La fête de la Pentecôte est bien plus qu’un rappel historique. La liturgie célèbre un don toujours actuel : l’Esprit saint, agissant aujourd’hui. Une catéchèse de Mgr Eric Aumonier.
La dernière fois qu’on a parlé de la Pentecôte en France, c’était il y a quelques temps ! Un gouvernement précédent a voulu supprimer le «férié» du Lundi, lendemain de Pentecôte. La mesure était-elle justifiée ? on peut en discuter, évidemment… Il est clair en tout cas que le jour de la fête, c’est bien le Dimanche, et que, lundi férié ou pas, nous fêterons comme chaque année la Pentecôte. Encore faut-il savoir ce qu’on fait ce jour là, ce qu’on célèbre…
Pas plus qu’à Pâques, il ne s’agit seulement de rappeler un évènement. Car la liturgie n’est pas un simple rappel historique, mais un «mémorial». Il s’agit de la célébration, c’est-à-dire de l’accueil et de l’action de grâces pour un don actuel, pour la présence et l’action de l’Esprit Saint agissant aujourd’hui. Chaque année à la même époque, nous célébrons cette fête, parce que nous vivons dans le temps et dans la chronologie, selon un rythme journalier, hebdomadaire et annuel. Dieu nous y a rejoints en son Fils, qui a lui aussi vécu dans le temps. Il nous rejoint aujourd’hui encore, sa présence et son action viennent marquer, habiter, sanctifier notre existence.
L’événement a bien eu lieu historiquement, même si aucune photo n’a été prise ce jour-là ! (Et nous savons bien que même une photo ne peut jamais à elle seule prouver quoi que ce soit… nous n’avons pas davantage de photo de Napoléon, mais des récits…) Le récit qui en est fait dans les Actes des Apôtres souligne ce qui se passe : les apôtres, simples galiléens dont la seule langue est l’araméen, et quelques mots de grec ou de latin, se mettent à parler de sorte que tous les païens montés à Jérusalem pour la fête du renouvellement de la loi les comprennent dans leur langue ; eux qui avaient peur et avaient trahi parlent sans crainte et avec assurance de Jésus ressuscité ; la joie et les signes de la présence de l’Esprit sont là, indubitables, et accompagnés de signes extérieurs comme le feu.
C’est à la fois une surprise, une irruption, et aussi un évènement attendu dans la prière, s’appuyant sur la promesse de Jésus. Le mot même de Pentecôte («penta» veut dire cinquante en grec) rappelle que l’évènement s’est passé cinquante jours après Pâques, donc dix jours après que Jésus se soit manifesté maintes fois et en de nombreuses rencontres avec ses disciples Lors de sa dernière rencontre, il les avait envoyés en mission proclamer le règne de Dieu et baptiser jusqu’aux extrémités de la terre, et leur demandait d’attendre la venue prochaine de l’Esprit…
Même si l’évènement a eu lieu cinquante jours après Pâques, il ne fait qu’un avec Pâques. La liturgie le souligne, qui présente le temps pascal comme un unique grand jour de Pâques, qui perdure… En effet, Jésus est venu en ce monde et y meurt sur la croix pour donner l’Esprit et non pour se donner en spectacle. Sa mission, son «travail» de Fils incarné a consisté à vivre une existence d’homme qui se laisse complètement habiter par l’Esprit d’Amour reçu du Père. Il lui répond en l’aimant et en nous aimant parfaitement dans cet Esprit. C’est comme si Jésus réécrivait complètement en sa personne la beauté, la fidélité, la vraie liberté de l’être humain, à la ressemblance de Dieu, jusque dans la souffrance et la mort. Et le sommet de la mission de Jésus consiste précisément à prier son Père de nous donner leur Esprit et de nous faire vivre de Lui, dans la sainteté de l’amour pour nos frères. La bonne nouvelle dont sont porteurs les chrétiens, ce n’est pas le récit de la vie de Jésus, c’est le don de l’Esprit offert à tous ceux qui s’y ouvrent par la foi, aux juifs comme aux païens…
Le jour de la Pentecôte est pour notre humanité un vrai commencement : ce qui commence à s’accomplir dans l’histoire des hommes, c’est ce qui était promis par les prophètes et que les rêves les plus fous ne pouvaient imaginer : l’Esprit est donné et transforme le monde, si on l’accepte dans la foi, comme le font les frères et sœurs du Christ, les chrétiens, l’Eglise. De ce point de vue, le Pentecôte est certainement le jour le plus important de l’histoire de l’humanité. Celle-ci, pour ainsi dire, part d’un nouveau départ, est réorientée ; la transformation du monde, intérieure, celle de la sainteté, malgré les résistances et les refus, est plus impressionnante, pour qui veut bien voir, que tous les progrès techniques et scientifiques, pourtant notables, de ces deux derniers siècles. Mais il faut voir, d’un œil avisé, là où la sainteté se donne : les saints les plus célèbres et les plus cachés, les gestes de pardon et d’espérance, les petites et grandes victoires sur la haine et sur la mort, les vies véritablement libres et données, les existences pleines de prière et d’attention aux pauvres, etc.
Mais le signe le plus fort donné par «l’Esprit aux sept dons», ou par «Le» don qu’est l’Esprit en personne, c’est évidemment celui de la charité. C’est ce que rappelle l’apôtre Paul aux Corinthiens qui étaient à juste titre impressionnés par certains charismes (comme le don de prophétie, ou la glossolalie), en leur disant que tous les dons de l’Esprit sont donnés pour la construction du corps-Eglise dans la charité.
Un jour, Jean XXIII, en convoquant le Concile Vatican II, a dit ce qu’il en espérait : une «nouvelle Pentecôte». Cette expression est éclairante dans le mesure où elle nous rappelle que l’Eglise est sans cesse, mais plus particulièrement aujourd’hui, invitée à se laisser renouveler, non de façon superficielle, mais profonde, dans l’esprit missionnaire et sanctifiant ? Lui seul nous accorde à la jeunesse de Dieu, jamais «démodé» dans un monde toujours assoiffé de vérité et de justice et de paix et qui cède, lui, trop souvent à la mode des idoles qu’il se fabrique…