Etre organiste ne consiste pas seulement à jouer de l’orgue. C’est aussi participer pleinement à la liturgie et mettre la musique au service de la prière. Isabelle, 28 ans, nous explique comment elle conçoit cette tâche, qui s’inscrit à la fois dans sa carrière de musicienne et dans son itinéraire spirituel.
Isabelle, comment t’est venue cette passion pour l’orgue et pour la musique liturgique ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille chrétienne et pratiquante, de fréquenter une école catho, et de grandir dans un milieu très porté sur la musique, la musique liturgique en particulier, mes parents et mon oncle étant organistes (je les suivais dans leurs tribunes
)
J’ai commencé par apprendre le piano, mais très vite, j’ai eu envie d’être organiste
L’orgue, c’est extraordinaire : une diversité de timbres, tantôt majestueux et brillants, tantôt doux et mystérieux (symbole de l’unité dans la diversité !), un instrument qui a traversé les siècles, qui peut créer toutes sortes de climats, et qui résonne admirablement dans nos églises
Je pense que c’est pour cela que l’orgue à tuyaux demeure l’instrument privilégié dans nos liturgies
A Bordeaux, au MEJ et dans mon collège, je participais avec d’autres jeunes à l’animation de célébrations, en chantant, jouant de la flûte à bec, puis à l’orgue ou au synthé.
Et puis j’ai été ” lancée ” à accompagner des messes sur de grandes orgues y compris dans des cathédrales (à Bordeaux et à Bayonne pour les vacances) – quand j’avais 12 ans.
En 1988, ma famille a déménagé pour la région parisienne. Ce fut une chance, en particulier pour les études musicales très sérieuses que j’ai pu y faire (orgue interprétation et improvisation -, formation musicale, harmonie, contrepoint et fugue, Faculté de Musicologie en vue du CAPES et de l’Agrégation), et les musiciens que j’ai pu écouter et rencontrer.
Deux lieux ont particulièrement compté pour toi, lesquels ?
Notre Dame de Paris, avec l’action du chanoine Jehan Revert qui a su concilier la tradition musicale de la Cathédrale avec les exigences post-conciliaires.
Et Lourdes, avec l’action du frère Jean-Paul Lécot, organiste et Maître de chapelle des Sanctuaires, en faveur d’une musique liturgique qui allie la qualité avec la participation de l’assemblée (d’ailleurs, je suis très en lien avec les gens de là-bas, et
j’ y ai même joué de l’orgue : accompagner, à la Basilique St Pie X, la procession eucharistique, avec 17 000 personnes, c’est impressionnant !)
Y a-t-il eu un moment précis où tout s’est enclenché ?
En effet, quand j’ai eu 14-15 ans, à l’époque de ma confirmation, j’ai ressenti un appel : le début d’une extraordinaire aventure musicale et spirituelle, qui continue toujours :
comment concilier ma foi avec ma pratique musicale ?
D’abord, comme organiste en paroisse, puis plus largement en aidant d’autres musiciens et d’autres acteurs liturgiques.
Le Seigneur m’a confié des talents, que je dois faire fructifier et mettre au service de sa Gloire et au service des autres.
Une vocation
?
De 1990 à 92, j’ai accompagné la messe à la chapelle St André de Villemomble, sur un instrument électronique d’un seul clavier : c’est là que je me suis réellement formée à l’accompagnement de répertoires très divers et à la collaboration paroissiale avec des animateurs jeunes ou adultes. J’ai ensuite poursuivi comme organiste titulaire bénévole à Ste Marthe de Pantin, où il y avait un petit orgue un vrai cette fois ! un Cavaillé-Coll : j’ai pu, en plus, allier une dimension artistique et culturelle (à travers quelques concerts ou des auditions avant la messe).
Devenue prof. de musique en collège, j’ai atterri dans l’Aisne, où je suis toujours actuellement.
