“Au premier jour de cette Semaine Sainte, nous pouvons acclamer, avec nos palmes, le Sauveur du monde et chanter tous ensemble : Hosanna au Fils de David !”
Nous pouvons pleurer, avec des larmes de repentir,
devant la mort en croix du Pain de la Vie
et l’entendre redire : Père pardonne-leur,
ils ne savent pas ce qu’ils font.
La route du salut est tracée désormais.
Huit jours durant, elle va nous conduire
sur les pas du Rédempteur de l’homme.
L’amour seul est digne de foi
et c’est bien pourquoi on ne va à la gloire que par la croix.
Car il y a l’éternel au-delà de la croix !
Nous savons bien, en effet, que cette pierre roulée à l’entrée de la tombe
n’est pas le dernier mot (Mc 15,46).
Il n’empêche que nous restons toujours
sur un pourquoi impossible à taire ou à oublier.
Un pourquoi auquel nous ne savons trop que répondre
tant ce que nous venons de voir dépasse l’entendement.
Même en demeurant longtemps là, à contempler le Transpercé.
Pourquoi l’avoir en effet tué, le Prince de la vie (Ac 3,15) ?
Ce ne peut être parce qu’il a été la victime malheureuse
d’un complot mené contre sa personne.
Même si, ce jour-là, tous ont formé une ligue
pour le faire mettre à mort (Ac 4,27).
Penses-tu donc, Simon, que je ne puisse faire appel à mon Père
qui me fournirait sur le champ plus de douze légions d’anges ? (Mt 26,53).
Si mon Royaume, Pilate, était de ce monde,
mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré.
Mais mon Royaume n’est pas d’ici (Jn 18,36).
Le Christ est resté jusqu’au bout le Fils
de Celui qui pouvait le sauver de la mort (He 5,7).
Alors, pourquoi cet anéantissement sur la croix (Ph 2,8) ?
Ce ne peut être davantage du fait
d’une «volonté sacrificielle du Père»
cherchant à racheter, par «l’immolation de son Fils»,
le péché des hommes.
Dieu n’a pas besoin de s’abaisser pour nous relever ;
ou de souffrir pour nous racheter.
Allez donc apprendre le sens de cette parole :
C’est l’amour que je veux et non les sacrifices (Mt 9,13).
Il n’y a ni fatalité humaine ni obligation divine,
dans la mort de Jésus au Calvaire.
Alors, pourquoi cette malédiction de la croix (Ga 3,13) ?
Ce ne peut être non plus parce que le Christ
aurait voulu nous donner ainsi un bel «exemple»
de courage et de foi, en face de la mort.
Mon âme est triste à en mourir ;
demeurez ici et veillez avec moi…
Mon Père, s’il t’est possible,
que cette coupe passe loin de moi ! (Mt 26,38-39).
Jésus est monté de Gethsémani au Golgotha
non pas comme un héros, mais comme un saint.
Et cela n’a pas empêché le chef de notre foi (He 12,2)
de quitter le monde en disant : Courage, j’ai vaincu le monde (Jn 16,33).
Car la mort qu’il a subie,
ne l’a pas pour autant désespéré ou anéanti.
Alors, pourquoi cette folie du message inscrite sur l’arbre de la croix ?
*
Frères et sœurs,
puisque le monde, créé par amour et pour l’amour,
puisque le monde par le moyen de la sagesse,
c’est-à-dire de l’acceptation de cet amour ;
puisque le monde, par le moyen de la sagesse,
n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu,
c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu
de sauver les croyants (1 Co 1,21).
Quel message donc ?
Un message d’amour, vécu jusqu’à la passion
du don le plus fou (Jn 15,13 ; Rm 5,8).
Et pourquoi cela à la fin ?
Frères et sœurs, parce que le mal était là !
Parce que le mal est toujours là.
Parce que le mal, encore, sera là.
Et parce que le dernier mot ne peut être celui du mal,
c’est-à-dire de la souffrance, de la solitude, de la tristesse,
de la mort et du péché, mais du Bien.
Du Bien, c’est-à-dire de la grâce, de la vie, de la joie, de la communion,
en un mot du bonheur enfin rendu,
retrouvé et à jamais partagé.
Souvenons-nous : dès le départ le mal a surgi.
L’arbre sec du jardin d’Eden n’a plus donné son fruit.
