S’ils sont de plus en plus nombreux à croire à la vie après la mort, les jeunes imaginent l’au-delà hors des sentiers traditionnels de la religion. Un article du quotidien La Croix.
«Bien sûr, que j’y crois à la vie éternelle, je suis certain qu’il y a une vie après la mort », affirme Marc, 16 ans. Ce qui est une évidence pour lui, l’est aussi, pense-t-il, pour «tous ses copains». Et il a raison. En effet, les trois dernières enquêtes européennes sur les valeurs montrent que de toutes les croyances, celle en l’au-delà est la seule qui soit en hausse (lire repères ci-dessous).
Et si les croyances positives dominent les croyances négatives, l’Enfer remporte des suffrages très honorables. Les pratiques qui relèvent du satanisme dont on sait qu’elles attirent une partie de la jeunesse un peu moins ces dernières années, semble-t-il en sont l’expression la plus inquiétante.
Comment interpréter un tel investissement des jeunes sur l’après-vie ? Yves Lambert, sociologue des religions, émet une hypothèse : «Outre les raisons générales d’espérer en une survie, dit-il, on peut évoquer le fait que ces jeunes constituent la première génération estimant que son sort sera moins favorable que celui des générations précédentes et ils ressentent avec plus d’acuité que leurs aînés, les risques de dégradation de l’environnement et la menace nucléaire. Face à ces difficultés du présent, ils veulent se donner un avenir meilleur.»
“La fin de la vie, de leur vie, est impensable”
De son côté, Claire Escaffre, secrétaire nationale des Aumôneries de l’enseignement public, insiste sur la difficulté des jeunes à accepter la réalité de la mort : «Les jeunes évoluent dans un monde où la mort, la fin de la vie et de leur vie en particulier est impensable.» Et de se souvenir de la réaction des jeunes qu’elle côtoyait lorsque survint le décès brutal de la skieuse Régine Cavagnoud, en 2001.
«Après l’annonce de son décès, ils s’exprimaient ainsi : Régine, toi qui nous entends, tu es toujours là, nous sommes avec toi etc.”, niant ainsi la séparation radicale de la mort et l’absence qu’elle entraîne.»
Comme de nombreux éducateurs, Claire Escaffre remarque que chez les jeunes, la croyance en l’au-delà est donc moins une croyance religieuse que l’expression du refus de la radicalité de la mort. Sorte de fantasme de toute-puissance, toujours réactivé au moment de l’adolescence, mais qui est sans doute conforté par une société qui «est elle-même adolescente», selon l’expression et l’analyse de Tony Anatrella, prêtre et psychosociologue.
Dans un monde qui se laisse gouverner par l’injonction de la réussite à tout prix, qui survalorise la réalisation de soi, qui se soumet au diktat du zéro défaut/zéro risque, qui développe le culte du jeunisme, la mort devient en effet inacceptable. «Ainsi, explique Olivier Artongue, psychologue et animateur d’un groupe de paroles pour jeunes à Lyon, à force de laisser croire aux jeunes que la faiblesse et les ratés de l’existence humaine sont intolérables, on les pousse à se projeter dans l’au-delà, voire à y mettre déjà un pied, plutôt qu’on ne les aide à assumer leur réalité quotidienne.»
C’est dans le même sens que Claire Escaffre analyse les pratiques de spiritisme, certes habituelles pendant les années lycées mais qui semblent augmenter et se poursuivre au-delà du bac : «Le temps d’un jeu de communication avec l’autre monde et avec ses habitants imaginaires, dit-elle, les jeunes tentent d’oublier leur finitude.»
Des jeunes incapables de définir ce à quoi ils disent croire
Mais si, pour beaucoup de jeunes, l’au-delà est une valeur sûre, sait-on ce qu’ils mettent sous cette croyance ? Quelle forme, quel type d’existence, quels pouvoirs octroient-ils à cette vie au-delà de la mort ? Difficile de se retrouver dans leurs réponses, tant celles-ci sont multiples, parfois contradictoires et souvent approximatives quant à leurs références philosophiques ou religieuses. Pour désigner ce phénomène, Yves Lambert n’hésite pas à parler de nomadisme d’un «croire hors religion», d’ailleurs en partie partagé avec leurs aînés.
Ainsi, de nombreux jeunes n’hésitent pas à affirmer une double croyance à la résurrection et à la réincarnation, sans être capables d’expliciter ni l’une ni l’autre. De même, les sondages montrent une montée sensible des croyances parallèles (astrologie, télépathie, voyance, sorcellerie, vie extraterrestre, etc.).
«Ainsi, témoigne Pierre Larrieu, animateur d’aumônerie à Dijon, je suis frappé de voir le succès grandissant des pratiques de spiritisme, telles l’écriture automatique, les tables tournantes, le chanelling, etc. Et cela, tant parmi les jeunes qui fréquentent l’Église que les autres.» Preuve s’il en fallait qu’au royaume de l’au-delà, tout est possible.
Que faut-il percevoir dans ce bricolage ? D’abord, un manque de culture des religions. Pour preuve, ces jeunes défenseurs de la croyance en la réincarnation qui en ignorent le plus souvent totalement la dimension punitive. D’ailleurs, signale Jean-François Noël, prêtre et psychanalyste, «pour les jeunes, la réincarnation, c’est surtout, comme me l’a dit l’un d’entre eux, «la possibilité d’une nouvelle chance». Car, poursuit-il, l’idée que leurs actes puissent avoir des conséquences ineffaçables ou irréparables leur est totalement intolérable. Ils préfèrent concevoir leur vie comme une succession de brouillons !»
Un bricolage qui traduit une solitude face à la question du sens
Pour autant, l’ignorance théologique n’est sans doute pas seule en cause. Du moins, Jean-François Noël, avec d’autres animateurs de groupes de jeunes, l’affirme : «Dans ce phénomène, je perçois surtout, dit-il, les effets inquiétants de l’individualisme rampant. Celui-ci est toujours à l’uvre dans notre société et marque les esprits et la pensée des jeunes.» Et d’expliquer : «Ils ne se sentent pas appartenir à une Église ou à une communauté. Aussi, c’est chaque individu qui se trouve acculé à trouver en lui-même les ressources, les points de repères et les références pour inventer le sens de sa vie et de ce qui la dépasse.»
De nombreux témoignages de jeunes traduisent en effet cette position inconfortable et quelque peu angoissante. Telle Élisabeth, 18 ans : «Quand je ne croyais qu’à la résurrection, j’étais perdue, car je n’avais pas d’amis chrétiens. Ce n’était pas suffisant pour donner du sens à ma vie. Maintenant que je crois aussi à la réincarnation et à la communication avec les esprits, je peux partager ma foi avec d’autres et je me sens plus solide. Ces trois piliers m’aident pour dépasser mes difficultés quotidiennes. Je m’appuie tantôt sur l’un tantôt sur l’autre mais, au bout du compte, je tiens debout car je sais que je ne peux compter que sur moi et sur ma foi.»
Autre témoignage, celui d’Olivier qui, depuis la mort de son jeune frère, tué dans un accident de la route, «communique régulièrement avec lui» : «Toute ma famille s’est écroulée. Je me suis senti obligé de réagir et comme mes copains sont très branchés spiritisme, j’ai essayé et je m’y suis mis moi aussi. Savoir que je suis toujours relié à mon frère me réconforte et, à mon tour, j’aimerais entraîner mes parents avec moi pour ne pas être seul.»
De tels témoignages et ce qu’ils révèlent invitent les croyants à ne pas laisser les jeunes seuls face aux questions qu’ils se posent sur l’au-delà.