La philosophe Irène Fernandez, nous invite à déceler dans un petit livre passionnant le sens profond de l’oeuvre de Tolkien qui, loin de se résumer à un simple conte fantastique, nous propose une vision du monde profondément catholique.
Le Seigneur des Anneaux n’est pas un conte de fées. S’il est vrai que les personnages monstrueux qui apparaissent dans cette histoire n’appartiennent pas à la réalité proprement dite, il n’en reste pas moins qu’on ne peut pas la réduire à une historiette puérile et sans intérêt. Irène Fernandez souligne en effet d’entrée de jeu que l’horizon de la mort ainsi que le regard critique porté sur un monde qui ne va pas de soi, omniprésents dans l’oeuvre de Tolkien, suffisent à la prendre au sérieux.
Le Seigneur des Anneaux n’est donc pas, comme le prétendent certains, une oeuvre insignifiante. Elle est même profondément catholique. Cela ne veut évidemment pas dire que Tolkien y parle explicitement du Christ ou des Evangiles. Même si on peut voir par exemple dans la nourriture des elfes, qui donne une force extraordinaire aux voyageurs, un symbole de l’Eucharistie ou dans le personnage de Galadriel une évocation de la Vierge, le catholicisme du Seigneur des Anneaux ne réside pas non plus dans un réseau de références symboliques qu’il s’agirait de décrypter.
C’est la force de l’affirmation morale qui fait d’abord de l’oeuvre de Tolkien une oeuvre catholique. Que ce soit à travers la distinction nette entre le Bien et le Mal, la résistance et la fuite du Mal, le renoncement au pouvoir ou encore l’amour de la création, Irène Fernandez montre comment Tolkien met en scène des personnages épris de justice qui aspirent à une sincère humilité dans un monde qu’ils respectent. “Le péché de ceux qui saccagent ce monde est grand : ainsi en est-il de Sarunam, l’ennemi de la Forêt, qui exploite la nature sans mesure et la viole dans les manipulations génétiques qui produisent une nouvelle espèce d’orcs encore pire que les autres (III,7), il finit en “Sharkey”, minable auteur de la dévastation du Shire” (p.73).
Le catholicisme du Seigneur des Anneaux s’exprime aussi à travers une méditation continue sur la destinée humaine marquée par l’Espérance. Ainsi Aragorn se met à la poursuite des orcs qui ont enlevé Merry et Pippin (III,1), obstiné à ne jamais renoncer, “avec ou sans espoir”. Dans la même perspective, Irène Fernandez analyse la scène où le héros Frodo n’a pas la force de jeter au feu l’Anneau, qui est quand même brûlé grâce à Gollum, criminel jadis épargné par Frodo. Dans ce passage culmine selon la philosophe une vision du monde à la fois providentielle et miséricordieuse : le héros épuisé parvient au terme de sa quête grâce à l’anti-héros auquel il avait reconnu le droit d’exister, en dépit de sa médiocrité.
Jusqu’à la fin, l’oeuvre de Tolkien se présente comme une bonne nouvelle. La victoire des héros les plus humbles, nous explique Irène Fernandez aboutit à une exultation, passagère certes, mais annonciatrice de la joie “d’au-delà des murs de ce monde”, victorieuse du Destin et de la mort.