En cette année 2009 du double centenaire de la naissance de Charles Darwin et 150 ans après la parution du livre : L’Origine des espèces, voici une réflexion (2e partie) du Père Jean-Christophe Maldamé, op sur le lien entre foi et théorie de l’évolution.
II La Bible mieux interprétée
La tension entre la théorie de l’évolution et la confession de foi chrétienne s’est portée sur les textes bibliques. Cette tension n’est pas d’aujourd’hui ; elle a toujours été présente dans la Tradition chrétienne et bien avant dans le monde juif. En particulier à Alexandrie.
1. L’interprétation des Écritures
La communauté juive hellénisée butait sur le réalisme de la lecture littérale du texte hébreu. Les traducteurs de la Bible grecque, Philon d’Alexandrie et saint Paul ont proposé une autre méthode de lecture, la méthode allégorique, méthode selon laquelle l’interprétation du texte se libère du sens obvie ou littéral. Par exemple, lorsqu’on lit qu’au désert Moïse frappa de son bâton le rocher d’où jaillit une source, le sens obvie ou littéral entend par bâton, rocher et source ce que ces mots désignent dans le langage commun. Dans l’épître aux Corinthiens saint Paul dit que ce rocher qui fut source d’eau vive était le Christ, déjà mystérieusement présent au milieu de son peuple pendant l’Exode (1 Co 10, 4).
Les Pères de l’Eglise ont suivi cette méthode qui leur permettait de faire droit à la lecture chrétienne et aussi d’éviter un conflit entre la cosmologie hébraïque archaïque (le firmament solide où sont accrochés les étoiles) et la cosmologie grecque où il y a pluralité de cieux portant les astres. Les termes de jours étaient en particulier entendu autrement que comme des laps de temps mesurés par les astres – mais comme des moments dans la pensée – cette interprétation était fondée sur les contradictions internes du récit biblique, quand par exemple, le premier récit de la Genèse parle de « jour » et de « lumière » dès le début du récit, alors que les astres (soleil et lune) ne sont créés que le quatrième jour, au milieu de la semaine.
Cette méthode n’a pas été la seule ; il y a eu une tradition de lecture plus soucieuse de réalisme qui a voulu lire les textes du début de la Genèse comme le compte rendu littéral des premiers moments de l’histoire cosmique entendant par « jour » ce qui est mesuré par le mouvement du soleil et par « semaine » ce qui est mesuré par la lune. Cette tradition, promue par Basile le Grand, a été reprise par saint Augustin qui l’a rendue commune en Occident chrétien. Cette théologie menait à faire concorder le texte biblique avec les observations. Ce n’était pas difficile puisque malgré quelques différences, les fondements de la science n’avaient guère changé en un millénaire.
Cette unification sous la conviction que les récits bibliques étaient des textes ayant valeur scientifique, comme des compte-rendus d’observation, a mené à des conflits lorsque la vision du monde a changé. Ces conflits ont été rendus plus vifs, parce qu’on tenait pour assuré que grâce à l’aide de l’Esprit Saint, le rédacteur du texte (Moïse) avait pu décrire ce qui s’était réellement passé.
Les premiers développement de la théorie de l’évolution ont heurté cette lecture littérale des Ecritures, dont le cadre spatio-temporel ne pouvait concorder avec les connaissances nouvelles – comme ce fut le cas pour la géographie avec la découverte de nouveaux continents, et la connaissance de la rotation de la Terre et son mouvement autour du soleil.
Pour les êtres vivants, le conflit a commencé dès le dix-huitième siècle. Le premier à y faire droit fut Buffon qui a vu que la chronologie biblique, selon laquelle nous sommes aujourd’hui en 5761, était sans fondement. Sa solution, dans les Époques de la nature, est fort éclairante. Pour que la Bible garde sa valeur, face au fait que l’histoire de la Terre et des vivants ne pouvaient entrer dans le récit de la Genèse, il s’est appuyé sur les travaux bibliques de Dom Calmet, célèbre bénédictin érudit du dix-septième qui avait renoué avec la tradition patristique pour se libérer des contradictions du texte biblique. Buffon s’en est servi pour dire que la nouvelle conception de la formation du monde ne contrariait en rien la foi. La notion de jour et de semaine n’est pas chronologique ; elle exprime des « moments » dans la mise en oeuvre de l’acte créateur pour qui, selon la lettre du psaume, « mille ans est comme un jour ».
