Partenaire du Grand Silence, nous avons pu rencontrer Philipp Gröning, réalisateur et unique caméraman du film, pour une interview exclusive, en deux parties. Voici la première.
Je suis Philipp Gröning, j’ai fait un film qui s’appelle le Grand Silence.
Etes-vous chrétien ?
C’est compliqué. Je suis né d’une famille chrétienne et après il y avait une rupture assez forte. Une des raisons pour faire le film c’est que je voulais explorer pour moi-même ce qu’est ma relation avec le catholicisme. Pendant le temps au monastère, je me suis très rapproché de l’Eglise et du christianisme. Mais c’est toujours un peu compliqué pour moi parce que… Je crois très profondément qu’il y a Dieu, qu’il y a vraiment une création et un créateur qui nous protège. Mais il y a aussi des choses qui me semblent trop compliquées dans la religion catholique. Mais là, tout le monde a ses conceptions personnelles.
Vous avez choisi de faire ce documentaire tout en vous posant beaucoup de questions sur la religion catholique ?
Au commencement c’était le désir de vivre dans un monastère c’était un désir très profond.
Quel qu’il soit ?
Non non un monastère chrétien, catholique. C’était le désir de vivre dans un espace disons « romantisé » de silence. D’être seul, laisser venir l’inspiration, chercher la vérité, chercher à savoir qu’est-ce que c’était pour moi la religion. D’où je venais ? Parce que je suis
européen, je suis profondément né et créé dans un espace chrétien. Et après est venu l’idée du film. D’abord l’idée du film, ce n’était pas là au début que je voulais aller. Et après j’ai réalisé que puisque j’étais là autant faire un film.
Il me semble que vous aviez déjà cette idée il y a quelques années ?
Oui l’idée originale est née en octobre 83. Il y a très longtemps. J’ai eu le temps de faire des recherches et j’ai réalisé qu’il n’y a pas de monastère où les moines ne parlent jamais. Il y a comme même des monastères dans la réalité qui sont bien sûr un peu moins romantiques que ce que j’avais imaginé mais qui ont le grand avantage d’exister. Alors en 86, j’ai pu faire une retraite d’une semaine dans une chartreuse dans le sud de la France. Et là après on m’a dit que c’était trop tôt qu’il faudrait que ça mette beaucoup de temps à se réaliser. Et après j’ai laissé tomber le projet.
C’est eux qui sont venus vous chercher ?
J’avais un contact avec Père Marcellin, prieur du monastère à Mourieux près de Toulon. Et je l’ai visité trois, quatre fois dans les quatorze ans qui venaient et après en 99 c’était eux qui m’ont appelé en me demandant si j’étais toujours intéressé. Et entre temps entre 1986 et 1999, on avait jamais plus parlé du film. Parce que c’était clair que le film, ça se ferait plus.
Est- ce que vous pensez que ce film peut aider certains jeunes qui réfléchissent à leur vocation ?
Certainement. Ca peut aider les jeunes qui réfléchissent sur leur vocation mais pas justement dans le sens des jeunes qui réfléchissent sur leur vocation de moine ou de moniale mais aussi sur les jeunes qui réfléchissent sur ce qu’ils veulent faire avec leur vie. Parce que c’est quelque chose à quoi tout jeune doit penser. Et cela surtout parce que le film montre d’un côté que ce choix absolu d’être moine contemplatif c’est possible dans notre culture, il ne faut pas être bouddhiste pour ça. Et de l’autre côté ça montre que l’occident n’était jamais une culture basée sur le travail. Et ça je trouve que c’est très important pour les jeunes parce que les jeunes maintenant ils se trouvent un peu dans un piège. D’un côté on leur dit que ce n’est que à travers le travail que tu peux te définir et avoir un bonheur et de l’autre côté la société a rêvé a un certain rêve depuis 200 ans, elle rêve d’efficacité ; que très peu de personnes puissent produire beaucoup. Maintenant finalement, ce rêve est en train de se réaliser. Ca veut dire logiquement que c’est pas possible que tout le monde trouve du travail dans un monde où deux personnes peuvent produire mille télévisions par semaine. Le film est réconfortant, consolateur, parce qu’il nous rappelle que la culture chrétienne n’est pas basée sur le travail. Le travail c’est une nécessité mais c’est pas la valeur principale.
