Didier Rimaud, qui a rejoint le Père le 24 décembre 2004, n’est pas connu du grand public. Pourtant ce jésuite joua un rôle considérable dans la vie de l’Eglise et de la Liturgie en particulier. C’est qu’il a choisi l’anonymat et la discrétion pour uvrer à la plus grande gloire de Dieu. Interview de Pierre Faure, sj. un proche de Didier Rimaud.
Tous les catholiques français ne connaissent pas Didier Rimaud, mais ils côtoient ses oeuvres quotidiennement. Pouvez-vous nous expliquez comment ?
Didier a fait partie de l’équipe de ceux qui, au moment de la réforme liturgique du concile Vatican II, ont traduit tous les textes de prière de l’Eglise, c’est-à-dire le missel et tous les rituels, les funérailles, les professions religieuses etc . Ce genre de traduction, par principe anonyme, est particulière puisque les textes, que les gens n’ont pas sous les yeux, doivent être communiqués accoustiquement. De plus, il faut que ces texte soient communiqués à une assemblée de gens dont la culture peut varier, de celui qui ne sait ni lire ni écrire à celui qui a un niveau d’étude bac + 12. Didier a donc fait partie de cette équipe, aux côtés de cet autre spécialiste de la langue française qu’était Patrice de la Tour du Pin. Ils étaient les deux référents littéraires et poétiques pour la tenue de la langue française.
Par ailleurs, Didier Rimaud avait une oeuvre poétique à son actif ?
Oui, bien-sûr. Si l’un et l’autre ont été choisi pour ce travail, c’est à cause de leurs oeuvres respectives. Patrice de la Tour du Pin était déjà édité chez Gallimard. Didier, de son côté, n’avait pas encore édité ses poèmes et ses hymnes, mais, au moment de la réforme liturgique, il avait déjà composé des chansons évangéliques et christiques dont il avait fait lui-même la musique avec des accompagnements tout à fait bons. Ces chansons très fortes principalement portaient sur la Passion du Christ. Il était taraudé par le mystère de la Passion. Il a composé une berceuse, entre autres : « Dans un peu de houx sous la neige, dors au creux de mes mains ». C’est la vierge qui berce son enfant dans le houx et dans la neige. Les couplets évoquent tous la Passion. La maman dit à son enfant « ils sont loin, très loin, ne t’en fais pas, ils sont armés de bâtons pour te mettre en croix etc ». Outre les chansons, il y a tous les chants liturgiques qu’il a commencé à composer lorsqu’il était surveillant dans les collèges.
Quelle a été sa vie au juste ?
Il est resté longtemps dans les collèges, 20 ans, mais il avait toujours la guitare sous le bureau. En rangeant ses papiers, j’ai retrouvé des poèmes qu’il avait écrit à 18 ans, juste avant de rentrer au noviciat. Et puis il s’est retrouvé au collège de Marseille, dans les années 50, et, là, il a rencontré le père Bernard Geoffroy, un homme de grande culture qui constatait l’indigence des cantiques qui commencaient à être écrits en français. Il y avait déjà un mouvement liturgique à l’époque, avant même que le concile ne se profile à l’horizon. A Marseille, le père Geoffroy a donc contacté des grands de la littérature pour leur demander des textes qui constituèrent des recueils qui s’appelèrent « Gloire au Seigneur ». Didier lui a montré ses poèmes et le père Geoffroy, qui dirigeait lui-même un orchestre vocale connaissant un grand succès, aux Etats-Unis entre autres, l’a embauché. Peu à peu il a intégré l’équipe travaillant à la traduction des Psaumes, où il rencontra Gélineau. Nous sommes dans les années 60, l’époque à laquelle il entre dans l’équipe du CNPL, où il restera 40 ans. Didier a aussi travaillé avec Akepsimas, outre les cantiques et les chansons plus rythmées des années 70, aux hymnes pour la liturgie des heures. Il y eut alors une demande très forte car, quand il a fallu traduire tout le bréviaire, seuls les hymnes de Didier marchaient bien, avec ceux de Patrice de la Tour du Pin. C’est d’ailleurs au contact de ce poète que Didier a progressé. Quand on compare leurs textes, des influences réciproques apparaissent très nettement. D’ailleurs, quand on lit les correspondances des deux poètes, on remarque une très grande considération de Patrice de la Tour du Pin à l’égard de Didier Rimaud. Didier, par sa connaissance de la pratique liturgique, a fait connaître à Patrice de la Tour du Pin ce qu’était un sanctus, un kyrié, une prière eucharistique.
