« Nous sommes des combattants et nous avons une passion au fond de nous, la vie »
SYNOPSIS
Ce film est un road-movie plein de musique et de poésie qui nous emmène dans les quartiers chauds de Paris, sur les routes de France, à Marseille, New York, Montreal et Dakar. Paulo, jeune écrivain suit les errances du musicien Richard, au gré de ses rencontres, ses amours et sa façon de concevoir la vie. Pendant ce voyage initiatique, Paulo va partager avec Richard ses expériences multiples et étranges, lui ouvrant la porte d’un monde passionné, poétique et enchanteur…
Depuis les années 90 Richard Bohringer avait pris ses distances avec le cinéma. L’adaptation au cinéma de son livre C’est beau une ville la nuit qu’il met ici en images prouve qu’il a bien fait de revenir à l’une de ses passions et de passer derrière la caméra. Loin des chemins conventionnels et commerciaux du cinéma français, il réalise ici un film singulier, une météorite cinématographique qui ne ressemble qu’à lui.
C’est beau une ville la nuit se présente sous la forme d’un road-movie. Nous suivons la route d’un groupe de blues en tournée en France, au Canada puis en Afrique. Sur le chemin, Bohringer évoque sa vie, celle de sa fille et de tous ses frères de misère. Des itinéraires différents, marqués par des ruptures et des cicatrices. Son personnage d’homme « crucifié » – pour reprendre un des termes du film- réalise la communion entre tous les autres personnages qui l’entourent. Bohringer, à l’écran comme dans la vie, à travers son œuvre, cristallise toutes les histoires meurtries, les appels à vivre. Le personnage joué par Robinson Stevenin, le jeune écrivain Paulo, son double imaginaire, lui permet de placer au cœur de son film l’expression de l’amour qu’il veut développer sous tous les modes. Paulo apparaît à l’écran comme l’ange, icône de la pureté de l’amour. Il l’associe au personnage de Romane, sa fille, qui joue son propre rôle. Les deux amoureux appartiennent au monde de l’enfance et de l’innocence. A travers eux le réalisateur exprime la part de rêve porté en chacun (cf. scène des trois vœux par exemple). Ce regard du père sur sa fille insuffle la part romanesque(!) et littéraire du film.
Le film comme c’était le cas pour le livre ne peut pas être séparé de l’homme Bohringer. Entre autobiographie et roman, il porte le sceau de sa personnalité. Un écorché vif en quête d’amour dans les combats de l’existence. C’est beau une ville la nuit existe à l’écran comme une prière inspirée au spectateur. Entre l’oiseau égorgé des premiers plans et l’amour intemporel évoqué à la fin du film, Bohringer évoque sa vie d’homme blessé qui prend sans cesse son envol. Un être de passage sur la terre, en pèlerinage dans la vie qui, avec ses proches, vit intensément les moments de l’existence pour y exprimer la puissance des sentiments amoureux.
Son cinéma porte les multiples traits de sa personnalité. Un cinéma dont il est même difficile de caractériser l’unité formelle. Bohringer s’inspire de la liberté de filmer d’un Cassavetes, il rêve en effet d’un cinéma sans plan de travail, sans autorisation, mobile, léger et profond, pris sur le vif. Le réalisateur a autant de facettes (écrivain, poète, chanteur, musicien, voyageur…) que son film détient de styles. Mais à chaque scène, chaque plan, sur chaque visage filmé la recherche de la vérité. Les images évoquent la quête de l’humain, l’intérêt porté à la personne, l’amour des gens. Comment le cinéma pourra-t-il rejoindre au mieux l’authenticité de l’existence, la force de la vie ? Telle est la quête du réalisateur pour qui filmer est une impérieuse nécessité, un « laboratoire » des états d’âme et non un acte artistique commercial de bourgeois (cf. scène marquante de Romane Bohringer filmée en gros plan, dirigée par la voix off d’un metteur en scène qui lui explique stupidement les émotions qu’elle doit produire à l’écran). Bohringer respire et il tourne, sans calculs. Les images sont pour lui des exorcismes, des cris, des prières, une espérance et des rêves…
La quête l’emporte jusqu’en Afrique qui compose la dernière partie du film (Occasion de revoir de très belles images du Senegal, à St Louis, au Djoudj notamment). Rien de plus puissant et de plus authentique que ce continent pour donner à cet amoureux de l’Afrique le terrain idéal de l’expression de la souveraineté de la vie. Méditative, la caméra balaye les rues, le mouvement des foules et de la vie, les paysages puissants et lointains. C’est beau une ville la nuit s’achève en prenant le large, à l’image du bateau qui glisse paisiblement le long du fleuve : les amoureux se retrouvent en songe, l’amour restera et ne se dissipera jamais.
