“Ces auteurs qui, à l’instar de Dan Brown dans son palpitant roman, font de Marie-Madeleine une compagne de Jésus passent à côté de l’essentiel ! Ils évacuent le mystère, ils ne laissent plus de place à l’Église, l’unique épouse du Christ, ils ne nous laissent aucune place à nous non plus” (…) Le 22 juillet, l’Église fête sainte Marie-Madeleine. Une réflexion de frère Henri-Dominique de Spéville, op.
Voir aussi :
Prière à Marie-Madeleine
L’apparition à Marie-Madeline, regards croisés
(…) Ils font de Marie-Madeleine un personnage clos. Or, Marie-Madeleine est un personnage ouvert, en ce sens que par-delà son propre itinéraire personnel, elle nous révèle notre destinée. Elle est l’image de ce que nous sommes. Sa rencontre avec Jésus ressuscité est un mystère, c’est-à-dire un événement qui nous invite à entrer dans une relation nouvelle avec Jésus. C’est le mystère d’une alliance au-delà du visible et du tangible, une alliance d’éternité. Marie-Madeleine, épouse inépousée, est une figure de l’Église, un peu comme la Vierge Marie.
Marie, la Vierge Mère, l’Épouse inépousée, est par excellence le visage d’Église, image de la pure réceptivité, symbole du miracle de la grâce. Si le Messie avait été conçu de manière naturelle, nous aurions pu croire que le salut naîtrait de la terre, qu’il serait l’œuvre du génie humain. Non, la virginité perpétuelle de Marie, l’incarnation en elle du Verbe éternel par le seul fait de l’Esprit-Saint, nous place devant le mystère de la gratuité de la grâce. Le salut vient du Ciel. Il dépasse infiniment ce que l’humain peut produire. C’est Dieu qui vient à nous et nous comble. Et Marie, dès le premier instant de son existence, a été préparée pour cela, signe fort de la grâce prévenante de Dieu, qui avant même que nous recevions en notre âme le don de Dieu, prépare déjà notre premier mouvement de volonté vers le Bien. Marie est la figure de l’Église, car elle est, comme l’Église, le réceptacle de la grâce. En elle les hommes sont nés de l’eau et de l’Esprit-Saint pour une vie nouvelle dans le Christ.
Marie la Magdaléenne, ni vierge ni mère, et pourtant Épouse inépousée, est à sa manière visage de l’Église. A dessein, et plus que les autres évangélistes, Jean le Théologien, en narrant avec plus de détails le récit de l’apparition de Jésus à Marie-Madeleine nous fait respirer à l’envi un parfum de Cantique des Cantiques. Le Cantique nous décrivait la recherche éperdue de la Bien-aimée pour son Bien-aimé. Elle court, elle rencontre les gardes qui parcourent la ville : « Avez-vous vu celui que mon coeur aime ? À peine les avais-je dépassés, dit-elle, j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai trouvé et je ne le lâcherai pas ! » Comment ne pas y reconnaître les traits de Marie-Madeleine ? Elle pleure au tombeau, cherchant le Corps de son Bien-aimé disparu. Elle se penche, et les anges l’interrogent. A peine les quitte-t-elle des yeux, qu’elle voit son Bien-aimé. Je l’ai trouvé, et je ne le lâcherai pas ! se dit-elle. Mais Jésus, aussitôt : « Ne me touche pas ! Noli me tangere ! Ne me touche pas, parce que je en suis pas encore monté vers le Père. »
Ne me touche pas : non par pudibonderie ! N’avait-il pas accepté qu’elle baigne ses pieds de larmes, qu’elle les essuie de ses cheveux, qu’elle les arrose de parfum et qu’elle les couvre de baisers ? Ne me touche pas, parce que je ne suis pas encore monté vers le Père. Jésus annonce le mystère de son Ascension, mystère d’une absence, d’une présence et d’un devenir.