Mais cette manière de faire n’était pas suffisante, car elle avait les défauts de l’allégorie, à savoir un aspect arbitraire.
2. Le sens littéral redéfini
Sous la pression de l’essor de l’explication scientifique, les travaux bibliques ont progressé. Ils ont surtout progressé grâce aux efforts de l’histoire et de la redécouverte de la culture du Moyen Orient ancien. Des mondes ensevelis ont été exhumés ; des cultures disparues ont été retrouvées – par exemple par la lecture des caractères égyptiens, des textes cunéiformes, des villes ensevelies. L’étude littéraire et la comparaison des textes ont permis de situer les textes dans leur contexte culturel et littéraire. L’originalité de la Bible a été mieux comprise.
Au plan littéraire, les travaux du Père Lagrange ont permis de clarifier le statut des textes. Il a proposé la notion de « genre littéraire » pour distinguer entre texte poétique, récit historique ou chronique, texte de loi, texte de prière, texte d’épopée, de poème, de complainte,… Cette précision dans la nature du texte permet de ne pas placer tous les textes de la Bible au même plan et de sortir de l’usage intempestif de la notion de véracité divine impliquée par l’inspiration. L’exagération fait partie du genre littéraire épique ; ce n’est pas un mensonge ; elle permet de faire passer le message de salut qui associe le merveilleux à l’événement. De même un texte de loi ne saurait se lire comme un poème ; le poète joue sur les mots, sur leur valeur d’image ou de métaphore, alors que le juriste ne se le permet pas dans sa rédaction. Les textes de la Genèse ont été relus avec ces nouvelles richesses d’analyse ; ils ont été mieux compris.
Le sens littéral est défini comme le sens que l’auteur a voulu exprimer en utilisant les connaissance disponibles de son temps et les ressources littéraires de sa langue. C’est ce sens qui a été reconnu comme fondateur par les textes du Magistère – de manière éminente par le Concile Vatican II et précisé par une récente déclaration du pape Jean-Paul II.
Cette nouvelle conception du sens littéral permet de lire aujourd’hui les premières pages de la Bible autrement que par le passé. On reconnaît que l’auteur a utilisé les représentations disponibles de son temps et une philosophie du vivant qui était celle de la culture où il vivait. Grâce aux travaux des savants biblistes, ces représentations communes sont bien connues aujourd’hui, alors qu’elles étaient ignorées hier.
Ainsi la nouvelle définition du sens littéral des Écritures a permis d’ouvrir un espace de liberté pour que la relation entre la science et la foi puisse se développer harmonieusement. La Bible a ainsi cessé d’être un obstacle épistémologique pour le développement de la science. Du moins pour les catholiques qui vivent dans le souffle du Concile Vatican II, car, hélas, il existe des minorités actives qui refusent cette manière de lire les textes bibliques.
Le fond de la question n’est pas seulement littéraire ou scientifique ; il porte sur la compréhension de la manière dont Dieu agit et donc sur le sens du mot création.
Avant d’aborder cette question pour elle-même relevons que la lecture de la Bible a été approfondie et que la science a permis à la foi de progresser en obligeant à repenser de manière profonde la notion d’inspiration, dans la vive conscience de la valeur du texte biblique.
3. Le sens de la vie
Corrélativement à ce progrès dans les connaissances bibliques, la théologie a aussi dialogué avec la vision nouvelle de la vie développée dans la perspective générale de l’évolution.
