Pour le soixantième anniversaire des bombardements atomiques et de la fin de la guerre, les évêques catholiques du Japon réaffirment que la non-violence est « le chemin vers la paix », indique « Eglises d’Asie », l’agence des missions étrangères de Paris (eglasie.mepasie.org) dans son édition du 16 juillet 2005
Depuis vingt-quatre ans et la visite du pape Jean-Paul II à Hiroshima en 1981, les évêques catholiques du Japon observent un « Temps pour la paix » de dix jours, du 5 au 15 août. Cette année, pour le soixantième anniversaire des bombardements atomiques de Hiroshima (6 août 1945) et de Nagasaki (9 août 1945) et de la fin de la guerre (15 août 1945), l’épiscopat japonais a publié un document intitulé : « Le chemin vers la paix est fondé sur la non-violence », avec un sous-titre : « Aujourd’hui est venu le temps de se montrer prophétique. »
Par ce court texte, d’environ deux pages, les évêques renouvellent la reconnaissance, exprimée en 1995 à l’occasion du cinquantième anniversaire des bombardements atomiques et de la fin de la guerre, du fait que l’Eglise catholique avait « manqué de conscience » avant et durant la guerre pour assumer son rôle prophétique de protection de la vie humaine (1). Les évêques analysent également les manifestations anti-japonaises de ces derniers mois en Chine et en Corée du Sud, liées notamment aux visites du Premier ministre au sanctuaire shintô de Yasukuni. Ils appellent au respect et à la défense du « principe de séparation des Eglises et de l’Etat », inscrit dans la Constitution. Enfin, les responsables de l’Eglise du Japon demandent un meilleur partage des richesses, au Japon comme au-dehors du Japon, estimant que c’est, avec le recours à la non-violence, le moyen de sortir de la spirale de la violence dans laquelle le monde est engagé depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Dans ce texte, les évêques commencent par rappeler la « Résolution pour la paix », publiée il y a dix ans. On pouvait y lire que l’Eglise n’avait pas su se montrer prophétique dans la période précédant la guerre et durant les hostilités de la seconde guerre mondiale. Une demande de pardon « à Dieu et aux peuples qui ont eu à endurer les souffrances causées par la guerre » y était formulée. Dans le document de 2005, les évêques reprennent les mêmes termes et disent leur résolution de se consacrer à la réalisation de la paix. Ils constatent aussi que, ces dix dernières années, en dépit de leurs appels répétés à la paix, le monde « n’a pas su se défaire des chaînes de différentes formes de violence ». « Nous sommes très conscients que le temps est venu aujourd’hui pour nous de tenir notre rôle de prophètes, ce qui signifie, lire les signes des temps et faire passer le message de Dieu’ », écrivent les évêques.
Tout part de la paix, « prémisse de la dignité de l’être humain ». Les évêques tirent cette conviction de la Bible et constatent que cette notion est également « clairement indiquée » dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Constitution japonaise. Evoquant les manifestations anti-japonaises de ce printemps en Asie orientale, « particulièrement en Chine et en Corée », les évêques estiment que les raisons à ces manifestations, si elles sont multiples, sont à chercher dans les récents développements de l’actualité japonaise. Ils citent à ce propos « les interprétations de l’histoire », allusion aux querelles resurgies à propos de l’agrément officiel donné à un manuel scolaire d’histoire présentant une version « révisionniste » de faits qui se sont produits durant la guerre, « les visites du Premier ministre au sanctuaire de Yasukuni », où sont honorés les âmes des soldats morts au champ d’honneur et, parmi eux, des criminels de guerre condamnés par le Tribunal international de Tôkyô, et « le débat sur la révision de la Constitution », qui porte notamment sur l’article interdisant au Japon de recourir à la force armée pour régler les conflits internationaux.
Les évêques rappellent que Jean-Paul II, à Hiroshima, avait déclaré que « se souvenir de son passé, c’est s’engager dans l’avenir ». Fort de ce principe, « nous, Japonais, sommes appelés à accepter avec honnêteté notre histoire, une histoire qui comprend l’invasion et la colonisation violentes d’autres pays ; nous sommes appelés à réfléchir à cette histoire et à partager la reconnaissance de cette histoire », écrivent les évêques. A propos de Yasukuni, ils continuent en écrivant que les responsables de l’Eglise catholique de l’époque avaient, malgré eux et sous la pression du gouvernement militaire, admis les visites à ce sanctuaire et à d’autres temples comme autant de « rites ». « Nous ne pouvons pas dire que c’est de l’histoire ancienne et l’oublier. En ce moment même, nous faisons à nouveau face à la même crise », disent-ils, évoquant le débat sur la révision de la Constitution et les appels à assouplir le principe de séparation des Eglises et de l’Etat. Ce principe, inscrit à l’article 20 de la loi fondamentale, est issu d’une réflexion sur le fait que « l’Etat, avec l’empereur en son centre, a utilisé la religion pour promouvoir son effort de guerre ». C’est pourquoi la protection du principe de séparation est « pour nous Japonais une expression de notre résolution à ne pas répéter la même erreur, disent encore les évêques. Nous croyons que nous devons prendre fermement position sur cette question de façon à regagner la confiance des peuples d’Asie orientale et travailler ensemble pour la paix. »
Les évêques font ensuite le constat que les inégalités entre pays riches et pays pauvres s’accroissent et que le fossé qui sépare les riches des pauvres au sein de chacun des pays va en grandissant. « Le Japon ne fait pas exception », écrivent-ils. S’appuyant sur la doctrine sociale de l’Eglise telle qu’elle a été explicitée par Jean-Paul II, ils estiment qu’il ne suffit pas de transférer « le surplus » des riches vers les pauvres, ils appellent à un changement des modes de vie, des modèles de production et de consommation ainsi qu’à une réforme des « structures de pouvoir qui gouvernent aujourd’hui les sociétés ».
Depuis les attentats du 11 septembre 2001 et « les attaques qui ont suivi en Afghanistan et en Iraq », un « cercle vicieux de la violence » est enclenché. « Dans cette situation, de nombreux hommes et femmes de foi et des civils appellent à mettre fin au cycle de la vengeance et souhaitent une réconciliation fondée sur le dialogue », expliquent les évêques, qui estiment que, du fait de la renonciation à la guerre, inscrite à l’article 9 de sa Constitution, le Japon connaît « l’esprit de non-violence ». « Ne sommes-nous pas justement fiers du fait que, ces soixante dernières années, nous n’avons tué personne à la guerre et aucun de nous n’a été tué à la guerre ? », interrogent les évêques, qui concluent par un engagement renouvelé à se consacrer à la paix.
(1) Voir EDA 188, 191. Voir aussi EDA 283 et 310 au sujet du livre publié par les évêques japonais sur l’attitude de l’Eglise catholique du Japon avant et durant la seconde guerre mondiale. Publié en 1999, l’ouvrage a pour titre : « Que nous apprend l’histoire ? », avec, en sous-titre, la réponse suivante : l’Eglise a « collaboré à l’effort de guerre du régime impérial et participé aux rites shintô ».