« Le Christ a besoin de prêtres mûrs, virils, capables de cultiver une authentique paternité spirituelle ». Allocution de Benoît XVI aux prêtres polonais à Varsovie le 25 mai 2006.
Dans une Instruction de la Congrégation pour l’Éducation Catholique approuvée par le Pape Benoît XVI qui en a ordonné la publication le 4 novembre 2005, l’Église a rappelé que les candidats présentant des tendances homosexuelles, ayant eu des pratiques et des expériences de ce type ou soutenant ce que l’on appelle la culture gay, ne peuvent être admis aux Ordres sacrés (diaconat et sacerdoce). Ce qui veut dire que ceux qui se trouvent dans l’une de ces situations devront interrompre leur formation. Évidemment, il faut distinguer entre « tendance » et « hésitation » passagère de l’identité ou du désir, fréquente chez des jeunes en cours de maturation, notamment dans la société actuelle.
A la publication de ce document, on a assisté à une tempête médiatique, à des procès d’intention et à des interprétations fantaisistes, alors que cette exigence a toujours fait partie des critères d’évaluation d’une vocation sacerdotale (aussi bien dans le clergé diocésain que dans la vie religieuse). Dans un climat empreint d’une certaine terreur intellectuelle et de menaces judiciaires au nom d’un politiquement correct, on voit bien comme il est difficile de faire entendre une parole qui présente les questions psychologiques et sociales, morales et religieuses posées par l’homosexualité. Sans exclure la compassion et l’attention à l’égard des personnes dont fait preuve l’Église, il ne faut pas pour autant négliger la réflexion et l’intelligence des enjeux.
Des personnes concernées ont pu être blessées et éprouver un sentiment d’injustice, voire d’exclusion. Néanmoins il importe de regarder ce que dit réellement l’Instruction. Avec délicatesse, le texte souligne le respect dû aux personnes, la place de chacun dans l’Église, que cette dernière souhaite aider à vivre sa foi au Christ, selon les exigences évangéliques. Cependant, le désir de devenir diacre permanent ou prêtre n’est pas, en soi, un droit à l’être. Il revient à l’Église de juger des aptitudes et des qualités des candidats, inhérentes à sa conception des ministères ordonnés.
La réflexion, voulue par Jean-Paul II, a été menée pendant près de dix ans, avec de nombreux spécialistes, pour évaluer l’ampleur des problèmes posés par l’homosexualité pour les candidats aux Ordres sacrés, sans confondre homosexualité et pédophilie. Des conduites personnelles non conformes à ce que souhaite l’Église, ou déviantes par rapport à ce qui constitue la norme morale en matière sexuelle, ne peuvent être justifiées au nom de la séparation entre vie sacerdotale et vie privée. De façon plus générale des problèmes spécifiques se posent en effet sur le plan psychologique, social et pastoral.
L’Église a voulu que soit réaffirmé ce critère constant dans le cadre précis d’une Instruction. Selon le Code de Droit canonique (n. 34), une Instruction a une valeur juridique puisqu’elle définit une norme et traduit concrètement un aspect de l’enseignement de l’Église. Elle oblige donc les formateurs à la mettre en application dans leur travail de discernement des vocations et à soumettre leur avis, uniquement consultatif, à l’Évêque ou au Supérieur religieux qui décident de la pertinence à appeler un homme à recevoir l’ordination aux Ordres sacrés. Tel est le sens même du terme « vocation », c’est l’Église qui appelle au nom de Dieu et non pas un candidat qui impose sa volonté de se faire ordonner. Ce n’est pas parce que le prêtre s’engage dans le célibat consacré vécu dans la chasteté et, de ce fait, qu’il ne s’exprime pas sexuellement, qu’il ne doit pas être dans les conditions mêmes de la maturité affective et sexuelle. L’Église ne cherche pas des hommes parfaits, ni des héros mais des hommes qui soient en cohérence avec leur identité sexuelle.
Plus précisément quels sont enjeux d’une telle exigence de vérité ?
1 – Les sources de la pensée de l’Église au sujet du sacerdoce et de l’homosexualité reposent sur des données bibliques et anthropologiques. L’idée principale qui structure le discours biblique et de l’Église soutient que la pratique de l’homosexualité est contraire au sens de la sexualité humaine et de l’amour qui implique l’altérité sexuelle.
– La pensée de l’Église au sujet des caractéristiques objectives de l’appel aux Ordres sacrés dépend de la théologie du sacerdoce (cf. Décret de Vatican II sur La vie des prêtres et de Jean-Paul II Je vous donnerai des pasteurs). L’homme qui se présente aux Ordres sacrés doit être parvenu à la maturité affective de l’altérité sexuelle fondée sur la différence de l’homme et de la femme.
