Comme le vin, Woody Allen se bonifie avec les années. Et gagne en liberté intérieure et en profondeur…
Au sein d’une filmographie abondante et inégale, Anything else fait partie des bonnes surprises de Woody Allen. Bien sûr l’éternelle figure de Woody reste ici présente mais le réalisateur-acteur semble prendre de la hauteur par rapport au personnage qu’il a souvent campé dans ses autres films. Fait plutôt rare dans son cinéma, il témoigne d’une certaine humilité, choisissant le retrait- à la fin du film il disparaît même pour laisser reposer le film sur les épaules du jeune Jason Biggs qui incarne Jerry.
Woody joue les mentors; il est le grand frère qui le fera accéder à plus de maturité et l’aidera à faire des choix. Et du choix, il en est constamment question dans ce film. Le jeune Jerry se trouve empêtré dans une existence pleine de bons sentiments et de principes inadaptés. Cette vie à l’évidence ne lui convient pas : il doit supporter un impresario miteux, une petite amie immature, une belle-mère envahissante Cherchant à faire plaisir à tout le monde, il a juste oublié une personne, lui-même, et se trouve comme bloqué, dans l’incapacité irritante d’affirmer ses choix.
A ses côtés Dobel ( W. Allen) incarne des valeurs plus stables, une philosophie de la vie empreinte de liberté. Tout cela dans une grande humanité car tout ” guide spirituel ” qu’il est, le personnage n’est pas le conseiller sans faille et idéal ; il demeure le Woody que l’on connaît à l’écran, un homme drôle, malingre, fragile et paranoïaque avec tout son lot de névroses. A travers lui, nous retrouvons les grandes questions de la Shoah, l’éternelle violence au cur de l’humanité, l’injustice Tout cela et puis tout le reste au cur d’un New York en automne sans ses Twin Towers.
Un Woody plus ” intérieur ” qui affirme avec plus de conviction aujourd’hui l’importance de la fraternité, du lien entre les générations et du combat personnel dans la construction de soi. Le duo Jerry-Dobel illustre la continuité de la vie par-delà les vicissitudes de l’existence; cette relation permet au jeune homme de découvrir mieux quel est son désir, elle lui révèle petit à petit. Ainsi en va t-il de notre vie. Faire des choix c’est savoir dire non et ne pas accepter l’intolérable des plus petits drames du quotidien ( cf. la scène très comique où Dobel se fait prendre sa place de parking ) aux plus grandes menaces ( les crimes contre l’humanité) . Pour y parvenir, nous avons besoin que d’autres nous ouvrent le chemin ou nous éclairent à certains moments de notre vie. On connaît le penchant affirmé de W. Allen pour la psychanalyse. Or, ici le réalisateur semble se délivrer un peu de ce regard constamment clinique voire scientifique sur la vie ; il prend une saine distance vis-à-vis de la psychanalyse non sans humour. A ses yeux aujourd’hui la réponse se situe d’avantage dans le partage avec l’autre, le frère universel. Pour qu’il y ait de la vie, il faut qu’il y ait réel désir. L’appropriation de ce désir permet la vraie liberté intérieure et appelle à faire de choix.
Connaître et vouloir ce que l’on désire, telle est la moralité du bonheur selon Anything else
et tout le reste !
Woody Allen en aurait-il fini avec certains de ses films à la sauce psy ? On l’espère de tout coeur car des bons crus comme celui-ci on en redemande. Pour un peu ce film aurait des accents bibliques et pauliniens