La revue Croire Aujourd’hui Jeunes Chrétiens aborde dans son dernier numéro le thème de la musique. L’occasion de revenir sur le film “Les Choristes” de Jacques Perrin.
Nous avons choisi Les Choristes (1) pour parler musique, parce que le film de Jacques Perrin (2) est totalement dédié à l’amour de la musique. Invitation pour un voyage d’une heure trente plein d’émotion.
Vous n’êtes qu’un petit pion, pion, pion ; vous êtes nul, Clément Mathieu ! Juste un musicien raté. Voilà ce qu’envoie en pleine gueule le Directeur (totalement hystérique, sadique et incompétent) de l’Internat Fond de l’Etang au génial surveillant qu’interprète le non moins bon Gérard Jugnot. Pour le casser et le virer. Lui qui vient de transformer la vie de 60 élèves de cette Maison de redressement , comme on nommait encore, en 1949, les établissements d’éducation spécialisée, une vie qu’il transforme grâce à la chorale qu’il entreprend de créer avec ces garçons victimes de maltraitance, dirait-on aujourd’hui. Bref, le gentil bon , un brin looser, contre le grand méchant Rachin, sorte de Voldemort (3) pas drôle du tout !
Recette contre la férocité
Au premier abord, ce qui choque, ce sont les incroyables conditions de vie auxquelles, dans le film, sont soumis ces garçons : hurlements constants des adultes, punitions corporelles à gogo, total manque de relations humaines, méthodes d’enseignement terrifiantes, cruauté des jeunes entre eux, élevés comme des loups. Tout cela ajouté à la réalité de l’époque : manque de chauffage, vétusté des lieux, maigre suivi de la santé physique et mentale, absence de dialogue avec les familles. Triste univers peur- répression imaginé pour les besoins du film, et prenant des libertés avec ce qu’étaient alors les responsables de ces établissements : Des gens qui, pour la plupart, cherchaient à aider les jeunes , témoigne un ancien surveillant de ces années d’après-guerre.
La Chorale devient alors, dans ce système d’éducation (ou de re-éducation) aussi borné que cruel, (ici, il faut voir le mal partout, conseille-t-on au nouveau pion), le seul acte d’humanité perceptible. Clément Mathieu fait chanter ensemble ces jeunes pour survivre, se sauver lui- même, oublier sa misérable cellule de gardien de dortoir. Surtout pour faire acte d’humanité envers ces garçons de 8 à 16 ans dont il a la charge. Depuis le petit orphelin Pépinot, 8 ans, jusqu’au grand délinquant nommé Pascal Mondain, mon seul baryton , il les rassemble en chorale, plusieurs fois par jour. Dans les chants, il est question de cerfs-volants pris dans la tourmente, de gamins du Fond de l’Etang oubliés et égarés, de voyages dans les nuages, de montgolfières aussi. De pures paroles d’angelots chantées pas ces sacrés voyous , comme on disait alors.
Un bol d’air frais efficace
En quelques semaines, les voilà qui trouvent une façon de vivre ensemble, sans cravache ni mise au cachot. La musique en chorale pour apprendre à vivre. En tout cas, pour respirer, se sentir bien un court instant. Comme un bol d’air frais provoquant des effets visibles, sur le visage de Jugnot d’abord, puis sur celui de chacun des garçons surpris de ce qui leur arrive de ressentir lorsqu’ils chantent. Ces visages fermés, butés, méfiants, souffrants, montrés par la caméra dès les premiers temps du film respirent enfin progressivement la détente, la confiance et l’ouverture lorsqu’ils donnent leur concert. Le groupe qui chante n’est plus la bande de chahuteurs monstrueux du début. Soprane, alto, baryton, basse, chacun trouve sa place dans la chorale. Cette chorale, une famille, où l’on partage pour quelques instants de l’émotion. Où l’on fait confiance aux voix des autres, et où l’on se donne courage. Où plus personne ne se voit de façon négative. Tous ensemble ils produisent du beau. Ce beau les envahit et les tire avec émotion vers le ciel pendant des minutes entières. Et nous aussi, quand on est assis dans notre fauteuil de cinéma ! ressent Hélène, 19 ans, qui a vu le film (en projection privée), avant sa sortie en salle.
Bien au chaud, dans un cocon
Plusieurs fois, on soupçonne Jugnot d’être aux bords des larmes. Plans furtifs qui illustrent la distance ressentie entre ces superbes voix mêlées et le triste décor de leurs vies. Des jeunes qui chanteraient toute la nuit, pour rester dans cette bulle si réconfortante, qui ressentent ces instants comme une douceur qu’on ne voudrait jamais quitter. Enfants abandonnés, les voici au chaud, au creux de quelque chose qu’ils ne se souviennent pas avoir jamais ressenti.
Les temps d’émotion sont ponctués par des morceaux d’humour. Les voix ne cessent pas de meubler l’espace sonore alors que déjà l’image est repartie vers le triste réel. La musique les relie encore dans une famille fictive, alors que les menaces de Rachin pointent déjà sur les marches du perron de la cour de récré.
Sans dévoiler l’issue du film, puisque ce récit traverse des souvenirs, chaque interne trouve aussi un rapport personnel à la musique. Depuis Pierre Morhange, miraculeuse voix de soprane, (qui dans la vie appartient à la Chorale des petits chanteurs de Saint-Marc, à Lyon), dont la souffrance sera à deux doigts de l’empêcher de saisir sa chance, jusqu’à Jugnot, complice des jeunes, qui sort grandi de cette expérience si difficile, ayant acquis un statut de père, d’éducateur, de chef de chur et de vrai musicien. En passant par le groupe lui-même, capable de mieux vivre ensemble. Mais aussi, ceux pour lesquels l’émotion n’était pas supportable, et qui pèteront les plombs . La musique, c’est fort. Parfois trop pour certains : ceux qu’une vie trop dure a rendus fragiles.
On sort de là pleins de musique et de douceur. Avec l’envie de chanter pour ne pas avoir peur de la nuit.
Merci à Anne-Marie Duviviers, psychologue-clinicienne, musico-thérapeute
(1) Il aurait aussi été possible de choisir Podium ou Rock académy.
(2) Producteur de Les Choristes .
(3) cf Harry Potter.