Dans son nouveau numéro, la revue Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens nous entraîne dans la perspective de la rencontre de Taizé en Ile de France sur le thème de la Confiance
Pourquoi ne pas laisser ce mot de “confiance” ouvrir en nous quelques chemins, au hasard de la langue ? Ces chemins conduisent tous à des béatitudes.
1 – Confier une tâche
“J’ai besoin de vous”. Tout a commencé à Taizé par une parole de ce genre, dite à Frère Roger par une vieille paysanne du village, en pleine guerre de 40. Tout y continue par cette même parole. Car la confiance naît humblement, dans le geste de service qu’elle sollicite, dans le crédit fait à l’initiative qu’elle suscite : “Donne-moi à boire”. Et les tâches ne manquent pas : accueillir, renseigner, inviter au silence, au chant, à la parole. Jardiner, nettoyer, faire la vaisselle, distribuer les repas. Rien n’est imposé : la confiance se met mal à l’impératif. Mais tant d’énergies disponibles n’attendent qu’elle pour se donner.
Heureux celui qui se sait utile sans se sentir utilisé. Heureux celui à qui sa tâche n’est pas prescrite mais confiée.
2 – Confier un secret
D’où vient que, dans cette foule anonyme de jeunes de toute nation, peuple et langue, chacun existe comme une personne singulière ? Que chacun s’éprouve un, unique ouunifié ? “Tu as du prix à mes yeux, car je t’aime”. Accéder à soi est de l’ordre du secret qui ne peut être forcé, mais seulement confié. A travers le silence et le chant, dans l’offre d’écoute fraternelle, le soir, dans le seul à seul de la prière, un secret monte parfois du plus profond de l’âme, se fraie un chemin de parole, ou simplement envahit la conscience de sa paix.
Heureux celui à qui est ainsi confié le secret de son identité pour Dieu et pour toujours. Heureux celui qui reçoit de notre Père qui voit dans le secret le caillou blanc où est gravé son nom de fils, son nom d’éternité.
3 – Se confier
Dans ce monde bruissant de paroles, ruisselant de communication, d’où vient qu’il est si rare de se rencontrer en vérité ? Peut-être parce que cette rencontre n’est jamais de l’ordre de l’information, ni même de l’explication, fût-elle armée de toute la compétence psychologique requise. La vérité de chacun se dérobe au savoir et aux prises, mais s’offre à la mutuelle confiance. Lorsque des jeunes de toutes origines se retrouvent à Taizé, loin de leurs attaches culturelles, professionnelles ou même confessionnelles, il ne leur reste à se confier que cette vérité. Confidence qui ne repose ni sur un passé ni sur un avenir communs, indépendante de toute compétence, de tout mérite, de tout droit. Simple partage de ce que chacun est dans l’aujourd’hui de Dieu.
Heureux celui qui, se confiant dans le risque de la rencontre, en reçoit une confiance renouvelée. Elle ne lui sera pas ôtée.
4 – Garder confiance
Etrange formule ! N’est-ce pas plutôt la confiance qui nous garde ? C’est même elle qui garde le monde, renaissante avec chaque regard d’enfant posé sur lui comme pour une première fois. Il faut des lieux, et Taizé en est un, où puissent être entendues sans indifférence et accueillies sans désespérance toutes les détresses du monde, de Sarajevo à Calcutta, de Gaza à New York. Des lieux où elles suscitent moins des résignations ou des révoltes que des courages. Où la confiance n’est pas gardée par un optimisme de façade ou par les illères des peuples nantis. Où c’est la confiance qui nous garde.
Heureux celui qui vit, yeux ouverts et mains prêtes à l’emploi, sous cette seule garde.
5 – Confier une mission
“Chacun reçoit une part de don pastoral”, écrit Frère Roger. Le nom nouveau reçu dans la prière ne se prononce qu’au vocatif : c’est le nom d’un appel, le don d’une mission. Une mission ne se détermine pas par avance, avec plan de route et gîtes d’étapes. Elle se reçoit dans l’Esprit Saint, le grand traceur de chemins inédits, le grand improvisateur des uvres de Dieu. Aussi ne peut-elle être que confiée. Taizé n’a jamais voulu être un mouvement ou un groupement. Taizé est une source. Une source ne préjuge pas du cours du fleuve. Il lui suffit de l’alimenter.
Heureux celui qui, buvant au passage de cette source, repart d’un pas ferme vers sa propre mission, à lui seul confiée.
6 – Inspirer confiance
Car la confiance est bien une espèce d’inspiration : un souffle fragile et pourtant irrésistible. Un murmure de brise légère qui dit l’insaisissable proximité de Dieu. Seuls peuvent inspirer confiance les hommes nés de ce souffle dont nul ne sait pourtant ni d’où il vient ni où il va. Vivant de ce souffle, dans ce souffle, la communauté de Taizé peut inspirer confiance : la recevoir des jeunes, comme un élan jamais tari d’inspiration nouvelle ; l’insuffler en eux, comme le don contagieux de l’Esprit.
Heureux celui qui accorde son cur au rythme discret de cette respiration.
7 – Faire confiance
La faire comme on fait une promesse : y engager sa liberté d’homme. Croire sans voir, avant de voir et parfois malgré le visible. La faire comme on fait un ouvrage : la produire en celui à qui elle a été refusée, en celui qui l’a perdue. La mettre au monde. A Taizé les jeunes ne sont pas une catégorie sociologique, ni le bouc émissaire du monde adulte, ni le miroir aux alouettes de la société de consommation. Ils sont les partenaires d’une confiance. Il n’est pas si facile que cela de croire en la jeunesse. Il n’est pas si facile non plus d’être l’objet de cette confiance : elle n’exige rien, mais elle attend tout.
Heureux celui qui fait confiance : il ouvre dans le monde la brèche du possible. Heureux celui à qui confiance est faite : de cette brèche jaillissent les eaux vives.
8 – Donner confiance
Le don le plus impalpable. Le moins capable de piéger son destinataire. Le plus libérateur : “Va au large”. Le plus inépuisable : “Je serai avec toi”. Celui qui donne confiance a donné tout ce qu’il avait, et même plus qu’il n’avait. Il a posé sur l’autre le regard de Dieu sur sa création ; le regard du Christ sur Pierre dans le matin de Tibériade, à la première rencontre, et ce regard encore, après la trahison, dans la lumière de la résurrection. Il lui a fait pressentir la motion délicate, permanente, de l’Esprit Saint à l’intime du cur.
Heureux celui qui quitte Taizé riche de cet unique trésor et prêt à devenir à son tour, pour l’inconnu de passage, donneur universel de confiance.
Découvrez de nombreux autres articles sur ce thème dans la revue Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens, oct – nov 2002, n° 15