Le tout premier film de Zviaguintsev, un jeune réalisateur russe, amène chacun à se situer par rapport à sa propre image du père et à son rapport à l’autorité.
Traiter de l’image du père, d’une manière ou d’une autre, c’est traiter de l’origine, du don de la vie. En ce sens, le Retour détient une forte dimension religieuse et renvoie à la notion de Père Créateur tout puissant, que l’on trouve dans les grandes religions.
Le film n’évoque pas la figure d’un père aimant, pardonnant tel que révélé par le Christ. Le père qu’il met en scène serait plus proche du Dieu de l’Ancien Testament par son impartialité, sa rigueur et sa violence. Un père revenu pour rependre en main ses deux fils livrés à eux-mêmes. Sur le plan symbolique et religieux, une sorte de prophète venu remettre en ordre un monde troublé. Mais il n’a rien de christique. On ne sait pas d’où il vient, ce qu’il veut. Son attitude menaçante inspire la crainte et la méfiance. Il n’exprime pas de tendresse ou de compassion pour ses enfants.
Pour nous, spectateurs de 2004 , vivant au sein d’un monde qui exalte le sentiment et fait parfois de la « faiblesse » ( fragilité ) un modèle médiatique, ces images ne peuvent que nous provoquer. Sur le plan religieux, la figure du Père montrée ici est celle d’un Dieu que l’on rejette ou, tout du moins, elle représente une image divine à dépasser, à convertir. Suivre un Père venu redresser et juger représente certes une dimension bien biblique et spirituelle de la foi mais il s’agit d’une foi qui n’est pas passée par le tamis du pardon et de l’amour pleinement révélé par le Christ pour ce qui est du christianisme. Une foi débarrassée de la peur en somme.
Le Retour donne donc une image de Dieu que l’on pourrait trouver dans l’Ancien Testament mais il s’en tient là. Cela dit, la fin du film ouvre un avenir pour les deux fils. Leur vie est transformée par la rencontre avec ce père, si difficile soit-elle. Une fois le père englouti sous les eaux (mort et enterré symboliquement) les enfants commencent seulement à découvrir leur filiation, le manque commence à s’installer. Ils n’ont plus à vivre sous le régime de sa loi. Ils ont assimilé son message en se confrontant à lui et peuvent alors faire acte de reconnaissance. Cet homme dur et antipathique était bel et bien leur père. Peut-être découvriront-ils que sa rigueur les a aidé à devenir d’avantage des hommes ?
Voici donc une illustration cinématographique originale de la foi à un Dieu aimant et humain, si difficile à vivre pour beaucoup de nos contemporains. La confiance innée que nous voulons mettre en Dieu (tout homme se pose à un moment ou a un autre la question de l’existence de Dieu) est déformée par de fausses images, comme celles d’un dieu pervers, méchant, injuste. Paradoxalement c’est souvent à partir de telles images que débute la foi, lorsque nous sommes confrontés à la souffrance et que peut alors se révéler un Dieu pleinement humain, aimant, si on parvient à découvrir qu’il peut compatir et même souffrir avec nous.
Ce film énigmatique laisse une part importante à l’interprétation. A un autre niveau il évoque sans peine un autre « retour » : celui d’un monde qui perd la foi et la confiance, tenté par le doute existentiel et la peur, un retour du mal en quelque sorte Le comportement de ce père à lui seul donne – à un niveau symbolique- le reflet de notre obsession de la loi au sein d’une société désorientée et sans repères.
Le film peut aussi souligner la fragilité ou l’absence du père dont on parle aussi beaucoup aujourd’hui. Plus généralement Zviaguintsev s’interroge sur l’origine de notre vie où il est urgent de renouer avec ce qui fait son humanité et ses racines. La quête des origines, la figure du père, le cinéma, depuis ses débuts (Chaplin, Griffith) n’a cessé de les exprimer, de les rechercher. Le Retour poursuit cette quête à son tour mais en donnant une vision plutôt dérangeante de la paternité et de la filiation. On est loin de ces papas cools dont regorge le cinéma américain et qui font partie des représentations modernes du père à l’écran. Ici, le père est un homme viril et charismatique, une sorte de pater familias antique, immuable, insensible bref un modèle de père en voie de disparition !
Une des raisons peut-être pour lesquelles ce film a marqué le public et en premier lieu le jury du festival de Venise qui lui a attribué le Lion d’Or l’an dernier.