Romane a déclaré au sujet du film de son père « Ce film est une seule grande image pour moi (…) si bien que le cinéma se confond avec la vie ». A sa suite et sans hésiter on pourrait dire aussi que C’est beau une ville la nuit offre au spectateur un bel éclat d’éternité au cinéma.
LE LIVRE
Alors qu’il est au sommet de sa carrière d’acteur, il publie en 1988 « C’est beau une ville la nuit ». Ni un roman, ni une autobiographie, mais tout cela à la fois. Des souvenirs, des blessures jamais refermées, des rencontres magiques, des histoires d’amitiés enfuies et d’amours malheureuses, des signes mystérieux, des émotions partagées, des vertiges et des descentes aux enfers. Le livre d’un écrivain. Un vrai, qui a traversé les ténèbres et trouvé sa lumière. Un auteur hanté par Cendrars,
Kerouac et London, bercé de jazz et de blues. Le succès est tel qu’il noue à jamais entre Bohringer et le public des liens chaleureux indéfectibles.
LE FILM
Ce film, il y a longtemps qu’il tournait autour. Et puis, un jour, il y a deux ou trois ans, il a senti qu’à soixante ans et quelque, il ne pouvait plus se dérober devant ce qui était son destin. « Il n’y a pas eu de vrai déclic, dit-il. Juste l’impérieuse nécessité.
Il se met au travail avec un scénariste, Gabor Rassov pour qu’il l’aide à trier dans ses souvenirs, tout en sachant que ce scénario n’est « qu’un prétexte, qu’une rampe de lancement, qu’une porte ouverte sur le hasard et la vie qui, j’en étais sûr, ne manqueraient pas de faire irruption sur le tournage ».
S’il y joue son propre rôle, il demande à François Négret, qu’il considère « comme un fils », d’interpréter son personnage jeune et à Robinson Stévenin de jouer en quelque sorte son double imaginaire : un jeune écrivain qui, ne lâchant jamais sa vieille Underwood, écrit l’histoire au fur et à mesure qu’elle se déroule, et s’apprête donc à revivre tout ce que Richard a vécu « mais en plus gai ». Le tournage se déroule sur trois mois, de septembre à décembre 2005, entre la France, le Canada et l’Afrique. Le scénario n’est vraiment qu’un point de départ. Lui qui disait dans “Le bord intime des rivières”, « je ne suis pas un gars de la syntaxe, je suis de la syncope, du bouleversement ultime », entend filmer comme il écrit. « A l’inspiration ». Et il reconnaît que ça ne simplifie pas toujours le travail de l’équipe. Il rêve en effet d’un cinéma sans plan de travail, improvisé et filmé à la volée. Il voit son film comme il voyait son livre. Ni roman, ni autobiographie, ni document-vérité mais tout cela à la fois. Entre le récit initiatique, le road-movie, le home-movie et le carnet de voyage d’un groupe de blues en tournée. Entre les souvenirs, le chant d’espoir, la déclaration d’amour d’un père à sa fille, d’un écrivain à l’écriture, d’un musicien à la musique, d’un homme à la vie… Un film comme son livre, comme ses livres, qui serait comme l’un des morceaux choisis d’un blues incessant et cadencé et ne ressemblerait à rien d’autre qu’à son auteur.
Les prises de vues terminées, il réécrit le film une troisième fois. Avec la complicité éclairée et chaleureuse du monteur québécois, Yves Langlois. Comme des musiciens faisant des variations sur un thème, ils cherchent ensemble le rythme des images, la cadence des séquences, déplaçant les unes et les autres au gré de leur inspiration, rajoutant une voix off, modifiant la musique, soulignant un effet, libérant une émotion, sans cesse remettant sur le métier leur ouvrage. Jusqu’au tout dernier
moment. Jusqu’au moment où il lui faut bien accepter que, désormais, le film vive sa vie sans lui.
« Ce film, c’est un hymne à la liberté, à l’amour, au droit de rêver, au droit d’envoyer sa jeunesse plus loin que l’horizon. C’est aussi une prière, un film incantatoire, qui dit que si on n’est pas bien là où l’on est, il faut prendre la route, il faut se jeter avec passion dans quelque chose qui vous ressemble…
Je me dis que ce sont des choses qui devraient parler à tous ces jeunes lascars, à toutes ces jeunes filles que je croise sur la route, dans mes concerts, dans la rue… » Et là, on se met à penser à ces mots du “Bord intime des rivières” : « J’écris pour être avec les autres. Ceux que j’ai connus. Ceux que je vais connaître. Ceux que je ne connaîtrai jamais. J’écris pour être meilleur humain. Pour éviter la disgrâce » Il suffit juste de remplacer le mot écrire par le verbe filmer pour comprendre que le blues
âpre et profond qui monte de l’oeuvre de Bohringer ne connaît pas de frontière et qu’il est riche d’autant de mélancolie que d’espérance.