En cette année 2009 du double centenaire de la naissance de Charles Darwin et 150 ans après la parution du livre : < L’Origine des espèces, voici une réflexion du Père Jean-Christophe Maldamé, op sur le lien entre foi et théorie de l’évolution.
La question « Comment Dieu agit-il dans l’évolution ? » s’articule au souci d’un certain nombre de croyants pour qui la théorie de l’évolution présente encore quelques difficultés. Il leur semble que la notion d’évolution contredise la notion de création. Pour beaucoup, heureusement, il n’en est rien.
Mais l’absence de contradiction ne signifie pas que tout soit clair et bien compris. Aussi la question : « Comment Dieu agit-il dans l’évolution ? » n’a pas seulement pour but de libérer l’esprit de certaines équivoques ; elle doit contribuer à mieux aider à comprendre tant l’évolution que la création.
La réflexion sur création et évolution repose sur un certain nombre de concepts qui sont au coeur de la science (comme ceux d’espèce, d’adaptation ou de mutation) de la philosophie (comme les concepts de vie, de finalité et d’action), mais aussi de la théologie (comme ceux de création et d’intervention de Dieu).
I Quel matérialisme ?
Le malaise de certains croyants à propos de l’évolution vient du prolongement d’un débat qui a eu lieu dans la pensée européenne avec la naissance des temps modernes. Le débat s’est déplacé, mais il continue d’habiter de manière cachée les esprits ; il s’agit du matérialisme. Il importe de définir ce terme et de voir ce qu’il recouvre, car il se trouve effectivement à la racine de bien des difficultés.
1. Le matérialisme
Au dix-huitième siècle le terme de matérialisme a pris un sens nouveau en opposition avec la pensée du dix-septième marquée par Descartes. Pour ce dernier, et pour la philosophie marquée par la science classique usant du traitement mathématique des questions scientifiques, la matière est inerte. Elle est régie par le principe d’inertie bien connu des scientifiques. La quantité de mouvement et ses qualités ne sont pas des propriétés des corps, mais de l’énergie qui les a mis en mouvement. La science paradigmatique est alors la cinématique. La passivité est le propre de la matière, ainsi que l’opacité.
La notion de matière a changé de sens avec Leibniz qui sait que les corps dont s’occupent les sciences de la nature portent en eux-même l’énergie qui les meut. La science paradigmatique n’est alors plus la cinématique, mais la dynamique.
Cette conception de la matière n’est pas restée dans le monde de la physique . Elle est entrée dans les sciences de la vie au dix-huitième siècle, par exemple chez Diderot. Selon une perspective que l’on peut qualifier de « vitaliste », le vivant possède en lui-même l’énergie qui préside à ses transformations et à ses activités ; cette énergie est matière.
Cette évolution dans les concepts de science et de philosophie de la nature a une incidence sur la théologie. Dans la conception de Descartes et celle de Newton, la passivité de la matière rend nécessaire le recours à l’action de Dieu pour l’origine et la conservation du mouvement. La nouvelle conception de la matière comme porteuse d’énergie rend inutile ce recours à une cause extérieure. Pour cette raison, le terme de matérialisme prend un sens métaphysique, il désigne à la fois la conception nouvelle de la matière et l’inutilité du recours à Dieu à l’intérieur de l’explication scientifique. La science est agnostique et sa méthode porte les esprits à l’athéisme. Or la théorie de l’évolution est née en lien avec cette philosophie caractéristique du dix-huitième siècle. Elle est présente chez Lamarck.
Dans ce contexte, les travaux fondateurs de la théorie de l’évolution étaient étroitement liés à une philosophie qui refusait une référence à l’action de Dieu et donc remettait en cause l’idée de création.
2. Refus chrétiens
Pour cette raison, les croyants qui ont lu les premiers travaux sur l’évolution des êtres vivants y ont reconnu une démarche qui, par sa philosophie, heurtait leurs convictions.
