Le P. Maurice Morand, professeur de théologie dogmatique au Centre d’Etudes Théologiques de Caen réagit au dernier livre de Michel Onfray. Pour lui, le “Traité d’athéologie” véhicule une conception paradoxalement théologique de la science en laissant de côté, entre autres, tous les apports de l’exégèse moderne.
“Le symbole donne à penser” affirmait un jour un philosophe parmi les plus marquants de notre époque (Paul Ricoeur “Finitude et culpabilité”). Une philosophie doit “donner à penser” et pas seulement comme le fait un symbole, mais au sens où elle doit inviter à plus d’intelligence et de raison , à en savoir davantage sur le monde et sur l’homme. Que nous “donne à penser” le récent “Traité d’athéologie” de Michel Onfray ? (Michel Onfray “Traité d’athéologie”, Paris, Grasset, 2005).
Pour notre part, nous aurions préféré éviter de prendre le risque d’interroger cet ouvrage à succès s’il n’était pas perçu un peu partout dans les milieux chrétiens avec inquiétude, comme une menace, comme une agression incompréhensible, sinon comme une forme de persécution.
Comme il se présente à la manière d’un traité de philosophie, c’est sur ce qu’il apporte vraiment à l’intelligence contemporaine que nous souhaitons le questionner. Sans craindre si le besoin se présente, de “déconstruire” la “déconstruction”, dont il se réclame.
Comment réagissez-vous au livre de Michel Onfray : “Traité d’athéologie”, à son titre d’abord ?
Il nous faut commencer par remercier clairement M. Onfray : il nous rappelle avec grande conviction la place que tiennent les religions du Dieu unique dans notre monde. Nous pourrions être tentés de penser, devant les églises qui se vident, que le christianisme a fait son temps. Voici un philosophe qui heureusement nous réveille en nous assurant justement du contraire. Le fait chrétien mérite bien qu’on lui prête attention. Ceci mérite d’être souligné.
Le titre du livre surprend le lecteur. Il ne s’agit pas du tout comme on pourrait le penser spontanément d’un exposé sur l’athéisme et ses options fondamentales, métaphysiques ou non. Il s’agit bien plutôt d’un discours sur le discours et le fait monothéistes. Mais l’auteur pouvait-il dire : “Traité de monothéistologie” ? Cela aurait été plus exact sans doute, mais personne n’aurait rien compris et n’aurait eu envie de lire de la monothéistologie.
Que nous propose ce “traité” ? Avant tout un travail de “déconstruction” de ce que les croyants au Dieu unique, juifs, chrétiens et musulmans affirment. Si c’est bien à un travail de “déconstruction” qu’il invite, c’est parce que selon l’auteur, ce qu’ils croient est “construit”, ou encore inventé. Ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme, c’est l’homme qui a inventé Dieu : nous retrouvons le grand principe de toutes les critiques athées de la religion. Ce qui est nouveau, c’est la “déconstruction” particulière censée justifier le principe.
La “déconstruction” de M. Onfray fait pour une part, appel aux sciences humaines, mais en réalité surtout à la philosophie. En effet, la philosophie préside – il le reconnaît lui-même – au travail de déconstruction : “Au delà de ce Traité d’athéologie liminaire, la discipline suppose la mobilisation de domaines multiples : “psychologie et psychanalyse (envisager les mécanismes de la fonction fabulatrice), métaphysique (traquer les généalogies de la transcendance), archéologie (faire parler les soles et les sous-sols des géographies desdites religions), paléographie (établir les textes de l’archive), histoire bien sûr (connaître les épistémés, leurs strates et leurs mouvements dans les zones de naissance des religions), comparatisme (constater la permanence de schèmes mentaux actifs dans des temps distincts et des lieux éloignés), mythologie enquêter sur les détails de la rationalité poétique), herméneutique, linguistique, langues (penser l’idiome local), esthétique (suivre la propagation iconique des croyances… Puis la philosophie, évidemment, car elle paraît la mieux indiquée pour présider aux agencements de toutes ces disciplines” (p.34)
Si l’on y réfléchit, une première interrogation ne manque pas de venir à l’esprit : que signifie ce statut de privilège accordé à la philosophie ? Est-ce que l’auteur accepte de respecter la spécificité des démarches scientifiques des sciences humaines auxquelles il a recours ? Est-ce qu’on ne risque pas d’assister à une prise de pouvoir de la philosophie qui va s’arroger le droit de statuer du vrai et du faux y compris dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence ? D’où, à la lecture, le sentiment d’un impérialisme de la philosophie exercé sur les autres sciences. Le cas est tout à fait frappant, comme nous le verrons, pour ce qui concerne les origines du christianisme.
