Et le Christ, comment évangélise-t-il ? Entretien avec Marcel Domergue, prêtre jésuite, à partir de l’évangile de la Samaritaine. Un extrait du dernier numero de la revue Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens
Dans le passage de l’évangile sur la Samaritaine, c’est Jésus qui vient à la rencontre de cette femme. Comment se passe ce premier contact ?
Jésus est fatigué du voyage. Il est midi et il fait chaud. On nous montre ici que Jésus a connu les mêmes réalités que nous : la fatigue, la faim, la soif
Alors que, souvent, on se représente Jésus sous l’image du Christ triomphant. Il rencontre la Samaritaine qui vient puiser de l’eau au puits. Notons que cette femme n’a pas de nom et restera sans nom : au fond, c’est Madame-Tout-le -Monde.
Le thème de la soif représente le désir. Normalement, Jésus est celui qui vient combler la soif, le désir. Mais ici, il commence à montrer qu’il est lui-même habité par un désir. Il a besoin de la Samaritaine. Il est venu attendre cette femme qui représente toute la Samarie, l’étranger, le peuple qui n’a pas droit aux bénédictions d’Israël. Quand elle s’étonne qu’un Juif vienne lui demander de l’eau, Jésus lui répond Si tu savais le don de Dieu, c’est toi qui lui aurais demandé de l’eau.
Au fond, il la surprend ?
Jésus parle d’une eau vive, c’est-à-dire vivante, jaillissante. Le thème de l’eau revient souvent dans la Bible mais il y a deux sortes d’eau. L’eau qui coule de source, l’eau de pluie, l’eau en mouvement, signe de vie. Et puis, l’eau stagnante, signe de mort. Par exemple, quand Jésus marche sur les eaux, cela signifie qu’il écrase la mort.
Dans le texte de la Samaritaine, s’opère un transfert de la source. Cette source, c’est d’abord Jésus, mais si on boit de l’eau de cette source, on devient à son tour source de vie.
La femme lui répond en plaisantant, en se moquant : Donne-moi un peu de cette eau, afin que je n’aie plus soif et ne vienne plus ici pour puiser. Jésus, alors, la prend au piège en lui demandant d’appeler son mari, comme s’il ne savait rien de sa vie.
Pourquoi agit-il ainsi ?
Pour que la femme prenne conscience de la vérité de sa vie et de sa solitude. Elle a eu cinq maris et elle est à ce moment-là avec un sixième homme. Mais en fait, elle est très seule.
Dans son histoire, Jésus est le septième homme, le véritable mari, l’époux de l’humanité. Le chiffre sept n’est pas indifférent : il représente la plénitude, de la même manière que le septième jour vient clore la semaine, la compléter. Jésus vient clore la recherche de cette femme, apaiser sa soif de désir.
En quelque sorte, il va à la rencontre de son désir
Le Christ va toujours à la rencontre d’un désir puisque l’homme, par définition, est toujours insatisfait. On pense parfois qu’il est possible de satisfaire ce désir permanent par l’argent ou par le fait d’avoir beaucoup de femmes ou d’hommes
Mais ce n’est qu’une manière d’apaiser momentanément le désir, ce n’est pas un accomplissement total. Le désir renaîtra sans cesse car rien de ce que nous pouvons acquérir n’est Dieu lui-même.
Le désir est quelque chose de fondamental car il nous montre que nous sommes en route, que nous ne sommes pas encore arrivés. Il crée le mouvement. Tant qu’il est là, il est toujours possible de rencontrer le septième homme, c’est-à-dire Jésus
Et la femme s’en va ensuite pour témoigner
D’abord, elle laisse sa cruche car, après avoir rencontré Jésus, elle n’a plus besoin d’eau. Elle parle de lui aux autres en se demandant s’il ne serait pas le Christ. Peut-être ne parvient-elle pas encore à le croire. À moins qu’elle préfère questionner pour ne pas affirmer quelque chose qui les déconcerterait complètement.
À la fin, les Samaritains se mettent à croire, non plus sur les dires de la femme, mais parce qu’ils ont entendu Jésus lui-même. La femme a été témoin, elle a été un chemin, mais elle disparaît. C’est pourtant elle qui les a amenés vers lui. En fait, le schéma de la source se reproduit : Jésus donne à boire mais ce qu’ils reçoivent devient source en eux.
Comment peut-on s’inspirer de ce récit pour évangéliser ?
Évangéliser, cela veut dire rencontrer, entrer en contact. Cela commence avec la connaissance de l’autre. Il ne s’agit pas de poser des questions pour lui faire raconter sa vie de A à Z mais il faut être curieux vis-à-vis de l’autre. On s’adresse toujours à quelqu’un qui a déjà sa propre histoire.
Quand on évangélise, on imagine qu’on apporte à l’autre ce qu’il n’a pas. Mais finalement, la personne qui évangélise est là aussi et d’abord pour recevoir ce qu’est l’autre.
Que conseillez-vous ?
N’arrivons pas vers l’autre en nous disant : Nous, nous savons, eux, ils ne savent pas. Méfions-nous car nous avons presque toujours été précédés. Notre travail d’évangélisation consiste d’abord à identifier la manière dont le Christ est présent dans cette personne. Chez la Samaritaine, par exemple, le Christ est déjà présent à travers cette soif inextinguible d’amour qui lui a fait déjà user cinq maris, plus son homme actuel. Évangéliser, c’est aller à la rencontre d’un désir.