Traduite en 58 langues (dont 23 d’Asie), cette lettre, écrite par frère Roger, de Taizé, a été publiée lors de la rencontre européenne de jeunes à Paris. Elle sera reprise et méditée durant l’année 2003 dans les rencontres de jeunes qui auront lieu soit à Taizé, semaine après semaine, soit ailleurs à travers le monde.
Parmi les jeunes générations à travers le monde, nombreux sont ceux qui s’interrogent et se demandent : existe-t-il une espérance pour notre futur ? Comment passer des inquiétudes à la confiance ?
Nos sociétés sont parfois si ébranlées. Il y a l’avenir incertain de l’humanité, avec la pauvreté en continuel accroissement. Il y a la souffrance de nombreux enfants, et tant de ruptures qui blessent les curs.
Et pourtant, ne voyons-nous pas surgir, jusque dans les situations du monde les plus troublées, des signes d’un indéniable espoir ?
Pour aller de l’avant, il est bon de le savoir : l’Évangile porte en lui une si belle espérance que nous pouvons y trouver une joie de l’âme.
Cette espérance est comme une trouée de lumière qui s’ouvre en nos profondeurs. Sans elle, le goût de vivre pourrait s’éteindre.
Où est la source de cette espérance ? Elle est en Dieu qui ne peut qu’aimer 1 et qui nous cherche inlassablement.
L’espérance se renouvelle quand nous nous confions tout humblement à Dieu. 2
Il est une force intérieure qui nous habite et qui est la même pour tous. Cette force s’appelle l’Esprit Saint. Il murmure en nos curs : « Abandonne-toi à Dieu en toute simplicité, ton peu de foi y suffit. » 3
Et qui est-il, cet Esprit Saint ? Il est celui dont Jésus le Christ a promis dans son Évangile : « Je ne vous laisserai jamais seuls, par l’Esprit Saint je serai toujours avec vous, il sera pour vous un soutien et un consolateur. » 4
Même quand nous pensons être seuls, l’Esprit Saint est là. Sa présence est invisible, pourtant elle ne nous quitte pas. 5
Et peu à peu nous comprenons que, dans une vie humaine, le plus essentiel est d’aimer dans la confiance.
La confiance est une des réalités les plus humbles et les plus simples qui soit, et en même temps l’une des plus fondamentales.
En aimant dans la confiance, nous parvenons à rendre heureux nos proches, et nous demeurons en communion avec ceux qui nous ont précédés et nous attendent dans l’éternité de Dieu.
Quand surviennent pour certains des périodes de doute, rappelons-nous que les doutes et la confiance, comme ombres et lumière, peuvent coexister dans nos vies. 6
Nous voudrions surtout retenir les apaisantes paroles du Christ : « N’ayez pas peur, que votre cur ne se trouble pas. » 7
Alors il apparaît que la foi n’est pas l’aboutissement d’un effort, elle est un don de Dieu : c’est Dieu qui nous donne jour après jour d’avancer de nos hésitations vers la confiance en lui.
Dieu ne peut qu’aimer et sa compassion est une source. Vienne le jour où nous pourrons dire : « Dieu de miséricorde, même si nous avions la foi jusqu’à transporter les montagnes, sans ton amour, que serions-nous ? 8 Oui, ton amour pour chacun demeure à jamais. »
L’un des visages les plus clairs de l’amour de Dieu est le pardon.
Quand nous pardonnons nous aussi, notre vie change peu à peu.
Trouvant dans le pardon une joie toute légère, nous voyons se dissiper les sévérités envers les autres, il est essentiel qu’elles fassent place à une infinie bonté.
Déjà avant le Christ, un croyant exprimait cet appel : « Quitte ta tristesse, laisse Dieu te conduire vers une joie. » 9
Cette joie guérit la blessure secrète de l’âme. Elle est dans la transparence d’un amour paisible. Elle n’a pas trop de tout notre être pour éclater. 10
Ils sont nombreux aujourd’hui ceux qui aspirent à vivre un temps de confiance et d’espérance. 11
Il peut y avoir dans l’être humain des pulsions de violence. Pour que se lève une confiance sur la terre, c’est en soi-même qu’il importe de commencer : cheminer avec un cur réconcilié, vivre en paix avec ceux qui nous entourent.
Une paix sur la terre se prépare dans la mesure où chacun de nous ose s’interroger : suis-je disposé à chercher une paix intérieure, prêt à avancer avec désintéressement ? Même démuni, puis-je être ferment de confiance là où je vis, avec une compréhension pour les autres qui s’élargira toujours davantage ?
Nous tenant en présence de Dieu dans une attente sereine, ouvrirons-nous des voies d’apaisement là où surgissent des oppositions ? 12
Quand des jeunes prennent dans leur propre vie une résolution pour la paix, ils portent une espérance qui éclaire au loin, toujours plus loin.
