Culte des défunts, christianisme et société. Le passé nous donne des clés de compréhension, interview de l’historien Michel Rouche
Sur quels modes a-t-on reçu la mort au cours de l’Histoire ?
Nos ancêtres de l’Antiquité avaient une vision de la mort profondément marquée par la peur. Les cimetières étaient hors des villes, les morts expulsés de la Cité. En faisant vénérer les reliques des Saints dans les basiliques, le christianisme inaugure une vision totalement différente. On se fait enterrer autour de ces sanctuaires, afin de participer à la vertu et à la force des saints. On édifie les cimetières à l’intérieur des villes. Vers 800, la peur de la mort est exorcisée. En priant au dessus des tombes, on a conscience de faire partie d’une même communauté des vivants et des morts. Ce n’est qu’au XVIème siècle, sous l’influence de médecins hygiénistes et sous prétexte des mauvaises odeurs que dégagent les corps, que les cimetières sont réédifiés hors des villes. C’est un retour à la Rome Antique.
Aujourd’hui, où en est-on de ces deux perceptions ?
Cette tentative d’éloignement des morts est tellement poussée qu’on en arrive à les faire oublier. Les gens meurent à l’hôpital. On ne les voit bien souvent que dans leurs cercueils et présentés d’une façon qui nie la mort. Tout se passe trop vite : « deuil en 24H » lit-on sur certaines vitrines de pompes funèbres ! On ne s’habille plus en noir. Le culte des morts ayant disparu, il devient impossible de faire son deuil.
Quelles conséquences ce déni de la mort peut-il avoir dans nos sociétés ?
Les conséquences psychologiques sont très importantes. En oubliant le passé et les générations précédentes, on refuse aussi de penser l’avenir. Nos sociétés hypertrophient le présent. La personne humaine n’est plus respectée jusque dans sa maladie et sa mort car on veut rester éternellement jeune et en bonne santé. Et quand il faut mourir, on pense à l’euthanasie. C’est une attitude paradoxale. Halloween avec ces morts qui viennent tire les vivants par les pieds signe un retour en force des mythes païens. Et réintroduit chez nous la peur dont le christianisme nous avait délivré. ; Je suis convaincu, en tant qu’historien, que la christianisation commence par une vision chrétienne de la mort.
Source : diocèse de Paris, Journal Holywins 2005