– La pensée de l’Église concernant l’homosexualité est résumée dans les trois articles du Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2057 à 2059. Elle est enracinée dans la conception biblique et théologique de la sexualité humaine et du couple formé entre un homme et une femme. Elle s’articule également sur un donné anthropologique de fait : la différence sexuelle qui est un des aspects essentiels de la structuration psychologique et sociale de la personne. Elle est un des invariants de l’humanisation des personnes et des sociétés (cf. la prohibition de l’inceste et du meurtre, respect de la différence sexuelle et des générations). C’est l’intériorisation de la différence sexuelle qui permet d’accéder et de vivre réellement le sens de l’altérité. La recherche du même et du semblable ne prédispose pas une personnalité à avoir le sens de l’autre. Dieu ne vient pas justifier n’importe quel type de relation. Il est important que le futur prêtre ait cette qualité du sens de l’altérité afin de disposer des conditions psychologiques à partir desquelles peuvent s‘assumer les dimensions symboliques du sacerdoce.
Il est dommage que certaines critiques contre l’Instruction aient négligé, ou méconnaissent, l’importance de la différence sexuelle au point de rejoindre le déni de l’altérité sexuelle si présent dans la pensée contemporaine.
2 – L’Église considère l’homosexualité comme une incohérence structurelle de la sexualité humaine mature, fondée sur la reconnaissance de la différence sexuelle et sur une vie psychique conforme à cette différence. Lorsqu’une tendance sexuelle ne correspond pas à la nature même du sujet et qu’elle est en contradiction avec son identité sexuelle, elle demeure le symptôme d’une profonde immaturité psychologique, ce qui ne constitue nullement un jugement qualitatif sur les personnes. Freud y voyait une fixation aux identifications et aux désirs primitifs. Sur le plan anthropologique, l’homosexualité ne peut être considérée comme une réalité symbolique humaine pouvant fonder des liens sociaux entre des personnes, ni exprimer la différence sexuelle et l’altérité radicale homme-femme.
Le frère T. Radcliffe o.p. a voulu curieusement se démarquer de cette Instruction en soutenant que « ce qui est essentiel, c’est de former des prêtres qui aient acquis la « maturité affective » et soient à l’aise dans leur relation avec hommes et femmes […]. Ces critères doivent s’appliquer de la même façon à tous les candidats, sans faire de distinction selon leur orientation sexuelle » (cf. la Documentation Catholique, n. 2349 du 1er janvier 2006). L’Église n’a jamais voulu qu’il en soit ainsi car elle considère que l’homosexualité est la conséquence d’une immaturité affective. Le fr. T. Radcliffe fait l’impasse sur la problématique de cette orientation sexuelle qui justement ne favorise pas la maturité de la sexualité. L’Instruction laisse entendre que pour des raisons théologiques et psychologiques, une orientation sexuelle recherchée pour elle-même, en contradiction avec l’identité sexuelle, est toujours l’expression d’un sérieux problème. Du point de vue de l’économie psychique, cette orientation particulière demeure le symptôme d’un conflit intrapsychique irrésolu et non pas une alternative de la sexualité humaine. Une telle immaturité n’est pas comparable à celle que l’on peut effectivement observer dans le cas de figure de personnes hétérosexuelles et qui peut être un handicap pour être appelé au diaconat permanent et au sacerdoce. Car, en soi, l’hétérosexualité n’est pas forcément un brevet validant l’équilibre affectif : loin s’en faut. Des critiques qui ont été exprimées à ce sujet, contre l’Instruction, en voulant établir des comparaisons pour se convaincre que tout est en tout, masquent souvent des questions que l’on veut ignorer. Ce qui est en cause ici dans la vie pastorale et dans la vie de certaines communautés religieuses que l’on a pu observer, c’est le mode de fonctionnement de l’affectivité et d’une relation qui dépend de l’influence d’une orientation sexuelle. C’est bien parce que l’on observe les conséquences de cette situation et de nombreux problèmes comportementaux dans la vie pastorale et dans la vie religieuse que l’Église se doit de rappeler les conditions pour devenir prêtre.
3 – Il y a une incompatibilité foncière entre sacerdoce et homosexualité. En effet, une orientation sexuelle et affective en dysharmonie avec l’identité sexuelle ne peut pas être représentative de la configuration du prêtre au Christ, car elle conditionne la personnalité et la relation sociale dans un sens qui pose souvent des problèmes dans l’exercice du sacerdoce. Le prêtre représente le Christ et il agit in persona Christi. Cela suppose donc de se reconnaître comme être masculin, avec toute la maturation requise. C’est pourquoi la question n’est pas uniquement de s’assurer de la fidélité de la personne, mais de savoir si elle est, par nature, apte à représenter le Christ dans le ministère et si elle dispose des qualités nécessaires pour être appelée par l’Église.