En cette période de l’histoire, l’Évangile nous invite à aimer et à le dire par notre existence. C’est notre vie qui, avant tout, rend crédible la foi autour de nous.
Cela est vrai aussi dans le mystère de communion qu’est le Corps du Christ, son Église. Une crédibilité souvent perdue peut renaître, quand l’Église vit la confiance, le pardon, la compassion, et qu’elle accueille dans la joie et dans la simplicité. Alors elle parvient à transmettre une espérance vivante. 13
Quand notre prière personnelle semble pauvre et nos paroles maladroites, ne nous arrêtons pas en chemin.14
Un des désirs profonds de notre âme n’est-il pas de réaliser une communion avec Dieu ?
Trois siècles après le Christ, un croyant africain du nom d’Augustin écrivait : « Un désir qui appelle Dieu est déjà une prière. Si tu veux prier sans cesse, ne cesse jamais de désirer
» 15
Une grande simplicité de cur soutient une prière contemplative. La simplicité est source d’une joie.16 Elle donne de s’abandonner à Dieu, de se laisser porter vers lui.
Dans une telle vie de communion, Dieu, qui demeure invisible, ne nous tient pas forcément un langage en paroles humaines. Il nous parle surtout par des intuitions silencieuses.17
Le silence, dans la prière, n’a l’air de rien. Et pourtant, dans ce silence, l’Esprit Saint peut nous donner d’accueillir la joie de Dieu, elle vient toucher le fond de l’âme.
Dans une simple prière, beaucoup comprennent un jour que Dieu leur adresse un appel. Quel appel ?
Dieu attend que nous nous préparions à devenir porteurs de joie et de paix. 18
L’écouterons-nous quand en nous résonnent ses paroles : « Ne t’arrête pas, va de l’avant, que ton âme vive ! »
Alors il nous arrive de réaliser que nous sommes créés pour avancer vers un infini, un absolu. Et peut survenir cette découverte : c’est parfois dans des situations exigeantes que l’être humain devient pleinement soi-même.
Soutenus les uns par les autres, 19 ne nous laissant pas arrêter par les obstacles, et sachant retrouver le courage d’aller de l’avant, nous saisissons qu’il y a une joie du cur, et même un bonheur, pour qui répond à l’appel de Dieu. Oui, Dieu nous veut heureux. 20
Et surgit l’inespéré. Les longues nuits à peine éclairées sont franchies. Même suivre parfois des chemins d’obscurité, loin de nous affaiblir, peut nous construire intérieurement.
Ce qui nous parle, c’est d’aller de découverte en découverte. Accueillir le jour qui vient comme un aujourd’hui de Dieu. Chercher en tout la paix du cur. Et la vie devient belle… et la vie sera belle.
Notes
1 « Dieu ne peut qu’aimer » : cette certitude a été exprimée par un penseur chrétien du VIIe siècle, saint Isaac de Ninive. Il était arrivé à cette conclusion après avoir longuement étudié l’Évangile de saint Jean et médité les paroles « Dieu est amour » (I Jean 4,8). Plus que jamais il importe aujourd’hui de le rappeler : la souffrance ne vient jamais de Dieu. Dieu n’est pas l’auteur du mal, il ne veut ni la détresse humaine, ni les désordres de la nature, ni la violence des accidents, ni les guerres. Il partage la peine de qui traverse l’épreuve et il nous donne de consoler qui connaît la souffrance.
2 À tout moment chacun peut faire sienne cette prière simple, en la disant et en la redisant en son cur : « Mon âme se repose en paix sur Dieu seul » (Psaume 62,2).
3 Un siècle après le Christ, un croyant du nom d’Irénée, de Lyon, a la claire certitude d’une communion en Dieu. Il laisse ces lignes : « La splendeur de Dieu, c’est l’homme vivant. La vie de l’homme, c’est la contemplation de Dieu. »
4 Voir Jean 14,16-20.
5 Même s’il arrive par moments que la présence de l’Esprit Saint soit moins sensible, toujours nous trouvons en lui le soutien et la consolation dont Dieu vient inonder nos vies. Oublierions-nous la présence de l’Esprit Saint en nous ? Nous reposer en lui, et nous le retrouvons où que nous soyons, dans notre demeure, au travail, dans une vie remplie d’activités
6 On voit cela déjà dans l’Évangile où nous trouvons un homme qui disait au Christ : « Je crois », mais il ajoutait aussitôt : « Viens en aide à mon incrédulité » (Marc 9,24).
7 Jean 14,1.
8 Voir I Corinthiens 13,2.
9 Voir Baruch 5,1-9.
10 La joie, qui peut demeurer toute légère, est un des fruits de l’Esprit Saint en nous (voir Galates 5,22). La joie s’émerveille. Elle donne de découvrir des éveils poétiques en chaque saison, aux jours de pleine lumière comme dans les nuits glacées d’hiver.