Les réalisations que vous avez faites s’étalent sur un certain nombre d’années. Vous aimez prendre votre temps pour faire un film ?
J’aime pas prendre mon temps pour faire un film mais malheureusement il semble que j’y sois obligé. Chaque fois que je fais un film ça me fait rentrer dans un tunnel pour 5 ans ou 4 ans et après finalement le film me laisse sortir et immédiatement je tombe dans un autre film.
Comment avez-vous vécu le tournage ; il fallait être patient, silencieux ?
Non, le tournage c’était facile car la vie en chartreuse, j’espère que cela se voit dans le film, c’est une vie qui est très belle, très harmonieuse, très balancée entre les travaux physiques et les choses intellectuels, la prière, c’est très très beau. C’était peu dur bien sur, parce que j’étais seul et avec un stagiaire mais qui n’était pas là pendant les tournages à l’intérieur du monastère. Je devais porter 23 kilos d’équipement.
Est-ce que dans la montagne, les moines vous ont aidé ?
Dans la montagne, ils m’ont aidé. Mais c’était vraiment dur de temps en temps de tourner, de porter toutes ces choses là, de retourner en cellule, de retrouver la cellule gelée, de devoir couper le bois, de faire le feu et après, quand le feu commence juste à réchauffer, il fallait déjà sortir de nouveau et quand on retourne la cellule est gelée de nouveau. Mais la chose plus dure encore, c’était le montage.
Qu’est ce qui vous a fait tenir quand vous étiez dans le monastère ?
La communauté. J’ai été très très amicalement reçu, accueilli. Les moines sont des gens formidables. Ils sont très légers, très vrais et c’est la beauté que j’ai pu filmer quand même. Et aussi il a quelque chose qui était très essentiel au monastère, c’est que dans les moments de désespoir, je pensais que je ne pourrais plus, que je ne pourrais plus trouver d’images et puis tout à coup je voyais un petit détail, la lumière sur un meuble ou quelque chose comme cela, immédiatement je savais que l’image que cherchais, c’était surtout l’image que je trouvais. Et ça, dans un autre sens, c’est que chaque fois qu’il y avait des choses très dures, immédiatement, il y avait comme un tournant qui faisait que quelque chose de très beau m’apparaissait.
Les moines ne jettent rien, se resservent de tout ? Comment avez-vous fait pour monter le film ? Vous avez du « jeter » des images ?
Le montage a été très difficile, pas à cause des choix, mais trouver le rythme qui porte le film, trouver un rythme si léger et si fort que le film prend sa place. c’était un enfer, c’était terrible, c’était deux ans et demi de désespoir.
En quelle année avez-vous tourné le film ?
Le tournage principal était en 2002 et après j’ai encore tourné en 2003 et encore un tout petit peu en 2004 et je pense même en journée en 2005, parce qu’il me fallait encore une image. Mais le processus de montage, c’était vraiment dur. Il n’y avait jamais un film comme cela avant, aucune règle de comment faire çà, aucune expérience de comment fait-on, qu’un cinéma se transforme en expérience de vie monastique, dans la profondeur, du vrai, pas des informations, un héro, un acteur que nous suivons à travers ses difficulté mais vraiment de plonger le spectateur dans une expérience très très personnelle. Là, c’était très difficile. C’était un peu une expérience des moines, l’humilité, j’ai vraiment dû la faire pendant le montage parce que je pensais que je savais faire du cinéma et là j’ai dû réaliser que je ne savais pas.