Ce choc était d’autant plus vif que les tenants de la nouvelle théorie scientifique eux-mêmes étaient des militants de l’athéisme. En Allemagne, ce furent les thèses de Ernst Haeckel et d’une certaine manière des disciples de Marx. En France, la première traduction du maître livre de Darwin, L’Origine des espèces, a été faite par Clémence Royer, bien connue par ailleurs pour sa militance rationaliste et athée.
Il en est résulté une confusion qui a suscité une tension extrême entre ce que l’on appelle souvent « la science et la foi » ou plus exactement entre les scientifiques qui ne pouvaient pas récuser la validité de la nouvelle explication et des croyants convaincus de la valeur de la théologie. La frontière passait douloureusement dans le conscience des savants catholiques. Ceux-ci n’avaient d’autre possibilité que de faire de leur conviction religieuse une attitude concernant leur vie privée ou familiale et de la foi un sentiment.
3. Situation présente
Le malentendu a été levé grâce aux travaux théologiques et aux recherches théologiques. Il apparaît bien aujourd’hui qu’il faut distinguer nettement entre le réductionnisme exigé par la méthode scientifique et une philosophie réductionniste et matérialiste.
Grâce à cette distinction, il est clair que création et évolution ne s’opposent pas comme des contradictoires – de manière à s’exclure mutuellement. Le terme d’évolution désigne une théorie scientifique qui donne une vue d’ensemble d’un certain nombre de faits. Le terme de création désigne l’action de Dieu qui donne d’être à tout ce qui est. Les termes sont donc limités dans leur extension. Mais ce divorce à l’amiable ne saurait suffire, car le débat est fort intriqué. Il importe de définir ce que l’on entend par évolution et création.
Le terme d’évolution a un sens général pour nommer un changement. Il prend un sens plus spécifique dans les sciences où la pensée se fonde sur des faits. Ce sont des « faits scientifiques » ; ils supposent donc un regard exercé pour recueillir ce qui est significatif. Il s’agit de ce qui relève de la paléontologie, la génétique, la biochimie, l’écologie et autres sciences particulières. Le terme d’évolution désigne une théorie – c’est à mon avis le sens propre. Or une théorie est une interprétation des faits. Si les faits sont incontestables et ne peuvent être niés, une interprétation peut toujours être récusée et la conviction inébranlable même devant des faits incontestables.
Le statut de la théorie explique pourquoi il y a plusieurs manière de présenter la théorie de l’évolution. On peut prendre le terme pour désigner une explication d’ensemble unique et générale, mais on peut l’entendre dans un sens plus technique et dire qu’il y a diverses théories de l’évolution en fonction de la manière de penser les mécanismes ou les lois qui régissent la constitution des vivants. Il y a là un débat ouvert entre spécialistes. Mais ce débat ne saurait cautionner l’esquive qui consiste à dire que l’évolution n’est qu’une hypothèse. Les faits sont si nombreux, si divers et si concordants qu’il est honnête de dire que la théorie de l’évolution est vérifiée et doit être tenue pour assurée – même si, comme toute théorie, elle est ouverte et demande à être prolongée, voire réinterprétée à partir de faits nouveaux.
Il en va de même de la notion de création. Le terme désigne la production totale de tous les êtres par Dieu, mais il y a plusieurs manières de l’entendre et une pluralité de théologies de la création dans la Tradition de l’Eglise et il y a parmi les théologiens bien des nuances pour comprendre l’affirmation fondamentale que Dieu a tout fait à partir de rien, comme cela sera explicité plus loin.
Si nombre de chrétiens se contentent d’une séparation à l’amiable entre le discours scientifique et le discours théologique, cette position me semble insuffisante. La récente proposition de Stephen Jay Gould d’un armistice entre les « magistères » de la science et ceux de l’Église n’est pas suffisante, car l’esprit humain est désireux d’unité. Il me semble qu’il doit y avoir une meilleure intelligence de la réalité dans un échange réciproque entre la pensée scientifique et la théologie. Toutes deux sont soucieuses de vérité et doivent s’aider. C’est en ce sens que la question posée est pour moi nécessaire au progrès de la culture et de la pensée universitaire, au bénéfice des scientifiques, des philosophes et des théologiens. Quels sont les bénéfices mutuels ?
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