Pétrarque, père de l’humanisme renaissant et maître incontesté de la littérature européenne, raconte dans le quatrième livre de ses Lettres familières comment il fut bouleversé par une phrase de Saint Augustin.
La correspondance latine de Pétrarque, né il y a 700 ans cette année, constitue, au dire des spécialistes, le chef d’oeuvre du Pétrarque humaniste. Réunissant, au sein même de l’immense oeuvre latine, un grandiose corpus auquel l’écrivain travailla jusqu’aux derniers mois de sa vie, elle peut être lue aussi bien comme une autobiographie idéale du poète et un commentaire illuminant le reste de l’oeuvre que comme un miroir de l’histoire du Trecento et comme l’inventaire des grandes découvertes philologiques qui, comme on sait, renouvelèrent la culture, la conjuguèrent à l’esprit de l’âge classique, l’imprégnèrent de toutes les inquiétudes de l’humanitas et la proposèrent comme la base même de la sensibilité occidentale.
Or, au coeur de cette correspondance, au début du quatrième livre des Lettres Familières, se trouve un passage éblouissant où Pétrarque raconte comment la lecture d’une phrase des Confessions de saint Augustin le plongea littéralement dans un abîme de méditation. La scène se passe à la montagne. Le poète a entrepris avec son frère de faire l’ascension du Mont Ventoux. Une fois arrivé au sommet, tandis qu’il contemple le paysage celui qui se déploie devant ses yeux mais aussi celui de sa vie qui lui apparaît alors dans toute son entendue-, une idée lui vient à l’esprit : ouvrir le volume des Confessions que lui a offert l’un de ses amis et qu’il a emporté avec lui.
« C’est un livre d’un bien petit format, gros comme le poing, mais d’une infinie douceur. Je l’ouvre pour y lire ce que j’y rencontrerais. Que pouvais-je y rencontrer, qui ne fût plein de piété et de dévotion ? Par hasard me tomba sous les yeux le dixième livre. Mon frère, qui attendait de ma bouche une parole d’Augustin, était tout oreilles. J’en prend à témoin Dieu et mon frère qui était présent, les premières paroles sur lesquelles je portai mes yeux furent celles-ci : « Dire que les hommes s’en vont admirer les cîmes des montagnes, les vagues énormes de la mer, le large cours des fleuves, les plages sineuses de l’Océan, les révolutions des astres, et qu’ils ne font même pas attention à eux-mêmes ! » ( )
« Bien satisfait désormais d’avoir vu cette montagne, je tournai en moi-même les yeux de mon esprit, et, à partir de ce moment, plus personne ne m’entendit parler tant que nous ne fûmes pas parvenus en bas de la montagne. Ces paroles m’avaient suffisament occupé dans mon silence. Je ne pouvais me persuader que cela m’était arrivé par hasard, mais je pensais que ce que j’avais lu avait été écrit pour moi et non pour un autre ( ) Je me rappelais ce que le même Augustin avait pensé de lui-même autrefois, quand à la lecture du livre de l’Apôtre, comme il le rapporte, il rencontra d’abors ces paroles : « Ne vivez pas dans les festins, dans les excès de vin, ni dans les voluptés impudiques, ni dans les querelles et les jalousies ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ ( )»
Dans la suite, Pétrarque cite aussi saint Antoine et opère un véritable retour sur lui-même qui l’invite à méditer sur la noblesse de l’âme. Il déclare ensuite que nulle prison, nulle croix ne sauraient être trop terrifiantes pour approcher Dieu Bref, on remarque à travers cette lettre (à lire de toute urgence dans son intégralité) que ce sommet de la littérature européenne qu’est Pétrarque entretient avec le christianisme un rapport pour le moins privilégié. On y découvre en effet que le père de l’Humanisme -dans lequel certains voudraient bien voir une sorte d’alternative païenne au judéo-christianisme, si ce n’est le fondement idéologique et culturel de la Laïcité- se promenait avec les Confessions de Saint Augustin sous le bras, prêt à en lire un passage à tout moment. Plus fondamentalement, la lecture de l’oeuvre de l’évêque d’Hippone se présente dans ce texte comme le parachèvement d’une véritable ascension spirituelle. Ascension inattendue qui aboutit à la redécouverte fulgurante du « livre de l’Apôtre » et finalement, au beau milieu d’une contemplation apparemment toute humaine, à l’irruption quasi-miraculeuse du saint Nom de « Notre-Seigneur Jésus-Christ » !