La théorie de l’évolution donne une présentation de la vie qui brise avec le fixisme lié à la conception platonicienne de l’espèce, à savoir la réalisation empirique d’une essence intemporelle. La théorie de l’évolution – c’est le sens de la racine latine du mot evolvere qui signifie un déroulement – place le terme dans une perspective d’un développement et donc dans une autre vision du temps.
Aussi la redécouverte du temps a été l’occasion d’une promotion de la vision de l’histoire et le sens renouvelé du fait que pour comprendre une situation il faut, selon une expression célèbre d’Aristote au premier livre de la Politique, en dire la genèse, et donc décrire les transformations progressives qui ont mené à l’état que l’on veut comprendre.
La théorie de l’évolution a imposé cette exigence dans la culture. Il n’est donc pas surprenant que les esprits formés par les sciences soient attentifs au fait que les récits qui ouvrent la Bible ne doivent pas être séparés de l’ensemble du livre, mais bien un récit placé en premier comme un porche pour une histoire qui se prolonge.
Les récits qui ouvrent la Bible sont donc une manière d’introduire à une histoire. Il y a un jeu de miroir – un cercle herméneutique – entre les textes. Le récit du commencement est écrit à la lumière de l’expérience de l’écrivain. Les premières pages de la Bible ne sont pas le compte rendu de ce qui s’est passé jadis ,- et qui aurait été miraculeusement vu par l’écrivain – mais le fruit de sa réflexion sur son expérience que l’on connaît par ailleurs. Ainsi Adam n’a pas été pensé par l’auteur du livre de la Genèse à partir d’un inimaginable et inaccessible premier homme, mais à partir de ce dont il a eu connaissance. Il a réfléchi sur ce qui a été vécu par le roi Salomon et par le peuple élu. Celui-ci a été choisi par Dieu, formé par lui avec attention grâce à la Loi donnée à Moïse (représentée par « l’arbre de la connaissance du bien et du mal ») ; il a reçu de Dieu la liberté et la responsabilité de ses actes ; il a mal usé de ce pouvoir ; il a porté les conséquences de ses fautes, lors l’Exil (représenté par l’expulsion hors du Jardin) – et reçu le salut par grâce (représenté par l’arbre de vie). Telle est l’expérience fondatrice. Le rédacteur de la Genèse a universalisé cette expérience ; il l’a étendue à tous les hommes en élargissant à tous l’Alliance conclue avec Israël. Et ainsi il a donné sens à l’histoire universelle.
Or les connaissances concernant l’histoire des êtres vivants donnent à cette universalité une dimension insoupçonnée des Anciens. Le lecteur moderne a d’autres expériences et une autre vision de l’histoire universelle. La théorie de l’évolution permet de l’élargir et de l’enrichir.
La vision fondatrice des premières pages de la Bible garde toute sa valeur et permet de dire que cette histoire a un sens. Elle est l’expression d’un don premier et d’un mouvement vers un accomplissement. Le croyant relit l’histoire des vivants comme un mouvement vers un enrichissement et un accomplissement qui passe par l’émergence de la conscience, puis de l’esprit.
Ainsi l’élargissement du regard croyant, de son histoire personnelle à celle du peuple élu, puis du peuple élu à l’humanité, peut être repris et élargi à une histoire humaine plus vaste et plus complexe qu’on ne l’imaginait jadis. La lumière de la foi donne une signification de l’aventure de la vie qui passe outre les quelques siècles que l’on imaginait il y peu de temps.
Le travail scientifique prend un sens. Il contribue à donner des éléments pour dire le sens de ce qui est donné.
La théorie de l’évolution présente des mutations, des aléas, des bifurcations et des nouveautés qui sont vues dans une perspective d’ensemble où ils prennent un sens plus profond qui se réjouit de l’essor de la vie et de ses succès – puisque nous sommes là pour en parler et lui donner sens.
Cette reconnaissance laisse cependant au seuil d’une question : l’explication scientifique est autosuffisante et récuse toute intervention extérieure, elle n’est pas fermée sur une lecture d’un autre point de vue. C’est ainsi que la question se pose : comment Dieu agit-il dans le processus de l’évolution ?
A suivre…
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