Représenter le spirituel, le Christ à l’écran ? Question saugrenue pour certains, crédible pour d’autres. Il n’empêche que depuis sa naissance en 1895 le cinéma s’est toujours posé la question.
Pour mieux comprendre les enjeux de cette réflexion , il s’agit de saisir la différence essentielle qui existe entre l’image et l’icône. L’image est par elle-même « suggestive » , sa raison d’exister c’est d’être vue ; elle déclenche une émotion esthétique et frappe par la « violence » de sa représentation par rapport à l’écrit qui s’adresse d’avantage à l’intériorité. De plus, l’image au cinéma déteint cette capacité unique de réunir en elle tous les autres arts. L’icône, au contraire, apporte ce que ne peut apporter l’image, elle fait accéder à autre chose qu’elle, sans se faire admirer mais pour faire admirer le mystère ou l’indicible.
Le cinéma a toujours cherché à représenter le Christ, même si contrairement aux autres arts, il n’était pas religieux au départ. A l’origine, il était perçu comme une invention scientifique sans avenir, bon pour les foires En 1897 pourtant, année des premières projections des frères Lumière à Tours, on voit pour la première fois au cinéma une uvre à caractère religieux, La Passion, inspirée de mystères médiévaux. Depuis cette date, le septième art n’a jamais cessé d’aborder des thèmes religieux à l’écran.
Plus proche de nous, les grandes réalisations sur la vie de Jésus présentent souvent les mêmes défauts : des représentations trop historiques, politiques ou psychologiques du Christ ( comme ce fut le cas pour Rossellini ou Pasolini et encore chez des cinéastes d’aujourd’hui ). Comment évoquer la divinité de Jésus, comment évoquer le mystère trinitaire au travers d’une vision (trop) incarnée de Jésus ? Représenter ainsi le Messie, c’était imposer une vision, une image qui ne pouvaient exprimer Jésus Christ, « vrai homme, vrai Dieu ».
Si donc Jésus-Christ, Fils de Dieu échappe à l’image, comment le représenter avec le regard de la foi ? Ce fut l’objet de recherche de quelques cinéastes tels que Dreyer, Bresson ou encore Bergman qui ont fait le choix d’une voie médiane c’est-à-dire qu’ils ont voulu faire référence à la personne de Jésus mais implicitement, en faisant endosser au personnage principal du scénario une fonction « christique » mais qui n’est pas celle de Jésus, dans une histoire qui n’a pas forcément de références religieuses. Ces figures du Christ, jamais mentionnées comme telles, s’ouvrent alors sur l’indicible, sur la question de Dieu . Tel rôle, tel visage qui n’ont en soi rien de religieux me disent quelque chose du Christ. En ce sens on peut parler d’une alliance entre le cinéma et le domaine du religieux ou du sacré. Le « cinéma chrétien » ( si on peut dire qu’il y en a un ) serait ainsi celui qui choisirait le mode de l’icône et pas celui de la représentation frontale de Jésus par l’image.
Ces personnages qui évoquent quelque chose du Christ de manière détournée représentent ce que l’on peut appeler des « figures messianiques », souvent des anti-héros appelés à « sauver » la vie de ceux qu’ils côtoient. Ils sont un éclat de la sainteté de Dieu parce qu’ils nous disent quelque chose de son mystère. Chez Chaplin, cette figure messianique revient régulièrement, on pense au Kid notamment où Charlot devient le père adoptif d’un gamin abandonné. Leur relation grandissante donne une illustration de la paternité adoptive de Dieu ainsi que de la filiation. Un exemple parmi tant d’autres : depuis toujours le cinéma et donc des réalisateurs recherchent – inconsciemment ou pas – « la figure du messie » et encore dans les films qui sortent actuellement et qui n’ont a priori rien à voir avec la foi . Alors pourquoi ne pas s’entraîner à ce regard de discernement sur l’image pour mieux comprendre la recherche spirituelle du monde d’aujourd’hui ? Une attitude chrétienne pour aujourd’hui en somme