Je n’ai pas retrouvé tout de suite de poste d’organiste, mais me suis très investie, dans ma paroisse de Saint-Quentin, auprès des jeunes qui se lançaient dans l’animation des chants à la messe. Et puis cela m’a ouvert à une dimension plus large de l’Eglise et de la liturgie, si bien que j’ai été très vite impliquée au plan diocésain, et j’ai eu la chance de suivre un cycle de formation en pastorale liturgique, le CYFFAL.
Quelle est ta situation aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je suis à Soissons, organiste titulaire de la Cathédrale : un édifice magnifique, un beau grand orgue, un bel orgue de chur, une bonne chorale liturgique que je dirige aussi parfois et que j’accompagne lors de ses répétitions
J’assure 95% des offices comme organiste, mais je participe aussi aux réunions liturgiques et fais du catéchisme (à des 6èmes).
Sur le doyenné, je m’occupe aussi, avec d’autres jeunes musiciens de l’animation de messes dîtes ” Messes des jeunes “, avec guitares, batterie, saxophones, flûtes, moi au clavier et d’autres aussi
J’essaie de les aider, en matière musicale et liturgique, tout en respectant leurs aspirations (on n’a pas tout à fait la même culture
mais le dialogue est fructueux !).
Je suis aussi membre de la commission diocésaine de musique liturgique, ayant une lettre de mission de mon Evêque, en particulier pour la formation et le soutien des organistes liturgiques, mais je participe aussi à la préparation et l’animation des ” après-midi répertoire intergénération ” pour chanteurs et instrumentistes, ou de célébrations diocésaines (ordinations, pèlerinage à Lourdes
).
Ma vie ici se veut à la fois musicale et fraternelle
Je suis plutôt heureuse et je rends grâce au Seigneur !
Tu ne te contentes pas de jouer, tu composes aussi.
Oui, j’écris des pièces pour orgue, pour le concert et pour la liturgie, de nombreux arrangements et harmonisations, pour la chorale ou les instruments, des chants liturgiques (notamment : une messe chantée ici régulièrement et appréciée par des personnes de milieux différents -qui est entrain d’être publiée par tranches dans la revue ” Voix nouvelles ” – le Gloria est paru en septembre, sous la référence AL 40-83-22) et, l’été dernier, j’ai écrit un Magnificat pour choeur, solistes, trompette et orgue, destiné au concert spirituel : peut-être sera-t-il joué un jour, si Dieu le veut
Je donne aussi des concerts comme organiste, en y donnant, quand c’est possible, une dimension spirituelle en lien avec un temps liturgique, et aussi un aspect pédagogique : je voudrais atténuer une certaine coupure entre l’Art et la Foi : en ouvrant l’Eglise sur l’extérieur, mais aussi en faisant en sorte que l’Eglise ne se désapproprie pas son patrimoine.
Quelle définition donnerais-tu de la musique liturgique ?
La question de la musique liturgique est très délicate et souvent, hélas, source de conflits dans les communautés paroissiales, et il m’arrive souvent d’être tiraillée entre des exigences musicales et des exigences pastorales. J’essaie d’être souple et ouverte, tout en affirmant mes convictions
La musique en liturgie n’est pas un élément décoratif, mais elle en fait partie intégrante.
La ” participation pleine, consciente et active ” de toute l’assemblée qui célèbre est la priorité, mais l’écoute est aussi une forme de participation.
La liturgie, ” source et sommet ” de la vie du chrétien, est un lieu de rencontre avec le Christ ressuscité, une rencontre qui se fait en Eglise, signe de l’unité dans la diversité, et qui comporte des dialogues.
Tout cela va déterminer la mise en uvre et la forme des chants : chants à refrain, hymnes, psaumes
alternance choeur, solistes, assemblée (ce que l’on nomme maintenant ” pluri-vocalité “.
Il faut aussi des temps de silence, et respecter le mécanisme ” tension détente “, inhérent à tout rythme humain.
Que penses-tu de la variété des styles musicaux ?
Les styles musicaux sont variés
et il y a eu, après le concile Vatican II, un foisonnement
Je pense qu’il faut que toutes les cultures aient leur place, mais dans le respect des uns et des autres.
