Pour les élections présidentielles, La Croix a publié deux tribunes à propos de l’euthanasie, la première de Bruno Jeandidier, pédiatre, et la seconde d’Edouard Braine, ministre plénipotentiaire. Selon eux, dépénaliser l’euthanasie ébranlerait la dignité et l’avenir de l’humanité.
Bruno Jeandidier revient sur l'”Appel des 2 000 professionnels de santé” en pleine campagne présidentielle. Il regrette que cet appel ait été lancé à coup d'”affirmations non vérifiables”, de “proclamations militantes”, d'”injonctions aux hommes politiques” sans que soit engagée la vraie réflexion que nécessite pourtant cette question.
D’après lui, la dépénalisation de l’euthanasie est désormais une loi “programmée pour la prochaine législature”, suite chronologique d'”un “droit à l’avortement”, un droit à ne pas mettre au monde un enfant malade, la revendication d’être indemnisé pour le préjudice d’être né”.
La revendication de l’euthanasie est-elle le “signe d’une société émancipée, après des siècles d’obscurantisme entretenu par des philosophes méprisant l’homme ; des Eglises inféodées à la souffrance et des médecins démunis ou insensibles à la douleur ? Ou suicide programmé d’une civilisation bousculée entre une mémoire défaillante, un présent obsédé par la croissance de l’avoir au détriment de l’être, et la hantise de l’avenir ?”.
Légaliser l’euthanasie suffirait-il à supprimer la souffrance ou supprimerait-il l’homme souffrant ? Croire qu’une loi dispenserait l’homme de la souffrance n’est-ce pas “d’une inexpérience et d’une naïveté confondantes” ? Par ailleurs, “ignorer que cette loi peut amener parfois à supprimer l’homme souffrant, au prétexte de supprimer la souffrance, relève d’une tragique défaillance de la mémoire collective”.
Dresser la dignité et la souffrance l’une contre l’autre comme si elles étaient incompatibles paraît “indigne de l’homme”. “Nier la dignité de l’homme souffrant n’est-il pas indigne de l’homme souffrant ?” “C’est souvent la dignité – celle portée au fond de soi, celle transmise par le regard de l’autre – qui permet d’aller au-delà de la souffrance.”
Dépénaliser l’euthanasie ébranlerait la dignité et l’avenir de l’humanité. La sélection prénatale de laquelle réchappe ceux que l’on est prêt à accueillir n’est pas “un gage de dignité et de qualité d’avenir”. De même, l’euthanasie ne pourra pas être “un gage de dignité et de qualité du passé”. “Tenter de maîtriser l’origine et la fin de vie est un fantasme de toute-puissance qui renie l’homme lui-même (…).”
Pour conclure, Bruno Jeandidier raconte son expérience avec Anna, âgée de 10 ans, dans le coma, à la suite d’une maladie évolutive et incurable et atteinte d’insuffisance respiratoire terminale : “(…) Anna (…) ouvre les yeux et s’adresse à son papa, en larmes à son chevet, en ma présence, lui disant : “Je te demande pardon”… juste avant de s’éteindre. Anna, qui fait l’ultime cadeau à son père de lui demander pardon pour la souffrance et le chagrin qu’elle lui procure. Instant de grâce où son papa me dit : “Elle avait tout compris !” En mémoire de toutes les Anna d’hier, d’aujourd’hui et de demain, je demande aux politiques, aux professionnels de santé et aux médias juste un peu de pudeur, de décence et de dignité.”
Edouard Braine s’interroge lui sur la façon dont le débat sur l’euthanasie est vécu par les personnes handicapées alors qu’une “curieuse unanimité en faveur du droit des handicapés et des malades en fin de vie à disparaître se dessine”. “Pour elles, savoir si leur vie vaut encore d’être vécue n’est pas une question théorique.” Edouard Braine se déclare “circonspect face à l’affirmation politiquement correcte du “droit de mourir””. Ce serait en effet une grave erreur que de se priver de la contribution de ces personnes handicapées. Ces personnes “méritent d’abord d’être reconnues et encouragées dans leur combat pour la vie, au profit d’une société qui s’enrichirait en leur accordant reconnaissance et estime sociales” plutôt que de céder à la tentation “d’eugénisme et d’exclusion”. Ce sont ses rencontres personnelles avec des personnes handicapées après son hospitalisation à Garches qui l’en ont convaincu. “Avant de légiférer sur l’euthanasie, ou de vanter auprès des handicapés la légitimité du suicide, appuyons leurs efforts pour garder le courage de vivre et pour trouver leur place dans la société.”