des amis étrangers ici et dans leur propre pays, engagement professionnel ou associatif dans l’humanitaire, recherche d’autres formes d’économie