Douleur et convoitise — peine et sueur —
épines et terre aride (Gn 3,16-18).
Meurtre fraternel et errance au désert.
Malheureux homme que je suis, qui me délivrera
de ce corps qui me voue à la mort ? (Rm 7,24).
Aux jours de sa chair, le mal a sévi.
Le Christ a vu et éprouvé la misère de son peuple.
Des siècles durant : exils, déportations, occupations, injustices
ont labouré la route des brebis perdues de la Maison d’Israël.
Et quand Jésus fut proche de Jérusalem,
à la vue de la ville, il pleura sur elle (Lc 19,41).
Et que dire de ce siècle qui est le nôtre
(avec son cortège de guerres, de famines, de totalitarismes,
de tortures, de génocides, de suicides, de solitudes)
sinon qu’il a laissé la trace de celui qui,
tout en étant le plus civilisé, aussi aura été le plus meurtrier
et peut-être le plus cruel.
Et nous savons tous le poids de notre croix, de toutes nos croix,
certains jours, certains soirs,
au cœur de notre existence et au creux de notre âme.
*
Voilà pourquoi, frères et sœurs,
le cœur de Dieu s’est retourné.
Alors, le Fils est venu. Il s’est fait enfant des hommes.
Comme le levain dans la pâte,
il a enfoui sa nature divine dans notre condition humaine.
Il s’est chargé de nos misères pour mieux les éprouver.
Il s’est imbibé de nos péchés, pour nous en délivrer.
Et il a mis son Feu dans la froideur de la mort
en la traversant de Sa Vie (Lc 12,49).
Au plus bas de nos désespoirs il est venu nous prendre.
Il est descendu jusqu’en nos enfers pour nous en ramener.
En pleine ténèbre, la lumière du monde s’est mise en marche.
Sur un terrain de haine l’amour a fleuri.
Et la croix douloureuse de son agonie
est devenue la croix glorieuse de notre rédemption.
Ô croix dressée en nos vies, ô croix de Jésus Christ !
On comprend l’Écriture à présent :
C’est lui qui, aux jours de sa chair,
ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes,
des implorations et des supplications
à celui qui pouvait le sauver de la mort,
tout Fils qu’il était, apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance (He 5,7).
Pourquoi des larmes ?
Un midrash du judaïsme1 rapporte qu’après la chute,
Adam et Ève, le cœur contrit, pour expier leur faute,
allèrent se plonger sept sabbats d’affilée dans le fleuve Gihon,
suppliant Dieu de leur pardonner.
Ému de compassion, le Seigneur prit une perle de son trésor
et la leur donna, pour eux et leurs descendants.
Or cette perle était une larme !
Littéralement : dam hayim, le sang de l’œil.
Avec donc cette double idée de source (œil) et de vie (sang).
L’Éternel leur dit alors : Quand vous serez dans la peine,
vous verserez cette larme de vos yeux
et vous serez soulagés de votre tristesse.
Et la terre sur laquelle elle tombera en sera sanctifiée.
Et le midrash ajoute, non sans raison :
Hormis la seule descendance d’Adam,
nul vivant ne dispose de larmes pour pleurer devant la peine.
Mais, frères et sœurs, des larmes comme l’homme a pu en verser
et en faire verser, tout au long des routes
qui jalonnent son histoire !
Et comme tout d’un coup la question de notre «pourquoi»
s’éclaire d’une bouleversante lumière !
Jésus, nous révèle l’Évangile, en effet,
en proie à la détresse, priait de façon plus instante
et il se mit à verser comme de grosses larmes de sang
qui tombaient jusqu’à terre (Lc 22,44).
Et c’est à partir ce jour-là
que tous les fils d’Adam ont su
de quel immense amour a pu les aimer
le Fils de Dieu fait homme.
*
Seigneur, c’est bien pour me rendre à la vie
qu’en traversant de ta Vie la mort qui me tenait séparé de toi,
tu es venu ranimer en moi une source jaillissant en vie éternelle (Jn 4,14).
Aujourd’hui c’est du haut de ta croix
que je t’entends me redire :
Si tu savais le don de Dieu ! (4,10) ;
et encore : J’ai soif (19,28), j’ai soif de toi !
Ô Christ, Fontaine de la vie,
donne-moi toujours de cette eau-là.