Il faut préciser que l’Instruction ne concerne que les futurs candidats et non pas les prêtres, qui restent prêtres et sont invités à poursuivre leur ministère et à assumer leur engagement, y compris dans leur vie personnelle et affective. Il leur est demandé de transmettre fidèlement l’enseignement de l’Église au sujet de l’homosexualité et la morale sexuelle. Il serait aussi inacceptable de développer une attitude de suspicion et de délation à leur encontre.
Dès le début de l’Église, s’appuyant sur la Tradition biblique, l’homosexualité a toujours été une contre-indication pour accéder aux Ordres. Au cours des siècles, toute la Tradition conciliaire a constamment rappelé cette exigence de ne pas permettre l’accès aux Ordres sacrés des personnes homosexuelles, (dès les premiers conciles, cf. Concile de Grenade 300-303, etc.), et qui a été constamment notifié dans le Code de Droit canonique (un homme en cohérence avec son identité) et dans les circulaires (de la Congrégation pour l’Éducation Catholique et de la Congrégation pour le Culte Divin et la discipline des Sacrements) précisant les très nombreux critères objectifs à partir desquels évaluer une vocation au for interne et au for externe. L’Église ne peut pas appeler aux Ordres sacrés des hommes qui sont dans une situation contraire avec ce qu’elle demande.
En 1998, la Conférence des Évêques de France avait signifié cette exigence dans la Ratio, La formation des futurs prêtres, éditions Cerf/Centurion, p. 31 « La question de l’homosexualité sera abordée avec clarté. On rappellera que celui qui présente des tendances homosexuelles foncières a sa place dans les communautés chrétiennes où il doit trouver accueil et respect (voir Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2358). Mais il ne sera pas appelé au ministère ordonné et devra en conscience orienter sa vie autrement. »
4 – Avoir intégré le sens de la différence sexuelle dans sa vie psychique et la vivre comme telle n’est pas accessoire, comme certains veulent le faire croire. Cela fait partie du développement positif de tout être humain. Les structures psychiques en jeu dans la personnalité ne sont pas les mêmes selon que l’on privilégie telle ou telle tendance sexuelle et qui vont conditionner la relation sociale. Le candidat aux Ordres sacrés doit être dans les mêmes dispositions psychologiques que celles qui sont aussi requises pour se marier avec une femme et devenir père de famille. Il serait regrettable de s’engager dans le célibat sacerdotal par défaut de maturité sexuelle ou par inhibition à l’égard des femmes même si apparemment le sujet se croit à l’aise avec elles ou que certaines d’entre-elles sont comme attirées par lui pour des raisons assez complexes et ambivalentes. Un tel engagement ne peut se faire sur la base d’un déni de la différence sexuelle, non seulement en paroles mais aussi dans son être et dans sa propre existence. C’est en vertu d’une cohérence sexuelle, où psychologiquement il accède à l’hétérosexualité, que le prêtre est dans les meilleures conditions pour vivre, en vérité, le don de sa personne à Dieu dans le célibat, la paternité spirituelle et le lien sponsal à l’Église, à l’image du Christ.
Comme tout être humain, le prêtre est un être sexué et il doit s’efforcer de vivre en plénitude la différence sexuelle. En dehors de cette vision de la sexualité humaine, le célibat sacerdotal est difficile à assumer de manière équilibrée et il perd le sens théologique et spirituel qui est le sien. C’est pourquoi l’Église, en respectant des critères précis, humains, théologiques et spirituels, a la responsabilité de conférer un ministère ordonné à des hommes qu’elle juge idoines, pour le bien des communautés chrétiennes.
Tony Anatrella est psychanalyste et spécialiste en psychiatrie sociale, mais également consulteur du Conseil Pontifical pour la Famille et du Conseil Pontifical pour la Santé.
Pour en savoir plus :
– « Homosexualité et ministère ordonné » Texte de l’Instruction de la Congrégation pour l’Éducation Catholique signé par le Cardinal Zenon Grocholexcki, Préfet, Monseigneur J. Michael Miller, Secrétaire, et Commentaire de Monseigneur Tony Anatrella, L’Osservatore Romano du 30 novembre 2005 (édition française du 6 décembre 2005), L’ensemble a été publié dans La Documentation Catholique, n. 2349, 1er janvier 2006.
– Conseil Pontifical pour la Famille, Le Lexique des termes ambiguës et controversés, éditions Téqui, voir tous les articles au sujet de l’homosexualité.
– Tony Anatrella, Le règne de Narcisse, les enjeux du déni de la différence sexuelle, Presses de la Renaissance.
– Anne Marie Pelletier, Lectures bibliques – Aux sources de la culture occidentale- Cerf.