Traité par les philosophes des Lumières de « misanthrope sublime », volontairement oublié par tout un courant philosophique depuis deux siècles et injustement éliminé des pages de nos manuels scolaires, Blaise Pascal, ce génie de la foi catholique, fascine de plus en plus nos contemporains.
Dans son livre intitulé « Vivre à quoi ça sert ?», Soeur Emmanuelle choisit de faire découvrir la pensée de Blaise Pascal. Dans un entretien accordé au journal La Croix, la femme la plus appréciée des français explique que cet homme est son « maître à penser, son maître de vie ». Elle raconte comment son oeuvre, et principalement ses fameuses « Pensées », ont enrichi toute son existence. Pour elle, Pascal « parle de l’homme, affronte sa faiblesse et offre un chemin de libération. » Et, de fait, en nous rappelant que « qui veut faire l’ange fait la bête », ce philosophe inspiré nous met comme nul autre à l’abri de la brutalité comme de l’angélisme. En disant que « le cur de l’homme est creux et plein d’ordures », il nous débarrasse efficacement de tout désir de domination, de toute curiosité malsaine et de toute appétit déréglé. En répétant, sur tous les tons, que le cur a ses raisons que la raison ne connaît pas, il remet définitivement l’intelligence à sa place en redonnant à la sensibilité toute sa valeur.
Sur Emmanuel n’est pas la seule à considérer que la pensée de Pascal est d’actualité. Il y a quatre ans, Jacques Attali attirait déjà notre attention sur cet imposant « génie français qui, à douze ans, redécouvre à sa façon les mathématiques; à seize, invente la géométrie projective, aujourd’hui encore nécessaire à la mécanique et aux sciences de l’ingénieur; à dix-neuf, met au point la première machine à calculer, dont s’inspirent encore tous nos ordinateurs; à vingt trois ans, invente la physique expérimentale, calcule la pesanteur de l’air, conçoit la presse hydraulique et fait s’écrouler une théorie multimillénaire, selon laquelle la nature aurait “horreur du vide”.
A vingt-huit ans Pascal invente le calcul des probabilités, pilier de toutes les sciences sociales et physiques d’aujourd’hui. A trente, il contribue à fixer la langue française et crée le journalisme polémique. A trente-cinq, souffrant le martyre, il résout l’un des plus difficiles problèmes mathématiques jamais posés, tout en inventant le calcul intégral. Et dans la plus belle langue française, souligne encore Jacques Attali, une prose telle qu’on ne l’a jamais maniée avant lui, il écrit des pages immortelles sur la condition humaine, sur des relations entre science et foi, liberté et imagination, bonheur et compassion , pouvoir et force, mêlant sans cesse le hasard et la loi, la nature et la coutume, l’esprit et le cur, la science et l’expérience, l’ici-bas et la mystique… Avec l’obsession de dévoiler , classifier, expliquer les causes cachées des plus insignifiantes mesquineries humaines comme des plus grands événements ».
Plus récemment encore, Jacques Julliard, le célèbre chroniqueur du Nouvel Observateur, dit l’urgence pour la société française et même pour la politique française de faire « Le choix de Pascal ». Le choix de Pascal contre Rousseau et sa vision du monde qui exclut le péché originel et qui confond spirituel et temporel en délaissant un certain pragmatisme, dont le penseur du XVIIème avait déjà compris la nécessité.
Bref, Pascal sort de l’oubli dans lequel une partie de notre monde athée, rationnaliste et faussement moderne l’a plongé depuis deux siècles. L’auteur des Pensées cesse d’être platement identifié, comme on le fait encore dans la plupart des manuels scolaires actuels, à l’ennemi des Jésuites (dont il condamne certains travers dans les Provinciales). Pascal est rédecouvert comme un maître à penser, un maître de vie et un guide sur les chemins de la vie intérieure et sociale. Les temps changent.