La revue Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens enquête sur ce désir de beaucoup de jeunes.
Trouver un “ailleurs” qui change de la routine, des enfermements ; chercher à être bousculé ; donner de sa personne pour découvrir ses limites et participer à la solidarité entre les peuples : enquête sur les vrais raisons des départs.
Je rêve de rencontrer d’autres gens, d’autres paysages, de faire de nouvelles découvertes, confie Romain, 17 ans, sur le forum de Phosphore.com. Bref, de partir, quitter cette routine que je déteste. On a tant à voir, pourquoi s’enfermer ? “J’ai envie de partir depuis l’âge de huit ans, ajoute Marie-Alix, 19 ans. Le témoignage d’une jeune fille qui revenait d’un séjour humanitaire, les photos qu’elle a montrées et cela a été comme un électrochoc : d’autres petits enfants n’avaient pas la même chance que moi et il fallait qu’un jour je partage cette chance avec eux. Pour des raisons très variées, ce désir de faire un jour un break pour voir d’autres horizons est présent chez la majorité des jeunes d’aujourd’hui. A cela s’ajoute la volonté d’aider les autres et si possible les plus pauvres
Le monde à découvrir
Déjà ici en France, on assiste à une mondialisation de la culture. Avec Internet, le cinéma, les médias, la musique, les modes vestimentaires qui viennent des quatre coins du monde, les voyages moins chers, l’immigration et la revendication des différentes origines culturelles. Par goût d’exotisme, les voyages attirent, avec la recherche de tout ce qui est lié aux sens : le beau, les odeurs, les couleurs
les jeunes partent aussi de plus en plus facilement faire un stage ou des études en Europe ou aux Etats-Unis. Nombreux sont ceux qui se sentent vraiment citoyens du monde. Les volontaires au départ expriment le désir d’ouvrir les yeux sur les réalités du monde et aussi de s’impliquer en utilisant leurs compétences pour construire des liens de fraternité entre les peuples ou pour aider le monde à devenir plus juste, plus équitablement partagé entre tous. Le P. Michel Besse, un des responsables Amos, mouvement animé par les Spiritains qui organise de courts séjours humanitaires (deux à trois mois) insiste sur l’importance des questions éthiques (économie solidaire et développement durable), surtout chez les jeunes qui font des études commerciales : Ils ont acquis les outils et les techniques, mais se posent la question du sens.
J’ai besoin de mûrir
Chacun, également a besoin de sortir du chemin tracé par ses parents pour aller s’exposer ailleurs. Mettre beaucoup de distance facilite la séparation, commente Jacques Arènes, psychologue, permet de sortir de l’enfance et d’entrer dans l’âge adulte. J’ai besoin de mûrir loin de ma famille, déclare Claire, 17 ans. Partir pour un long séjour à l’étranger, c’est toujours faire un voyage initiatique : se prouver et montrer aux autres que l’on est capable d’affronter la vie tout seul et trouver un sens à sa vie. Je veux changer de cadre de vie pour me remettre en cause personnellement, affirme Xavier, 23 ans sur sa fiche de candidature pour partir deux ans en coopération avec la Délégation catholique à la coopération DCC. Un clin d’il à l’Alchimiste de Paulo Coelho, argumente aussi Stéphane. Je veux accomplir ma légende personnelle. Vivre autre chose, ne pas me laisser enfermer dans un train-train, dans des préoccupations identiques, dans des priorités standart. Je souhaite être bousculée, dit à son tour Martine, 22 ans. Notre monde occidental manque d’idéal, ajoute Marie-Alix, je veux apaiser ma soif d’idéal en sortant des sentiers battus, en me donnant non pour la rentabilité mais pour une action humaine désintéressée.
