Le film de Mel Gibson relatant les dernières heures de la vie du Christ sort demain, mercredi des Cendres, sur les écrans américains. Le P. Thomas Rosica, bibliste et représentant des évêques du Canada pour les relations avec le judaïsme pendant près de dix ans, a vu le film. Il confie son témoignage personnel.
Le Père Thomas Rosica, de la Congrégation de St-Basile, est connu de nos lecteurs comme ancien directeur national des JMJ 2002 à Toronto, dont le cur a été une magnifique méditation du Chemin de Croix dans les rues de cette ville moderne. En tant que bibliste, il a représenté la conférence épiscopale du Canada pendant près de dix ans à la commission nationale canadienne pour les relations avec le judaïsme. Il a vécu, étudié, et enseigné en Terre Sainte, à l’Ecole biblique et archéologique française et à l’Université hébraïque de Jérusalem. Depuis juillet 2003, il est président directeur général de la première télévision nationale catholique canadienne et de la Fondation catholique “Sel et Lumière média”.
inXL6 : Père Rosica, vous avez pu voir “la Passion” de Mel Gibson. Quel est votre sentiment personnel sur ce film ?
J’ai tout d’abord été “émerveillé” la première fois que j’ai vu le film, juste avant Noel 2003. J’ai rarement quitté un théâtre ou une salle de cinéma avec un aussi fort désir de prier et de rester en silence. “The Passion” est une présentation profondément émouvante des dernières heures de la vie de Jésus. Ce n’est certainement pas un film pour les enfants. Si Gibson se proposait de permettre aux gens de s’approcher du Christ grâce à ce film, il a atteint son objectif. Si Gibson voulait permettre aux gens de faire l’expérience d’une conversion du cur au message non-violent de la Croix, là aussi, c’est réussi.
Le film est réalisé avec un art cinématographique consommé, une excellente interprétation, et avec fidélité aux Ecritures, une grande attention à la signification théologique de la Passion et de la mort du Christ, une sensibilité artistique et religieuse extraordinaire. On dirait que le Caravage lui-même a été le directeur artistique et des éclairages du film. Chaque scène est richement créée de façon à inviter le spectateur à entrer de plus en plus profondément dans le mystère. J’estime vraiment que ce film est vraiment un chef d’uvre de l’art religieux et parmi les plus puissants.
Parmi les détails extraordinaires, j’ai relevé l’utilisation magistrale que Gibson fait des “flashback”. En tant que professeur des récits de la Passion, j’ai toujours été frappé par les scènes poignantes du procès, et du rôle de saint Pierre dans le récit des Evangiles. Dans ce film, les retours incessants sur le Christ et Pierre produisent un effet spécial.
Les retours incessants sur le Christ et sa mère produisent un effet spécial. La souffrance du Christ en croix est ponctuée par des retours sur le lavement des pieds aux apôtres comme service d’amour. Et il y a tellement de manières subtiles de faire en un instant d’un figurant un protagoniste du film. Le spectateur devenu protagoniste doit regarder les faits et les événements bruts et témoigner de la souffrance d’un homme juste. Plus les scènes sont brutales, plus puissantes se font les retours sur l’enseignement de Jésus au Mont des Béatitudes, Jésus s’identifiant au Bon Pasteur, Jésus offrant sa vie dans le pain et le vin de la Dernière Cène.
inXL6 : Ce film, bien avant sa sortie, a provoqué une grande polémique, quant à sa violence et au rôle du peuple juif dans la condamnation du Christ. Ces débats vous paraissent-ils justifiés, au regard de l’oeuvre ? Ou font-ils partie d’une surmédiatisation orchestrée autour du lancement du film?
Présenter la vie de Jésus sera toujours un immense défi car Jésus demeure un signe de contradiction pour beaucoup de personnes. Mel Gibson n’a rien fait pour enlever quelque chose à la brutalité de l’histoire de la Passion. En effet, il n’a aucunement l’intention de représenter une Passion à l’eau de rose du piétisme ou d’une fausse spiritualité. J’attribue beaucoup l’émoi et l’opposition à l’ignorance, à une obsession d’être “politiquement correct”, à une pauvre compréhension des vraies relations interreligieuses, et à un refus de se confronter aux faits bruts et à la nature ambiguë du procès et de l’exécution de Jésus.
