27 Novembre 1947. Les représentants de cinquante-six des pays membres de la nouvelle Organisation des Nations Unies votent le partage de la Palestine.
Cette année-là à New York, deux amis âgés de 27 ans, Bobby Goldman, juif new-yorkais, et Saïd Chahïn, arabe de Jérusalem, vivent dans l’atmosphère insouciante de la fin de la deuxième Guerre Mondiale et partagent avec ferveur les mêmes idées et les mêmes valeurs.
Bouleversés par les évènements qui vont bientôt enflammer Jérusalem, Bobby et Saïd s’embarquent sur un navire à destination de la Terre Sainte. Les deux amis ne réalisent pas encore que leur destin commun vient de prendre un tournant dramatique : frères devenus ennemis, ils vont des années durant se déchirer comme vont se déchirer leurs deux mondes, leurs deux peuples, leurs deux religions, leurs deux cultures. C’est l’histoire de Ô Jérusalem, celle de la création de l’Etat d’Israël, l’histoire d’un conflit qui dure encore aujourd’hui. “Si je t’oublie, Ô Jérusalem, que ma main droite m’oublie ! »
« Si Dieu n’est pas ici, il n’est nulle part »
A n’en pas douter, un tel film se devait d’exister et, si l’on veut rester ici le plus objectif possible, il faut tout d’abord saluer le courage qu’a demandé la réalisation de Ô Jérusalem tout comme l’acte d’engagement que représente l’existence de ce film sur de nombreux plans. Elie Chouraqui a eu l’audace de s’atteler à un projet difficile et épineux voire même risqué pour lui en tant que juif. A l’adaptation du best-seller de Dominique Lapierre d’où est tiré le film, quelques uns, dont Costa Gavras, se sont essayé mais ont vite renoncé : le travail d’écriture pour le cinéma représentait un vrai pari à la fois pour les conditions de tournage à Jérusalem, pour le point de vue à adopter et aussi à cause du contexte brûlant dans lequel s’inscrit ce film, le conflit israélo-palestinien.
En 2006, la question suscite de nombreuses peurs ; l’actualité évoque sans cesse des conflits dans l’impasse. Le film ose aborder de front le sujet et permet de rendre accessible à un grand public une meilleure compréhension des racines de cette guerre aux origines lointaines. Il en ressort un exposé assez classique aux vertus pédagogiques certaines. Le film développe avec clarté et précisions les différentes étapes de l’enchaînement du conflit lié à l’acte de création de l’état d’Israël en 1948. Aux plus jeunes et même aux moins jeunes, il permet de prendre du recul et de mieux comprendre les racines des guerres actuelles. A nouveau nous pouvons prendre conscience de l’inouïe complexité de la crise et du rôle ambivalent des Anglais. Nous voyons aussi comment les extrémistes se sont emparés d’hostilités qui auraient pu cesser. Ô Jérusalem donne cet éclairage important dont nous avons tous besoin aujourd’hui pour éviter d’être simplistes dans nos prises de position.
A un autre niveau, le cinéaste fait aussi un acte de foi (en témoigne l’appel à la paix mis en exergue à la fin du film à travers la citation tirée du psaume de David). Aussi M. Chouraqui donne t-il une des raisons d’exister de ce film : Ô Jérusalem a été fait aussi pour dire aux hommes qu’il est urgent « d’appeler à la paix ». Le cinéma permet alors d’être cet outil au service de l’Histoire, de l’enseignement et de la foi, quelque soit notre appartenance religieuse. Il rejoint la quête collective d’une espérance d’un monde meilleur et de fraternité humaine. Autant de raisons suffisantes donc pour aller voir ce film intéressant et « bien ficelé »…
Sur un plan artistique, le film en tant qu’œuvre, présente beaucoup moins d’intérêt ; il reste peu satisfaisant en général, malgré certaines qualités. La première de ces qualités réside sûrement dans l’adaptation et le montage. Chouraqui a choisi le genre de l’épopée et du film historique classique. Le film expose l’engrenage de la haine entre les deux peuples et il montre parfaitement la rapidité de l’enchaînement des violences. Au niveau du cinéma lui-même, cette cascade de haine, comme une descente aux enfers, est très bien rendue et frappe particulièrement le spectateur par son intensité et sa vitesse. Tout au long du montage, de l’enchaînement des plans et des scènes très pédagogiquement resituées par une indication de dates et de lieu, le film insère des images d’archives. Celles-ci renvoient souvent au nazisme. A plusieurs reprises (et dès le début avec les fumées noires du générique), le réalisateur entend situer l’origine du mal et de la violence dans