Mgr Francesco Follo, Obervateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO est revenu sur l’affaire des caricatures dans son allocution au conseil exécutif de l’UNESCO, le 12 avril dernier.
Respect de la liberté d’expression et respect des croyances, des valeurs sacrées et des symboles religieux
S’il est un lieu public et politique où une parole sérieuse et profonde peut être émise et entendue, c’est bien l’UNESCO. Nous venons d’en avoir une preuve saisissante à l’occasion de la crise internationale provoquée à propos des caricatures de Mahomet.
En effet, le communiqué du groupe des Ambassadeurs des Etats membres de l’Organisation de la Conférence islamique a affirmé son attachement aux principes de la Liberté d’expression dans la fidélité à la Charte internationale des droits de l’homme des Nations unies. Cependant, cette liberté est assortie de la responsabilité qui en découle, car, la liberté d’expression, érigée en droit fondamental, n’est pas illimitée. Chaque personne doit pouvoir être protégée contre toute forme de discrimination fondée sur la race, l’ethnie, la religion ou l’appartenance ou non à une nation. La liberté d’expression a pour objet l’épanouissement de la personne et la défense de sa dignité. Il y a donc une limite raisonnable à ce droit d’expression. L’article 19 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques l’exprime très clairement. L’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. « Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques ».
Dans leur communiqué, les Ambassadeurs ont aussi affirmé leur attachement à l’œuvre de paix à laquelle se voue l’UNESCO par le dialogue et l’alliance des civilisations et le respect du fait religieux.
Oui, quel est le lieu public et politique capable aujourd’hui de débattre sérieusement sur cette chose étrange que la foi religieuse, qui structure l’existence de millions de personnes et qui pourtant reste si étrangère à ceux qui ne la partagent pas, sinon l’UNESCO ! C’est pourquoi, aujourd’hui j’aimerais revenir sur un thème essentiel et sous-jacent à tout ce que nous venons de vivre avec la crise des caricatures, celui du respect de la dignité de l’homme. Comme l’ont souligné le Concile Vatican II, en particulier la Déclaration « Dignitatis humanae » (7 décembre 1965) ainsi que les Papes Paul VI et Jean Paul II et le Saint Père Benoît XVI, les racines de la liberté résident dans la dignité singulière de l’homme (4 décembre 2005)
Le sens de notre travail est de mettre en œuvre toutes nos ressources pour que cette dignité soit reconnue, vécue, promue et respectée. Mais il importerait de reconnaître aussi le caractère sacré de cette dignité.En effet, la liberté, si souvent invoquée durant la crise liée aux caricatures ne doit pas être sacralisée en oubliant la dignité de la personne. Parlant des réactions pourtant équilibrées de l’Eglise catholique pendant ladite crise, certains esprits critiques ont osé parler d’une « coalition d’intérêts » entre religions. Il ne s’agit pas d’intérêts mais tout simplement de la défense de la dignité et de la liberté de la personne, tant de s’exprimer que de croire. Or, cette thèse du respect, de la défense et de la promotion de la dignité humaine se trouve confronté à la question de la liberté et de la justice. Lorsque la liberté d’expression n’est pas limitée par la norme du respect de la dignité de la personne, la justice apparaît souvent comme le seul recours. Et la justice sans la liberté est une justice formelle, celle des totalitarismes et des dictatures de tout genre. Il est donc essentiel d’œuvrer en faveur de la liberté et de la justice afin de les garantir à tous .En effet, l’homme qui n’est pas libre ; l’homme privé de justice, est un homme aussi mutilé que l’homme réduit à la réalité biologique de son corps. Ici encore, toute une dimension de son être, qu’il faut bien appeler spirituelle, se trouve niée.
Permettez moi enfin de faire référence à un de nos sujets de conversations les plus fréquents à l’UNESCO, celui de l’éducation. J’ai évoqué jusqu’ici l’homme, Je voudrais maintenant me référer à la personne, entendant par là l’homme intégral, l’homme pris dans la totalité de son être, psychique, somatique, culturel, moral, politique, religieux. Pour respecter, défendre et promouvoir la dignité humaine, il faut pouvoir très simplement accepter la thèse suivante : ou bien l’éducation veut prendre l’homme en charge en toutes ses dimensions, ou bien elle manque purement et simplement son but. Il n’existe pas d’éducation « bon marché ».Si nous ne voulons éduquer que des détenteurs de cartes électorales, si nous ne voulons éduquer que de bons informaticiens, nous aurons manqué notre objectif. Le but de l’éducation n’est pas de former des citoyens et seulement des citoyens. Il n’est pas de former des hommes cultivés et seulement des hommes cultivés. Il est de former des personnes. But incontestablement plus élevé, et plus difficile à atteindre.