Je pense qu’il ne faut pas opposer ce que l’on nomme ” Tradition ” (rien n’interdit de chanter du grégorien !) et une soi-disant modernité,
mais plutôt miser sur une Tradition vivante, évolutive, et chercher ce qui unit.
Je crois qu’il faut aussi tenir compte
– du lieu dans lequel on célèbre (une cathédrale ? une petite chapelle ? en plein air ? sous un chapiteau ?
)
– de la composition de l’assemblée qui célèbre (est-ce la messe paroissiale, y a-t-il des enfants, est-ce une assemblée de jeunes ?
)
– et des ” moyens ” musicaux dont on dispose : a-t-on un organiste compétent (et, si possible, l’instrument qui va avec), a-t-on une chorale capable de chanter en polyphonie, a-t-on un orchestre de jeunes, a-t-on des personnes (jeunes ou adultes) capable de chanter une phrase en soliste
etc. ?
La collaboration entre les différents acteurs de la liturgie, avant, pendant et après la célébration, est également un élément déterminant : quand on peut, favoriser un dialogue à la fois vrai, juste et fraternel, l’inter-génération, la répartition des rôles dans la complémentarité des tâches et des compétences (” les dons de la grâce sont variés
“).
Il arrive que l’on ne soit pas d’accord
, mais, au final, on se retrouve toujours sur l’essentiel : la Foi !
Qu’est-ce qui fait la qualité d’un chant liturgique ?
Probablement :
– La qualité musicale (cela peut paraître subjectif, mais il y quand même des ” lois “) : qualité de la ligne mélodique et rythmique, qualité de l’harmonisation
– La qualité du texte : ce qu’il transmet du point de vue de la Foi de l’Eglise, et sa qualité littéraire (poésie, isorythmie
)
– Le lien entre le texte et la musique : comment la musique sert le texte (prosodie, climat mélodique, rythmique et harmonique)
– Et enfin, résultat de tout cela, le lien avec le rite célébré. En cela, attention à ne pas confondre chant de veillée et chant pour la liturgie !
Comment envisages-tu ton rôle d’organiste durant la messe ?
C’est en quelque sorte ma propre prière en musique, mise au service de toute l’assemblée dont
je fais partie (même perchée là-haut !).
Quand je joue avant la messe, c’est à la fois pour participer à l’accueil et habiter le lieu, et pour préluder au chant d’entrée, en donnant ” la couleur “.
Quand j’improvise un interlude après l’homélie, j’essaie que ce soit un commentaire, un prolongement, de ce qui vient d’être dit
il faut donc être à l’affût !
Pour la présentation des dons, j’essaie de jouer une pièce assez enjouée, qui devient plus méditative vers la fin (j’essaie de coller au rite
).
A la communion, ce sera une pièce méditative, qui accompagne le mouvement de procession.
A la sortie, ce sera une pièce plutôt brillante, joyeuse : cette conclusion participe à l’Envoi.
Mais, le climat ne sera pas le même selon que l’on est en Avent, à Noël, en Carême ou à Pâques. D’ailleurs, c’est pareil quand j’accompagne les chants : je ne mettrai pas les mêmes jeux pour un psaume ou pour un alléluia, mon phrasé pourra être différent
Je joue, évidemment, des pièces du répertoire (de Grigny à Langlais, en passant par Bach, et tant d’autres
), mais j’improvise énormément, car je suis ainsi plus sûre d’exprimer ce que j’ai dit ci-dessus. Les sources d’inspiration peuvent être le chant grégorien, le choral, ou un ” cantique ” actuel, mais il y a des pièces du répertoire qui ne sont pas spécifiquement liturgiques mais dont le climat peut convenir.
Enfin, il y a la façon d’introduire les chants, les interludes que l’on peut improviser par exemple entre les strophes d’un processionnal de communion
Cela demande du métier, et une recherche permanente, à la fois artistique et spirituelle
Je suis toujours en marche, toujours en recherche
et c’est passionnant !