Je dois aussi admettre que les Chrétiens et les Juifs qui n’ont pas une connaissance adulte des Ecritures et promeuvent un faux irénisme et l’ignorance de l’histoire, n’aident pas à construire des ponts ni à réparer les ravages réels de l’antisémitisme qui est encore vivant dans le monde. J’ai entendu des débats houleux entre des personnes qui n’ont aucune idée de ce dont il s’agit dans ce film. Ce serait dommage qu’aucun grand distributeur de film ne saisisse cette occasion de promouvoir ce grand film au nom du politiquement correct en raison d’un sens erroné de ce qu’est l’antisémitisme et l’anti-judaïsme.
Je suis convaincu que le film n’est pas du tout antisémite ni anti-juif. Le film n’exagère ni ne diminue le rôle des autorités juives et des procédures légales dans la condamnation de Jésus. Sans aucun doute, la figure de Caïphe, le grand prêtre juif est celle d’un méchant. Mais il est très important de réaliser que Caïphe, dans les Ecritures, représente le régime de l’époque et non pas les Juifs. Le film devrait servir de tremplin pour approfondir notre connaissance des Ecritures, notre amour de Jésus Christ, notre compréhension de la réconciliation historique entre Chrétiens et Juifs, spécialement depuis Vatican II, et sous le pontificat du pape Jean-Paul II, dans une analyse des vraies causes de l’antisémitisme, et de sa réapparition dans le monde d’aujourd’hui.
Des Juifs et des Romains de l’époque ont été impliqués dans la condamnation, le procès et l’exécution de Jésus. C’est un fait historique. Qui chercherait à réécrire l’histoire ou réécrire les récits évangéliques des souffrances et de la mort de Jésus serait infidèle à l’histoire et malhonnête de vouloir appliquer les leçons du passé aux situations présentes.
inXL6 : Mel Gibson n’est pas le premier cinéaste à aborder la vie du Christ. Une telle oeuvre, hyper réaliste, aide-t-elle à découvrir le coeur du message évangélique ?
Est-ce que ce n’est pas finalement là la vraie question posée par le film : jusqu’à quel point un bon nombre d’autorités politiques et religieuses ont-elles, au cours de l’histoire, persécuté des individus ayant des idées révolutionnaires ? Les récits évangéliques de la Passion rapportent comment les péchés de toutes les personnes du temps de Jésus ont conspiré pour arriver à la passion et à la mort du Christ, et ils suggèrent ainsi cette vérité fondamentale que nous sommes tous à blâmer. Leurs péchés et nos péchés ont conduit Jésus sur la Croix, et il accepte de les porter tous.
Nous devons tirer les leçons de ce qui est arrivé à Jésus et nous interroger nous-mêmes non seulement sur l’identité de ceux qui ont fait son procès, l’ont condamné, et mis à mort, il y a longtemps, mais aussi sur CE qui a tué Jésus… et sur le fait que le cercle vicieux de la violence, de la brutalité, et de la haine continue à le crucifier aujourd’hui dans ses frères et surs de la famille humaine.
La semaine dernière lors de sa visite à Toronto, Maia Morgenstern, qui interprète magistralement le rôle de Marie, estime que “The Passion” combat l’oppression et la violence. “Le film traite, dit-elle, de ce que c’est que de laisser les gens dire ouvertement de ce qu’ils pensent et croient. Il dénonce la folie de la violence et de la cruauté, qui, si on ne la contrôle pas, peut se répandre comme une maladie”.
A la fin d’un film si provocant, je suis resté avec certaines questions. Dans la “Passion” de Gibson, le “grand prêtre” est Jésus, l’Enfant de Bethléem qui devient l'”Ecce Homo” de Jérusalem, qui n’est pas loin de nous et de notre condition, mais sympathise avec nous et souffre avec nous, parce qu’il a fait l’expérience de notre faiblesse et de nos peines, et même de nos tentations, et je dois me demander: Suis-je un prêtre à son image ?
Est-ce que je vis pour les autres et est-ce que je me dépense pour les autres ? Le monde est-il moins violent, moins hostile et moins brutal, et un peu plus patient, doux et juste, grâce à moi ? Est-ce que je suis du côté de la vérité ? Ou ai-je peur de manifester ma foi en Jésus et ma fidélité à l’Evangile ? “The Passion” me pousse à réfléchir sur ce qu’il en coûte d’être disciple.