Le problème est sensible : M. Onfray, ne ferait-il pas jouer à la philosophie le rôle que les théologiens ont voulu jadis assigner à la théologie : celle de présider à la hiérarchisation des savoirs ? On sait ce qui est arrivé dans le passé : à la Renaissance, le procès des cardinaux théologiens contre Galilée, et plus tard, la querelle de l’Évolutionnisme… Pour les théologiens contemporains, en leur immense majorité, ceci est désormais bien acquis : dans leurs méthodes et leurs objets, les sciences ont à rester indépendantes de la théologie comme de la philosophie. Ce principe paraît tout à fait battu en brèche dans le Traité d’athéologie. M. ONFRAY a-t-il autre choser qu’une conception étroitement “théologique” de la science ?
Tout athéisme est-il condamnable ?
Dans le passé, il y a eu des condamnations dans l’Église de systèmes de pensée athée Sur cette question, on peut se reporter à l’exposé éclairant de W. Kasper, “Le Dieu des chrétiens” (Cerf, 1985,p. 80-108) : ce fut le cas du communisme entre les deux guerres. Mais telle n’est pas actuellement l’attitude de l’Église. Dans la Constitution Conciliaire “Gaudium et Spes”, les évêques réunis pour le Concile Vatican II ont délibérément refusé le terme de “condamnation”. Ils ont parlé de “réprobation” de l’athéisme d’une part, et d’autre part de “dialogue loyal et prudent” (Constitution conciliaire “Gaudium et spes” n° 39).Ils ont souligné comme rarement auparavant dans l’Église la responsabilité des Chrétiens eux-mêmes dans la diffusion de l’athéisme ; ils ont dénoncé des attitudes chrétiennes fautives : les insuffisances de la formation de la foi, les déformations du message chrétien par les chrétiens eux-mêmes, les contre témoignages religieux et moraux dont ils peuvent être responsables.
Concrètement, sur quel point le dialogue entre christianisme et athéisme peut-il porter ?
Les textes du Concile nous parlent d’un large terrain d’entente : celui de la défense de la dignité de l’homme et de ses droits Constitution conciliaire (“Gaudium et spes” n°12 et 14 à 18). Dans ce cadre, la question de la foi en Dieu représente plutôt une possibilité d’interpellation mutuelle : les divergences doivent nous conduire à examiner les motifs profonds de notre foi ou de notre non-foi grâce aux interrogations que l’une comme l’autre peuvent susciter chez le vis-à-vis. Dans ce dialogue, tous peuvent progresser dans une meilleure compréhension de leur identité.
L’athéisme militant de M. Onfray ne se prête pas au dialogue ?
Il devrait le pouvoir. Il suppose à longueur de pages l’affirmation de valeurs que l’on ne rejette nullement dans le christianisme (quoi qu’il en soit de dérives contraires dont le passé témoigne, hélas, abondamment) : la valeur de la raison humaine (cf. la maxime traditionnelle : “la foi en quête d’intelligence”), celles de la vie (le respect de la vie, bien sûr, mais aussi la recherche du bonheur ), du corps (mais oui… ! Le corps, au service de la rencontre, de la présence, de la communion…), et même de la terre et du cosmos (qui doivent être tout entiers renouvelés à la fin du monde (Constitution conciliaire “Gaudium et spes” n° 39)).
La logique chrétienne qui conduit à ces affirmations est sans doute bien différente de celle de M. Onfray : c’est cette différence qui peut faire tout l’intérêt d’un dialogue. Mais la possibilité de ce dialogue paraît difficilement envisageable tant notre “philosophe” est impuissant à reconnaître que ces valeurs soient présentes et aient jamais été honorées dans le christianisme. On peut lire dans le “Traité d’athéologie” (p.90) : “déconstruire les monothéismes, démystifier le judéo-christianisme – mais aussi l’islam, bien sûr, puis démonter la théocratie, voilà trois chantiers inauguraux pour l’athéologie.” ; (p. 94) “La religion procède de la pulsion de mort” etc. ; (p. 262) : “Il faut promouvoir une laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental et l’islam qui le combat. Ni la bible, ni le coran. Aux rabbins, aux prêtres, aux imams, ayatollahs et autres mollahs, je persiste à préférer le philosophe.”
Quelles sont les erreurs historiques de M. Onfray ?
La supposée “déconstruction” des monothéismes par le Philosophe d’Argentan ne peut éviter le problème délicat de leur apparition, de leur développement et de leurs évolutions historiques. Problème qui ne peut être tranché sans le recours aux disciplines historiques. En conséquence, si l’on se trouve quelque peu informé, il n’est pas difficile de montrer la faiblesse de ses allégations. Ainsi, sur un sujet qui nous est familier : les origines historiques du christianisme. M. Onfray fait remonter l’apparition du christianisme à une seule origine : Jésus serait “un personnage conceptuel” forgé par Marc et conçu en un premier temps par Paul en raison d’une soi-disant “hystérie” personnelle. On revient à la vieille hypothèse d’un Paul inventeur du christianisme, vaguement réactualisée. L’existence des évangiles apocryphes (pourtant connus de notre auteur) montre qu’il a existé un christianisme non paulinien, d’origine judéo-palestinienne et non pas helléno-chrétienne. Ce que les historiens confirment en étudiant la composition des narrations évangéliques.