11 Dans la Bible, l’espérance n’est pas une création de l’imagination, elle s’enracine dans la présence de Dieu qui ne fera jamais défaut : « Je forme pour vous, dit le Seigneur, des desseins de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance » (Jérémie 29,11). Cette espérance est une certitude : « Il existe un avenir et ton espérance ne sera pas anéantie » (Proverbes 23,18). Le Nouveau Testament va plus loin, en comprenant l’espérance comme une réalité déjà à l’uvre : « L’espérance ne déçoit point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos curs par l’Esprit Saint qui nous fut donné » (Romains 5,5).
12 Pendant des siècles, les chrétiens ont connu de nombreuses séparations. Nous engagerons-nous aujourd’hui, sans retard, à tout accomplir pour vivre dans une communion les uns avec les autres ? L’appel à se réconcilier entre chrétiens séparés a suscité durant des années des dialogues et de bons échanges. Mais la réconciliation elle-même ne peut pas être remise jusqu’à la fin des temps. Comme jamais, il y a urgence à entrer sur la voie ouverte par le Christ dans l’Évangile : « Va d’abord te réconcilier » (Matthieu 5,24) « Va d’abord ! », dit-il, non pas : « Remets à plus tard ! »
Il est aujourd’hui des hommes, des femmes, des jeunes, profondément conscients de l’urgence d’une réconciliation vécue sans retard. En mars 2002, le pape Jean-Paul II en appelait à « l’cuménisme de la sainteté qui nous conduira enfin vers la pleine communion ». Puis, en octobre 2002, le pape et le patriarche orthodoxe Théoctiste, de Roumanie, écrivaient une déclaration commune qui soulignait « notre engagement à prier et à travailler pour atteindre la pleine unité visible de tous les disciples du Christ. Notre but et notre désir ardent, c’est la pleine communion qui n’est pas absorption, mais communion dans la vérité et dans l’amour. »
13 Voici quarante ans, l’homme qui a peut-être le plus profondément marqué notre communauté de Taizé, le pape Jean XXIII, sut trouver des expressions qui stimulent à ne pas s’arrêter, mais à aller de l’avant, entre autres celles-ci : « L’Église préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. »
14 Si pour certains la prière dans la solitude est ardue, la beauté d’une prière chantée, même à deux ou trois, est un incomparable soutien de la vie intérieure. À travers des paroles simples, des chants longuement repris, elle peut rayonner une joie. À Taizé ou lors de rencontres sur les divers continents, nous découvrons qu’une prière commune chantée ensemble donne de laisser monter en soi-même le désir de Dieu et d’entrer dans une prière contemplative.
15 De saint Augustin aussi ces paroles : « Si tu désires connaître Dieu, tu as déjà la foi. »
16 Avec mes frères, chercher la simplicité, celle du cur et celle de la vie, est plus que jamais au centre de notre vocation, et cela, que nous vivions à Taizé, ou que nous vivions en petites fraternités de quelques frères parmi les plus pauvres dans les continents du Sud. Plus nous avançons, plus nous nous rappelons que nous sommes des pauvres de l’Évangile. Alors nous nous disons : « Soyons des hommes d’écoute, non pas des maîtres spirituels ! »
17 À propos de la prière, saint Augustin écrit : « Prier beaucoup, ce n’est pas, comme certains le pensent, prier avec beaucoup de paroles Écartons donc de l’oraison les nombreuses paroles, mais prions beaucoup dans le silence du cur. »
18 « Nous sommes appelés à dépasser les limites de nos communautés fermées, à transcender les préjugés, les hésitations, nos craintes, et à témoigner du Christ ressuscité, autant que nous le pouvons, pour rencontrer l’homme contemporain et les problèmes brûlants qui se posent à lui. Il ne s’agit pas de se confondre avec le monde, mais de l’aider à s’orienter (…), pour permettre à chaque être humain d’atteindre la liberté et la dignité. » (Mgr Anastasios, de Tirana, primat de l’Église orthodoxe d’Albanie.)
19 L’isolement porte au découragement et ne permet pas l’épanouissement des dons de chacun. Pour qu’ils soient soutenus les uns par les autres, depuis des années nous proposons aux jeunes de participer à un « pèlerinage de confiance sur la terre ». Celui-ci leur permet de se découvrir liés à tant d’autres jeunes par une même recherche de Dieu, par une même espérance, et par des engagements complémentaires. Et cela, sans pour autant créer un mouvement organisé autour de notre communauté de Taizé.
20 Dans les épreuves de notre vie, nous réalisons peu à peu que la source d’une joie n’est ni dans les dons prestigieux, ni dans les grandes facilités, mais dans l’humble don de soi-même, pour comprendre les autres avec la bonté du cur. Une joie nous attend toujours quand, dans nos vies, la simplicité est associée à la bonté du cur.