Mystère d’absence, qu’il avait annoncé à ses disciples le soir du jeudi saint : « encore un peu et vous ne me verrez plus. »
Mystère d’une présence, car, selon sa promesse, il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps. Mystère d’un avenir ou d’un devenir, comme le dit si bien la Préface de la fête de l’Ascension : « En entrant le premier dans le Royaume, il donne aux membres de son corps l’espérance de le rejoindre un jour. »
Voilà le mystère que nous célébrons : la rencontre de Marie-Madeleine avec le ressuscité nous ouvre à chacun d’entre nous des perspectives nouvelles. Marie-Madeleine est, à sa manière, une figure de l’Église. Sanctifiée, renouvelée, elle partage le devenir glorieux de Jésus. Elle court à l’odeur de ses parfums, comme la Bien-aimé du Cantique, elle est entraînée dans la danse mystique de l’Agneau. « Va dire à mes frères : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. »
Pourquoi cette phrase énigmatique ? Il s’agit de faire preuve d’esprit de finesse. Le Père, c’est le Père de Jésus-Christ, et c’est notre Père. Mais aliter et aliter, comme dirait saint Thomas, c’est-à-dire autrement et autrement. Le Père est l’unique Père. Mais il n’est pas le Père de Jésus-Christ comme il est notre Père. A l’égard de la créature humaine, c’est une façon de parler, une image. Dieu nous aime comme un père aime ses enfants : il nous a donné l’existence, il nous assiste, nous guide, nous soutient. A l’égard de Jésus-Christ, Dieu est son Père purement et simplement, absolument, d’une parfaite égalité de nature, d’une parfaite ressemblance, d’une unique volonté.
En disant « Mon Père et votre Père », Jésus nous révèle que par sa résurrection, son ascension, et le don du Saint-Esprit, il nous introduit dans le mystère même de sa relation au Père, il nous fait entrer dans la profonde communion de vie et d’amour qu’il partage de manière indicible avec le Père. Avant de souffrir sa Passion, n’avait-il pas prié pour tous ceux qui croiraient en lui, pour les disciples, pour Marie-Madeleine, pour chacun d’entre nous, disant : « Père, je leur ai fait connaître ton Nom et le leur ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux » ? L’amour dont le Père aime le Fils : peut-on imaginer amour plus haut, plus total ?
Par l’Esprit-Saint, ce même amour est déposé en nous. Au matin de la résurrection, Marie-Madeleine goûte en avant-première l’amour de Dieu déposé dans son cœur. Elle est transfigurée. Elle est l’Ève nouvelle, image de l’humanité qui avait été défigurée par le péché, mais qui est entièrement recréée dans la beauté de la grâce. Le Bienheureux Fra Angelico a merveilleusement peint cette scène d’Évangile. Le peintre nous introduit dans un jardin fleuri, jardin printanier, jardin de résurrection, jardin du Cantique des cantiques, jardin de Paradis. Nous sommes dans un jardin clos, symbole de virginité. Appliqué à Marie-Madeleine, le jardin clos ne symbolise pas une intégrité qu’elle aurait conservée depuis sa jeunesse, mais bien plutôt une intégrité retrouvée dans le pardon et la sanctification. C’est l’intégrité virginale de son cœur qui, désormais, ne connaît plus qu’un seul amour qu’elle aime d’amour pur.
Marie-Madeleine esquisse alors un mouvement comme si elle voulait saisir les pieds bénis du Sauveur. Mais celui-ci, nouvel Adam portant sur l’épaule un outil de jardinage, entame un pas de danse. Non pas un mouvement de recul « Ne me touche pas ! » mais un élan vers le Père où il veut entraîner sa Bien-aimée.
L’enjeu, c’est d’être à Jésus, d’être uni à lui, d’être transformé en lui et par lui. D’être apôtre, comme Marie-Madeleine qui s’en va dire aux disciples : « J’ai vu le Seigneur, et voilà ce qu’il m’a dit ! »