De nombreux artistes et écrivains ont été fascinés par le Mont Saint-Michel. Parmi eux, Gustave Flaubert et Guy de Maupassant qui disent, chacun à leur manière, la beauté de ce gigantesque bijou de granit nimbé d’un vague murmure, insaisissable, aérien, comme la voix même de la solitude .
PAR LES CHAMPS, PAR LES GREVES
L’horizon vide se prolonge, s’étale et finit par fondre ses terrains crayeux dans la couleur jaune de la plage. Le sol devient plus ferme, une odeur salée vous arrive, on dirait un désert dont la mer s’est retirée. Des langues de sable, longues, aplaties l’une sur l’autre, se continuant indéfiniment par des plans indistincts, se rident comme une onde sous de grandes lignes courbes, arabesques géantes que le vent s’amuse à dessiner sur leur surface. Les flots sont loin, si reculés qu’on ne les voit plus, qu’on n’entend pas leur bruit, mais je ne sais quel vague murmure, insaisissable, aérien, comme la voix même de la solitude qui n’est peut-être que l’étourdissement de ce silence.
En face, devant nous, un grand rocher de forme ronde, la base garnie de murailles crénelées, le sommet couronné d’une église, se dresse, enfonçant ses tours dans le sable et levant ses clochetons dans l’air. D’énormes contreforts qui retiennent les flancs de l’édifice s’appuient sur une pente abrupte d’où déroulent des quartiers de rocs et des bouquets de verdure sauvage. A mi-côté, étagées comme elles peuvent, quelques maisons, dépassant la ceinture blanche de la muraille et dominées par la masse brune de l’église, clapotent leurs couleurs vives entre ces deux grandes teintes unies.
Gustave Flaubert
LE HORLA
J’ai fait d’ailleurs une excursion charmante. J’ai visité le mont Saint-Michel que je ne connaissais pas.
Quelle vision quand on arrive, comme moi, à Avranches, vers la fin du jour ! La ville est sur une colline; et on me conduisit dans le jardin public, au bout de la cité. Je poussai un cri d’étonnement. Une baie démesurée s’étendait devant moi, à perte de vue, entre deux côtes écartées se perdant au loin dans les brumes; et au milieu de cette immense baie jaune, sous un ciel d’or et de clarté, s’élevait sombre et pointu un mont étrange, au milieu des sables. Le soleil venait de disparaître, et sur l’horizon encore flamboyant se dessinait le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument.
Dès l’aurore, j’allai vers lui. La mer était basse, comme la veille au soir, et je regardais se dresser devant moi, à mesure que j’approchais d’elle, la surprenante abbaye. Après plusieurs heures de marche, j’atteignis l’énorme bloc de pierres qui porte la petite cité dominée par la grande église. Ayant gravi la rue étroite et rapide, j’entrai dans la plus admirable demeure gothique construite pour Dieu sur la terre, vaste comme une ville, pleine de salles basses écrasées sous des voûtes et de hautes galeries que soutiennent de frêles colonnes. J’entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi léger qu’une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et reliés l’un à l’autre par de fines arches ouvragées.
Guy de Maupassant