A l’occasion du nouvel an chinois, nous vous proposons de retrouver un dossier du Père Jean Charbonnier, disponible sur le site des Missions Etrangères de Paris. Introduction.
En cette fin du deuxième millénaire, les communications se multiplient et se précipitent entre des mondes culturels autrefois étanches. Tandis que le bouddhisme tend à s’acclimater en Europe et en Amérique, on peut se demander dans quelle mesure le christianisme a pu s’acclimater en Chine. Les préjugés véhiculés par une missiologie encore récente tendraient à accréditer la thèse d’un christianisme demeurant religion étrangère faute d’avoir su se plier aux traditions sacrosaintes des rites chinois. Si Rome n’avait pas condamné les rites chinois, entendon dire encore, la Chine serait aujourd’hui chrétienne. Les mêmes tenants de cette théorie regrettent aussi parfois d’une manière bien peu logique que le christianisme soit devenu chrétienté en Occident. Par quel tour de force peuton juger du même coup que les institutions chrétiennes aient été un échec en Europe et qu’elles seraient un succès en Chine ? Le seul malheur peutêtre est de ne pas être Chinois.
Nos compatriotes qui s’aventurent aujourd’hui dans le monde chinois s’étonnent d’y découvrir des communautés chrétiennes dynamiques et priantes. Ils s’offusquent sans doute d’y voir des églises néogothiques et des images Saint-Sulpice. N’estce pas la preuve que le christianisme y demeure une religion étrangère? Et pourtant, comment ne pas s’émouvoir devant la ferveur de ces chrétiens qui ont tant souffert pour leur foi ? Quel est le secret de leur fidélité ?
Ce dossier voudrait relever quelques expressions culturelles chinoises de la vie de l’Eglise en vue de suggérer des approfondissements ultérieurs. Le christianisme s’estil bien intégré dans le contexte culturel chinois ? Estil possible d’être pleinement chrétien et pleinement Chinois ? Et si un processus d’acculturation est à l’oeuvre en fait depuis longtemps, doiton regretter que le message chrétien ait perdu quelque chose de son intégrité ? S’estil au contraire enrichi de nouvelles formes d’expression susceptibles de vivifier l’Eglise dans le reste du monde ?
Un malentendu persistant
Nombre de publications récentes aiment titrer “Chine et christianisme” comme s’il s’agissait de deux réalités analogues plus ou moins étanches. A la suite du congrès oecuménique de Louvain, en septembre 1974, René Laurentin publie “Chine et christianisme, après les occasions manquées” (1). C’est faire la part bien belle au présent tout en risquant de discréditer les multiples témoignages positifs d’une histoire douloureuse. L’éminent sinologue Jacques Gernet publie pour sa part “Chine et christianisme, action et réaction” (2) où il veut démontrer que pensée chrétienne et pensée chinoise sont incommunicables.
‘Christianisme et religions chinoises'(3), par Hans Kung et Julia Ching, est un titre plus heureux mais le christianisme n’y est malheureusement pas traité comme l’une des religions chinoises. Julia Ching, pourtant catholique chinoise, laisse à Hans Kung le soin de parler du christianisme et se réserve de décrire, de façon très pertinente d’ailleurs, les autres courants religieux traditionnels en Chine.
En République populaire de Chine, cependant, catholicisme et protestantisme sont comptés au nombre des cinq grandes religions de la Chine avec le bouddhisme, le taoïsme et l’islam. Les chrétiens, comme les croyants des autres religions, ont leurs représentants dans la Conférence consultative politique du peuple chinois aux divers échelons national, provincial et cantonal.
Que signifie cette place réservée aux chrétiens par le gouvernement communiste ? S’agitil de sa part d’une simple volonté politique motivée par le souci d’indépendance et de souveraineté chinoise en même temps que par la lutte marxiste contre tout impérialisme étranger ? Des associations de croyants transmettent aux religions les directives gouvernementales. Dans le cas des catholiques et des protestants, ces associations sont qualifiées de ‘patriotiques’. Tout le personnel missionnaire étranger a été chassé de Chine dès les premières années du régime il y a bientôt cinquante ans. Des dirigeants catholiques patriotiques ont affirmé à plusieurs reprises leur volonté de siniser l’Eglise (4).
Cette pression politique a eu pour effet positif de forcer les prêtres et évêques de Chine à prendre toutes leurs responsabilités dans des conditions souvent dramatiques. Ils ont relevé le défi. Non seulement ils savent administrer leur Eglise, mais ils l’ont relevée de ses ruines après les dix années désastreuses de la Révolution culturelle (19661976). Un tel effort n’a pu être accompli que sur la base d’une fidélité profonde à leur Eglise. Il fallait que l’Eglise soit bien enracinée en terre chinoise pour qu’elle puisse produire de nouvelles pousses après avoir été brutalement tronçonnée. Coupés de tout lien avec Rome et avec l’étranger pendant de longues années, les chrétiens de Chine sont demeurés bien conscients de leur identité chrétienne. Ils veulent être intégralement chrétiens en même temps que Chinois à part entière. D’où vient cet enracinement ? Comment l’arbre du Royaume de Dieu atil pu grandir en terroir chinois ? Ya-til une véritable intégration culturelle du christianisme en Chine ? Le christianisme chinois atil atteint toutes ses capacités d’expression ? Quel peut être son apport à la vie de l’Eglise universelle ?