Faire le break pour se trouver
A l’âge lycéen et étudiant, on a le sentiment de subir des pressions fortes depuis que l’on est petit. C’est comme si on avait cherché à vous formater. Ouf, on aurait besoin de respirer ailleurs, surtout avant de s’enfermer dans le monde du travail. Ce monde fait peur, explique Jacques Arènes. Il apparaît comme une machine qui ne s’arrête jamais et dont la logique est implacable. Et aussi, pour certains, ici tout paraît complexe et grisâtre. L’ailleurs représente la libération. L’Afrique, entre autres attire, ajoute le psychologue, car c’est l’antithèse de l’Europe. On n’est pas toujours pris par son agenda, les gens sont accueillants, souriants, spontanés
Ces images sont un peu mythiques, mais correspondent à des carences de notre société (réussite à tout prix et manque de spontanéité).
Le désir de rupture peut même aller encore plus loin : certains candidats au départ sont prêts à abandonner pour un temps le cocon enfermant de l’argent et du confort. Avant leur départ, raconte le P. Charles-Henri O’Neill, jésuite qui accompagne des sessions-retraites, les volontaires perçoivent qu’une forme de pauvreté va les aider à rencontrer les autres, à se rencontrer eux-mêmes. Ils savent qu’ils ne pourront pas éviter des découvertes affectives pas toujours faciles. Ils veulent être sincères avec eux-mêmes et connaître leurs limites : J’aspire à vivre une vie de simplicité, et de difficulté pour apprendre plus sur moi et me construire, déclare Agnès. Jérôme Musseau de la DCC constate la volonté chez certains jeunes, très qualifiés, très connectés en France de faire un saut vers ce qui est peu repérable : le pauvre, afin de discerner ce qui est vraiment essentiel dans leur vie.
Rencontrer l’autre, les mains vides
Le mythe du french doctor est tenace, constate Anne Furst, responsable de la branche Compagnons des Scouts de France. Au départ, les compagnons (17-20 ans) rêvent tous d’un grand projet humanitaire : avant tout, partir pour agir au service des plus pauvres. Notre travail d’accompagnement, explique-t-elle, consiste à permettre aux jeunes de mettre l’accent sur la rencontre, plus que sur l’action pure. L’Afrique et l’Asie ne sont pas le terrain de jeu des jeunes occidentaux et il est essentiel qu’ils partent avec des idées de partenariat et de réciprocité. Il faut savoir aller rencontrer l’autre les mains vides. Nous voulons, affirme l’équipe compagnons de PalaiseauVillebon (91), avoir un contact direct avec des personnes que nous aidons, essayer de les comprendre et de nous impliquer concrètement, ouvrir notre regard sur une culture différente, dans un contexte climatique et social très différent du nôtre. Selon Manuèle Derolez de la DCC, sur les 234 coopérants qui viennent de partir, 71% ont donné comme motivation le désir d’aller de façon durable à la rencontre d’une autre culture. Ils veulent quitter le côté superficiel des voyages, explique-t-elle, faire l’expérience d’être étranger de rechercher quelque chose d’authentique et profond. On dit les Français donneurs de leçons et râleurs. Mais beaucoup partent avec une grande humilité, avec la volonté de s’imprégner de cette culture, de se mettre à l’école de l’autre.
Déplacé, dépouillé, transformé
Certains volontaires au départ, disent enfin être motivés par leur foi, pour répondre concrètement à l’appel du Christ en prenant du temps pour les autres, pour participer à l’uvre de Dieu. Les jeunes, constate Jacques Arènes ont parfois des difficultés à retrouver la figure du Christ dans leur prochain, ici, dans notre monde individualiste occidental. Leur désir de l’ailleurs est lié à cette recherche spirituelle de l’autre, mais d’un autre dépouillé, pauvre et accueillant. Croyant ou non chacun est en quête d’une vérité humaine, sans rationalité, sans raisonnement, une quête un peu mystique qui peut se prolonger, même après le retour.
Partir dans cet “ailleurs”, tous ne concrétisent pas ce désir, mais ceux qui y arrivent et qui se sont bien préparés (voir article page 22) parcourent un tel chemin que malgré les difficultés, ils sont rarement déçus. Partir, c’est accepter, non sans quelques risques, d’être déplacé, dépouillé, transformé.