La solennité du Christ Roi de l’univers marque la fin de l’année liturgique.
“Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps”.
Telles sont les dernières paroles du Christ ressuscité dans l’évangile de saint Mathieu. Elles nous aident à pressentir les dimensions inouïes du mystère que l’Église fête aujourd’hui, comme pour couronner l’année liturgique : le mystère du Christ Roi, de la royauté du Christ.
Dire : le Christ est Roi, c’est affirmer, à un premier niveau, que le Christ, comme Dieu et dans son humanité glorifiée, a pouvoir non seulement sur la terre, mais sur le cosmos tout entier, sur tous ces mondes que l’homme commence à explorer, sur tous les mondes dont nous connaissons l’existence et où nous n’irons jamais, et sur tous les mondes que notre science n’a pas encore découverts. Déjà le Christ en est le Seigneur.
Dire : le Christ est Roi, c’est proclamer aussi qu’il est le maître de l’histoire pour tous les peuples et dans tous les temps, et qu’il mène souverainement le destin de chaque homme, de chaque couple, de chaque famille, de chaque communauté, en suscitant, dans le cur de chacun, le meilleur de sa liberté, et en faisant concourir tous les événements au bien de ceux qui l’aiment.
Dire : le Christ est Roi, prier le Christ Roi, c’est reconnaître que l’amour du Christ lui donne tous les droits; c’est reconnaître que le Christ a le droit de nous aimer comme il veut, autant qu’il veut. C’est aussi reprendre avec courage, et avec bonheur, le chemin que librement nous avons choisi pour l’aimer et le suivre.
Pourquoi est-ce inouï de proclamer: “le Christ est Roi, le Christ est Seigneur ?” Certains diraient volontiers : puisqu’il est Dieu, c’est normal ! C’est vrai en un sens, mais celui que fêtons comme notre Roi, c’est le Fils de Dieu qui est aussi le fils de Marie, c’est le Christ vrai Dieu et vrai homme ; et c’est donc un vrai homme qui est Seigneur du monde et de l’histoire, le vrai homme Jésus Christ, qui est né de la Vierge, qui a souffert, qui est mort et qui par sa résurrection est entré dans la gloire, libéré désormais de toutes les contraintes de l’espace et du temps. Le maître du monde et de l’histoire a dit “maman” à une femme de la terre, et c’est ce même Jésus Christ qui a tout pouvoir dans le ciel.
Bien des gens, il est vrai, même parmi les chrétiens, pourraient s’offusquer de cette fête du Christ Roi, en disant : cette seigneurie du Christ sur l’histoire n’est vraiment pas évidente !” Et de fait elle n’est pas facile à discerner, et elle fait appel à notre foi. Mais Jésus nous a prévenus d’avance, lorsqu’il a répondu à Pilate : “Ma royauté n’est pas de ce monde”. C’est la seigneurie du Ressuscité, qu’il est impossible d’évaluer comme on évalue le pouvoir sur la terre. La royauté de Jésus n’est pas un royaume découpé sur une carte, que l’on défend avec des troupes et que l’on enrichit à coups de milliards.
“Ma royauté n’est pas d’ici”, précise Jésus, et il la décrit aussitôt comme le rayonnement de la vérité (Jn 18,17). Or la vérité, selon Jésus, ce n’est pas un système ni une théorie, mais ce que Dieu est dans son mystère et ce qu’il a dans le cur pour le salut des hommes. La vérité que Jésus apporte, c’est une vie qu’il nous offre et un chemin qu’il nous propose : le grand raccourci vers l’amour du Père. Le Christ Roi a un grand commandement, mais il n’impose jamais rien. Simplement il appelle, il invite, il encourage : “Qui m’aime me suive !”
Quant à nous, qui l’avons aimé et qui voulons le suivre, le Christ nous met au service de sa seigneurie : lui qui a été “le témoin fidèle” (Ap 1,5; 3,14) fait de nous les témoins de la vérité, les témoins de l’amour de Dieu pour le monde. Tel est le roi, tels aussi ses amis et ses serviteurs : son style de royauté sera aussi le style de notre témoignage: nous n’imposons rien, nous proposons l’offre de Jésus.
La fête du Christ Roi ne célèbre par le triomphe de l’Église, mais bien plutôt l’entrée de l’Église dans l’uvre universelle du Christ miséricordieux. Nous qui sommes dans le monde, envoyés au monde, consacrés pour la gloire de Dieu et le salut du monde, nous annonçons un Messie crucifié, un Seigneur qui a porté le poids de nos misères. Mais dans ce Seigneur si proche de nous, nous reconnaissons avec allégresse, avec enthousiasme, le maître du monde et de l’histoire,
“afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre, et dans le monde des morts, et que toute langue proclame : “Jésus Christ est Seigneur,à la gloire de Dieu le Père “.