La Passion a inspiré et continue à inspirer de nombreux poètes. La Mort et la Résurrection du Christ les touchent, leur parlent et les rejoignent dans leur expérience personnelle. Gérard de Nerval évoque l’angoisse du Christ.
Le plus grand poète romantique, Nerval, évoque avec une force toute particulière le désarroi du Christ au Jardin des Oliviers. Se sentant abandonné par son Père, une angoisse vertigineuse saisit le Fils de l’Homme et le doute le plus affreux (” Non, Dieu n’existe pas ! “) l’investit.
I.
“Quand le Seigneur, levant au ciel ses maigres bras
Sous les arbres sacrés, comme font les poètes,
Se fut longtemps perdu dans ses douleurs muettes,
Et se jugea trahi par ses amis ingrats ;
Il se tourna vers ceux qui l’attendaient en bas
Rêvant d’être des rois, des sages, des prophètes
Mais engourdis, perdus dans le sommeil des bêtes,
Et se prit à crier : ” Non, Dieu n’existe pas ! ”
Ils dormaient. ” Mes amis, savez-vous la nouvelle ?
J’ai touché de mon front à la voûte éternelle ;
Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours !
” Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme !
Le dieu manque à l’autel où je suis la victime
Dieu n’est pas ! Dieu n’est plus ” Mais ils dormaient toujours !
IV.
Nul n’entendait gémir l’éternelle victime,
Livrant au monde vain tout son cur épanché ;
Mais prêt à défaillir et sans force penché,
Il appela le seul éveillé dans Solyme :
” Judas ! lui cria-t-il, tu sais ce qu’on m’estime,
Hâte-toi de me vendre, et finis ce marché :
Je suis souffrant, ami ! sur la terre couché
Viens ! ô toi qui, du moins, as la force du crime ! ”
Mais Judas s’en allait, mécontent et pensif,
Se trouvant mal payé, plein d’un remords si vif
Qu’il lisait ses noirceurs sur tous les murs écrites
Enfin Pilate seul, qui veillait pour César,
Sentant quelque pitié, se tourna par hasard :
” Allez cherchez ce fou ! ” dit-il aux satellites.
V.
C’était bien lui ce fou, cet insensé sublime
Cet Icare oublié qui remontait les cieux,
Ce Phatéon perdu sous la foudre des dieux,
Ce bel Atys meurtri que Cybèle ranime !
L’augure interrogeait le flanc de la victime,
La terre s’enivrait de ce sang précieux
L’univers étourdi penchait sur ses essieux,
Et l’Olympe un instant chancela vers l’abîme.
” Réponds ! criait César à Jupiter Ammon,
Quel est ce nouveau Dieu qu’on impose à la terre ?
Et si ce n’est un dieu, c’est au moins un démon
”
Mais l’oracle invoqué pour jamais dut se taire ;
Un seul pouvait au monde expliquer ce mystère :
– Celui qui donna l’âme aux enfants du limon”