la shoah. La haine, le totalitarisme et la violence n’ont pour enfants que la haine et les larmes. La guerre engendre la guerre. Le spectateur ressent cette « épine dans la chair ». Il y a en l’homme à la fois la capacité d’aimer et de tuer, une force de vie et de mort, une « écharde » qu’il porte en lui, comme le sceau de son humanité. Pour exprimer cette « écharde dans la chair » à travers une histoire et des images, le cinéaste s’efforce de centrer le récit sur les relations entre deux amis qui deviennent des frères (un juif et un arabe) et qui, à cause des circonstances, deviennent des ennemis. Le film montre que les événements irrémédiables et leurs différences les « obligent » à se faire la guerre, ils n’ont pas le choix. Cet angle d’attaque (des frères ennemis), plutôt que celui de l’exposé historique, s’il avait été plus développé, aurait donné lieu à un film sûrement plus profond et plus universel. Le mariage qui clôt le film constitue à mes yeux la plus belle scène. Elle peut à elle seule résumer tout le propos de Ô Jérusalem ou plutôt ce qu’aurait pu être le vrai sujet du film s’il avait été moins didactique: l’homme engagé dans le combat pour la paix et l’amour est « lié », à la vie à la mort. Le mariage en question évoque ici l’alliance de l’homme avec l’humanité et avec Dieu. Il est question de l’amour qui va au bout, de celui qui se livre tout entier en acceptant la souffrance jusqu’à la mort. Les personnages, unis dans l’amour et la mort, apparaissent à ce moment là comme des icônes d’une humanité livrée au don plein et entier d’elle-même.
Pour finir il importe d’aborder la question de la neutralité voulue par le réalisateur. Ce film a sans aucun doute une raison d’exister mais était-ce à Elie Chouraqui de prendre à bras le corps cette question ? Même si l’on sent les efforts du cinéaste pour rester neutre, plusieurs indices le trahissent et sèment la confusion. Sa présence fréquente à l’écran (ainsi que celle de Patrick Bruel très décevant et peu crédible) non seulement agace mais aussi paraît déplacée car elle est en total décalage avec ce désir d’impartialité. Bruel par l’image qu’il véhicule dans les médias renvoie à l’aspect commercial du film. Quant à Chouraqui, il passe dans son film pour un meneur de troupes (difficile d’oublier le fait qu’il soit le metteur en scène quand il passe à l’écran). Qu’il le veuille ou non, il semble vouloir marquer son empreinte d’une manière trop ostensible et maladroite. Se présentant comme défenseur ou comme porte flamme, il ralentit considérablement l’effet de puissance du film et son impact sur les esprits. Dominique Lapierre et Larry Collins avaient réussi, de par leur neutralité de point de vue, à poser un regard objectif sur un sujet très polémique. Or ici on ne peut s’empêcher de penser que, malgré la somme de travail effectué sur ce film, Chouraqui tire la couverture à lui. Tout artiste devant son œuvre possède la pleine et entière liberté au sujet du point de vue qu’il adopte, être objectif ou s’engager. Au niveau formel, le film se présente à nous comme ayant une vocation historique et pédagogique (Le cinéma comme un outil au service de l’Histoire). Et, alors même qu’il s’avance avec cette prétention, il ne parvient pas à atteindre l’impartialité qu’il revendique. Sur ce point Ô Jérusalem reste équivoque et surtout ne remplit pas vraiment son contrat.
Pour Dominique Lapierre, l’auteur du livre d’où est tiré le film de Elie Chouraqui, le sort de la Palestine en 1948 est une page essentielle de l’Histoire du monde contemporain. « Au départ, dit-il, il y a le choc émotionnel de notre découverte de Jérusalem, une ville unique au monde où l’on a vraiment l’impression d’être plus près du ciel, au plus près de Dieu, au plus près de la résurrection. Du haut du Mont des Oliviers, il y a en contrebas cette vision inoubliable de la vieille ville de Jérusalem où, depuis des millénaires, les cloches des églises sonnent à toute volée l’angélus, où les Muezzins des mosquées appellent à la prière, et où les complaintes des Schofars des synagogues annoncent le début du Shabbat. Que de sacrifices ont été imposés au nom de Dieu à cette ville au cours de sa longue histoire ! De là est venue l’idée de raconter l’influence spirituelle et le rôle stratégique de cette ville, et pourquoi et comment cet Etat d’Israël a vu le jour en 1948. Pourquoi et comment a commencé ce conflit entre les Juifs et les Arabes. Un conflit qui dure encore aujourd’hui ».
