Ce pape nous a appris que la liberté s’épanouit dans la foi, menacée aujourd’hui par l’oubli de la transcendance et le refus du surnaturel. Un article Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’UNESCO à l’occasion des 25 ans de la visite de Jean Paul II à l’Unesco. Tribune parue dans La Croix du 30 mai
Il y a vingt-cinq ans, le 2 juin 1980, en visite à Paris, Jean-Paul II déclarait à l’Unesco : « Moi, fils de l’humanité et évêque de Rome, je m’adresse directement à vous, hommes de culture, de science : la paix du monde dépend de la primauté de l’esprit ! Oui ! L’avenir pacifique de l’humanité dépend de l’amour ! »
Par où commencer cette tâche immense qui nous incombe et que Jean-Paul II confiait alors à l’Unesco et à tout homme de bonne volonté ? Il faut partir « de l’homme », répond Jean-Paul II, de l’homme réel, considéré dans sa réalité concrète et historique, en fournissant ce « supplément d’âme » dont parlait Henri Bergson dans Les Deux Sources de la morale et de la religion. En prolongeant l’intuition de ce grand penseur, ce « supplément d’âme » devra aller dans le sens de la solidarité, ou, mieux encore, de la charité, au sens évangélique du terme. Charité que la technique ne peut mesurer, mais dont cette dernière a cruellement besoin.
Le discours exceptionnel de Jean- Paul II, ce 2 juin 1980 à l’Unesco, a eu le mérite d’anticiper une grande partie de l’enseignement de ce grand pape infatigable sur les thèmes de la culture, de l’éducation et de la science. Il a montré comment il est possible de bâtir un monde nouveau, où le développement et l’économie ont un visage humain, où les droits de l’homme et le droit international sont réglés par la logique de la charité et non par la logique de l’homo homini lupus (« l’homme est un loup pour l’homme »).
« L’humanité intégrale s’exprime dans la culture », affirmait Jean-Paul II, quand le mot « culture » n’était pas encore devenu le slogan de revendications identitaires et de batailles communautaristes. En effet, aujourd’hui, parler de culture signifie affronter tous les problèmes d’une façon profondément humaine. Comme le disait Jean-Paul II dans son discours, « L’homme vit une vie authentiquement humaine grâce à la culture. (…) Grâce à la culture, l’homme devient plus homme. » Il « est » plus.
Loin d’être une simple célébration qui unit la joie de l’anniversaire de la visite de Jean-Paul II à l’Unesco et le deuil de sa récente disparition, le colloque qui se tiendra ce 2 juin 2005 à l’Unesco veut être une relecture de son discours qui conduise à l’actualité que le pape avait toujours présente à l’esprit d’une façon lucide (1).
Jean-Paul II avait déjà annoncé prophétiquement que la libération « des totalitarismes, impérialismes ou hégémonies pour lesquels l’homme ne compte que comme objet de domination et non comme sujet de sa propre existence humaine » pourrait arriver si la diversité des cultures était insérée dans les horizons de la perspective fondamentale de l’unité du genre humain. La pleine compréhension de la vérité présente en chaque culture humaine n’est possible que dans la considération contextuelle de la diversité et de l’unité.
C’est dans cette perspective que, selon Jean-Paul II, l’Église offre sa contribution à l’édification d’une civilisation de l’Amour fondée sur la vérité et la liberté auxquelles tous les hommes aspirent. Vérité qui unit l’homme à la vie et qui le rend libre. Par ailleurs, l’Église contribue aussi à construire la paix par la proclamation et par l’exigence du respect de tous les droits de l’homme.
Ce pape nous a appris que la liberté s’épanouit dans la foi, menacée aujourd’hui par l’oubli de la transcendance et le refus du surnaturel. Ce n’est pas parce que nous assistons à une renaissance du sentiment religieux et à la croissance spectaculaire de certaines manifestations du même ordre, qu’il faut conclure à un réel progrès spirituel. En ce début de troisième millénaire, le défi pour la foi est de rester ce qu’elle est : étrangère au fanatisme comme à l’indifférence.
La liberté s’épanouit aussi dans l’espérance, dans l’avenir que promet le christianisme, dans le bonheur que nous offre le Christ. Enfin, elle s’épanouit dans la charité qui fait entrer dans la vérité. En effet, qui aime cherche ; qui aime comprend ; qui aime peut collaborer à bâtir une civilisation de l’amour.
Depuis deux mille ans, la vie de l’Église se manifeste à travers des personnes, des lieux, des oeuvres et des paroles qui incarnent ce témoignage pétri d’amour pour l’homme. L’Église aime l’homme en étant présente partout où l’homme vit et meurt. Elle est présente avec son coeur eucharistique et ses mains prêtes à transmettre la plénitude de vie qui en jaillit, la plénitude de vérité qui libère. Celui qui se laisse toucher par l’Église fait l’expérience de renaître à la vie et à la joie de la charité divine.
L’homme ne peut pas échapper à l’amour de Dieu. Il se l’imagine pourtant, par orgueil ou par désespoir. C’est pourquoi Dieu a besoin de témoins, « pour rendre témoignage à la lumière ». À l’Unesco comme en toute sa vie et tout son magistère, Jean-Paul II a montré que tout est don. Tout est grâce. Il a confessé celui de qui vient toute lumière et tout amour, et montré que la découverte de la vérité et l’épanouissement de la liberté progressent pareillement.