Comment les traducteurs de la liturgie travaillaient-ils ?
Il y a eu tout un travail d’harmonisation pour que les traductions soient cohérentes. Il fallait que les mêmes choses soient dites d’une même manière d’une liturgie à l’autre Ces gens là étaient impressionnants. Il faut quand même comprendre qu’ils décidaient de ce qui allait être mis dans la bouche de milliards de personnes pour les siècles à venir. Pour ce qui concerne le fameux « Dominus vobis cum », par exemple, il y a plusieurs manières de traduire. On a décidé de traduire en français : « Et avec votre esprit ». D’autres pays ont choisi de traduite d’une autre manière, d’amener des nuances différentes. En anglais c’est « also with you », c’est-à-dire « et aussi avec vous ». C’est très différent de « Et avec votre esprit ».
Comment travaillait Didier Rimaud en particulier ?
D’abord il travaillait sans arrêt. En permanence il avait un crayon à la main . En rangeant ses archives, on a trouvé plusieurs grands cahiers pleins d’essais, de boutures, des listes de mots pour chercher la rime. Quant il voyait un coquillage, il voyait autre chose que nous. Quand il entendait un oiseau, il entendait autre chose que nous. Et puis il travaillait sur les mots, sur le langage bien-sûr. « Mon amertume amer me conduit à la paix ». Il répétait cela souvent. Il faisait des tas des collections. Il ramassait des choses. Il sculptait. C’était un manuel aussi. On a retrouvé des aquarelles et des esquisses colorées de lui splendides. A partir du moment où il a quitté les collèges il a été sans arrêt soumis à des demandes, pour les JMJ par exemple ou encore pour le 500ème anniversaire de la création de la Compagnie. Il a créé de nombreuses cantates sur commande aussi. La fréquentation des grand musiciens n’a rien arrangé et, dans ses écrits, il se plaint de ne plus pouvoir écrire un vers pour lui-même En même temps, toutes ces commandes ont donné de très bons résultats. Bach lui-même serait-il devenu Bach sans commandes ? Mais il regrettait d’avoir de moins en moins le temps pour écrire de purs poèmes, sans but. Il a pu en rédiger malgré tout. Un poème sur la Mort, qui s’adresse à la Mort, en particulier, où on peut lire « On a peint toute la terre en noir ». On sent que ce n’est pas du remplissage. A la sixième strophe il y a du jus encore.
Quels sont les principaux livres que Didier Rimaud a écrit sous son nom ?
Le dernier, le plus important, est la « A force de colombe », publié au Cerf. Le premier est « Les arbres dans la Mer », qui est un mélange de proses et de poèmes pour la liturgie et « Des Grillons et des anges ». Ce sont les trois principaux.
Des inédits vont être publiés bientôt ?
Oui, nous en avons retrouvés. Il y a en particulier toute une série de comptines pour enfants absolument délicieuses. Il existe déjà un recueil publié aux éditions Saint Augustin intitulé « La prairie de Genèse et autres contes ». Mais les éditeurs sont difficiles à convaincre ! Didier Rimaud lui-même a essayé de rééditer de son vivant des choses qui étaient épuisées, les gens s’en plaignaient beaucoup, et il n’y est pas arrivé. Peut-être Didier n’était-il pas un bon vendeur de ses uvres. C’est bien possible. De plus, on pourrait penser à rassembler les articles qu’il a écrits dans telle ou telle revue. Par exemple, il en a rédigé un sur les rapports la Poésie et la Théologie où il dit le rôle du langage dans la vie spirituelle.