Plusieurs de ses livres ont été adaptés au cinéma notamment La Cité de la Joie par R. Joffé, mais personne n’avait jamais réussi à porter à l’écran Ô Jérusalem. Dominique Lapierre avec Larry Collins l’espérait pourtant passionnément depuis quarante ans. De nombreux réalisateurs se sont risqués dans une adaptation, mais le contexte politique en a découragé plus d’un. « Dans mes archives, la rangée des divers scénarios élaborés autour de ce projet s’étale sur plus de trois mètres ! J’avais fait visiter Jérusalem à Costa-Gavras et à Georges Semprun pour leur faire percevoir de l’intérieur le caractère passionnant de cette histoire. Ils ont été emballés, puis au bout d’un an, Costa-Gavras a estimé qu’il ne pouvait pas faire un film impartial sur ce sujet. Le scénariste John Briley qui venait d’écrire Gandhi pour Richard Attenborough, le réalisateur William Friedkin et d’autres ont été tentés à leur tour, avant de se rétracter face à un sujet qui restait d’une actualité brûlante. Nous attendions Elie, et il a réussi à mener à bien ce projet ».
Qu’est-ce qui alors a incité Elie Chouraqui à relever ce défi ? « Dans une vie d’homme, confie le cinéaste, il y a des rencontres essentielles. J’ai envie de dire fondatrices. Il ne faut pas les manquer. Quand André Djaoui, qui possédait les droits du livre, m’a appelé après avoir vu Harrison’s Flowers, j’ai eu le sentiment immédiat qu’il était indispensable que Ô Jérusalem devienne un film. Et que pour mille raisons d’ordre intellectuel, humain, politique, il fallait que ce film soit fait tout de suite. « Ici et maintenant » ! J’étais déjà plongé dans la préparation d’un autre projet, j’ai tout arrêté. Je souffre, nous souffrons tous de ce conflit israélo-arabe qui, depuis des années, oppose deux peuples faits, créés pour vivre ensemble. Bien sûr le défi était de taille. Effectivement, le sujet est grave, dangereux. Mais il me semblait, et j’en suis maintenant persuadé, qu’en mettant en images et en expliquant les racines du mal, le pourquoi, le comment de ce conflit, on donnait un outil à ceux qui luttent pour la paix. Le film se devait de faire comprendre la complexité de ce conflit, en respectant la douleur endurée dans chaque camp ».
L’objectivité du livre dont s’inspire ce film tient au fait qu’il soit écrit par deux
Chrétiens. Elie Chouraqui dit lui-même qu’il a voulu retrouver dans le film cette neutralité de regard. « Le parti pris du film, c’est l’impartialité. Et c’était le parti le plus difficile à prendre. Impossible à prendre, diront certains. Mais c’est le parti auquel je me suis attaché jour après jour, plan après plan. La moindre dérive aurait trahi les événements historiques et les personnages qui les ont vécus, ainsi que le travail de Dominique et de Larry. Mais comment être impartial ? En restant fidèle à la réalité des faits historiques. Qu’une poignée de Juifs se soit battue contre cinq Nations Arabes est un fait historique. Comment montrer la douleur de ces deux peuples ? Simplement au travers des hommes qui ont vécu cette histoire. En suivant au plus près Bobby et Saïd. La description de la désespérance de ces deux hommes et de ces deux parties s’est inscrite naturellement sous ma plume, puis dans mon travail avec la caméra. Je n’ai pas mesuré la longueur des plans pour contrôler si elle était identique pour chaque camp. Mais quand au moment du Partage, je montre à la fois le bonheur des Juifs et la douleur des Arabes, j’ai l’impression d’être logique dans ma démarche. Je ne crois pas prendre parti pour l’un ou pour l’autre ».
NB : les propos de Dominique Lapierre et d’Elie Chouraqui sont tirés du dossier de presse du film)