“La palme de l’émotion” annonce l’affiche du film. Et c’est vrai qu’en matière d’émotion on est servi ! Prix d’interprétation féminine et prix du scénario à Cannes 2003, Les invasions barbares n’a de “barbare” que son titre.
Rien de plus humain que ce film au ton grave et déchirant qui ne tombe cependant jamais dans le mélo. Sans fausse pudeur le film traite des thèmes de la maladie et de la mort. Relativement classique au niveau des plans et du montage, il détient un atout majeur, des dialogues savoureux, intenses et un jeu d’acteurs très réussi. “J’ai écrit le scénario du film au cours des deux dernières années” déclare Denys Arcand. “C’est un sujet qui me hante depuis longtemps mais je n’arrivais jamais à lui donner une forme satisfaisante pour moi. J’aboutissais toujours à des scénarios lugubres et déprimants. Jusqu’au jour où j’ai eu l’idée de réutiliser les personnages du Déclin de l’Empire américain. Leur bonne humeur, leur cynisme et leur intelligence me permettaient de traiter ce sujet avec une légèreté qui me plaisait”.
De fait, le réalisateur est parvenu à faire un film léger parfois drôle tout en se permettant d’aborder la question profonde de l’existence du Mal, de son “invasion” pour être plus juste. Il met en intime relation une invasion du Mal intérieure à l’homme, la maladie de Rémy, sa mort programmée, sa souffrance et une invasion du Mal extérieure à l’homme, celle de notre société contemporaine, avec ses agressions et ses injustices (la surcharge des hôpitaux, les petites lâchetés de nos comportements, les problèmes dus à la drogue, l’absence de vraie relation entre les êtres malgré les moyens de communication moderne…). En arrière plan mais avec beaucoup de force surgit la question du fanatisme et du terrorisme rappelés par les images du 11 septembre 2001 qui donnent au film son titre. Sans intellectualiser son sujet, Denys Arcand dresse donc un tableau doux amer d’un monde en perte de vitesse, un monde revenu de ses idéaux des années 60, désabusé et un peu perdu en somme…
Pourtant, au cur de ces invasions, grandissent l’humour, la tendresse et une chaleur humaine rassurante au travers de thèmes aussi essentiels que l’amitié, l’amour et la famille. Les rapports progressivement renoués entre Sebastien le fils et Remy son père installent au centre du film la question du rapport entre les générations.
Au début, l’un en face de l’autre, ne se comprenant pas, ils termineront l’un à côté de l’autre pour affronter la souffrance. L’imminence de la mort qui s’impose permet une réconciliation, une relation de vérité qui laisse l’amour s’exprimer (“dites-lui que vous l’aimez”, insiste la religieuse auprès de Sebastien sentant la phase terminale arriver). Cette parole d’apaisement arrivera, le fils ayant auparavant tout fait pour atténuer la souffrance de son père, y compris en dehors des cadres de la morale (l’utilisation de l’héroïne pour calmer la douleur; les étudiants payés pour rendre hommage à leur prof; la douloureuse question de l’euthanasie). Mais cette parole d’amour attendu entre le fils et le père reste la clef, elle aura mille fois plus de pouvoir de guérison ; elle les “sauve” tous les deux.
A l’image de la paix familiale et amicale retrouvée devant la mort inéluctable de Rémy, D. Arcand laisse entrevoir que c’est en acceptant la mort, physique ou spirituelle, en renonçant à soi-même ou à quelque chose que l’homme peut ressortir grandi, pacifié, capable d’aimer gratuitement, vraiment heureux.