L’évangile de Marc lui-même est, selon les études des spécialistes, un document composite, non pas conçu par le seul Marc, mais à partir de sources antérieures sur lesquelles l’évangéliste aurait travaillé. On peut trouver un bon état de la question chez un spécialiste de saint Jean : R.E. Brown “Que sait-on du Nouveau Testament ? ” (Paris, Bayard, p. 191-198). D’une part, on ne peut nier l’existence de “sources” antérieures à Marc, d’autres part, nous n’avons pas de critères suffisamment fiables pour les identifier.
L’étude des textes du Nouveau Testament conduit à cette conclusion, diamétralement opposée à celle d’Onfray : le christianisme ne s’est pas diversifié à partir d’une origine unique Marc-Paul, il a d’abord été pluriel et ce n’est que progressivement, surtout au II° siècle qu’il s’est unifié à partir d’une variété de courants : palestiniens, galiléens, baptistes, samaritains, judéo-chrétiens, helléno-chrétiens pauliniens ou johanniques… Mais pour Onfray, les textes du Nouveau Testament comme toute “l’archive chrétienne” ne sont que falsification : “histoires de faussaires” p. 147-150. Il ignore, visiblement, ce qu’est un “apparat critique”, c’est-à-dire tout le travail réalisé par les spécialistes des manuscrits anciens pour établir l’authenticité des textes où apparaissent, c’est vrai, des erreurs, quelquefois des interpolations tendancieuses, mais qui le plus souvent ont été réalisés par des copistes consciencieux et professionnels.
M. Onfray brocarde avec véhémence le “mépris” chrétien de la femme. Il en voit l’origine dans la “misogynie” de saint Paul. En réalité, sa “misogynie” supposée de saint Paul relève probablement d’un malentendu qui n’est sans doute pas innocent. La lecture des écrits pauliniens nous conduit à distinguer chez celui-ci au moins quatre prises de position concernant la place de la femme dans la société, dans la communauté chrétienne et dans l’humanité :
1. Une prise de position originale, personnelle qui a valeur de principe au plan de la foi : en Gal 3,28 : entre chrétiens, “il n’y a plus ni homme ni femme”. Le monothéisme chrétien suppose, d’après saint Paul, l’égalité de l’homme et de la femme comme du Juif et du païen (voir sur ce sujet précis, ce qu’il en est dans la Lettre aux Romains). Aucun auteur de l’Antiquité à notre connaissance n’a eu des paroles aussi audacieuses en faveur de l’égalité des sexes.
2. L’affirmation d’une responsabilité de droits et de devoirs entre hommes et femmes mariés. Par exemple : chacun dispose du corps de l’autre 1 Cor 7,4.L’affirmation d’une subordination de la femme à l’homme dans l’assemblée liturgique : port du voile 1 Cor 11,3-10. Une traduction fautive peut orienter vers la misogynie : le terme “exousia” qu’utilise Paul pour parler de la coiffure, veut dire littéralement “puissance”. Il a été souvent traduit par “marque de soumission” (voir par ex. la Bible de Jérusalem et la TOB). A. Jaubert estime qu’il devrait s’agir plutôt d’une marque de l’autorité conférée à la femme mariée. Si son hypothèse est juste, les femmes ne doivent pas porter une marque de soumission mais une signe de leur autorité sur la maison !
3. Pour ce qui est de la fameuse consigne de silence 1 Cor 14,34-35, il s’agit d’une position visiblement motivée par les désordres qui secouent les assemblées corinthiennes. Ence qui concerne de la soumission de la femme dans le couple (Eph 5,22-24), cela rejoint les coutumes religieuses et sociales partout en vigueur au I° siècle. Paul n’en est pas l’inventeur.
4. Contrairement à ce que prétend M. Onfray, Paul ne méprisait pas les femmes : le ch. 16 de la Lettre aux Romains en cite plusieurs dont il a fait ses collaboratrices. Il recommande même l’une d’entre elles, Phoebè. Il propose qu’on se soumette à elle car elle a des responsabilités dans l’Église.
Ici se vérifie particulièrement notre hypothèse de départ : ce sont les a priori de l’auteur qui décident ce que doivent être selon lui les faits historiques et ce que les documents ont à livrer comme informations.
Sa philosophie hédoniste est-elle critiquable ?
La philosophie “hédoniste” de M. Onfray n’est pas exposée dans son ouvrage d'”athéologie”. Elle est cependant sous-jacente. Ce que l’on en devine laisse à penser qu’elle doit consoner aisément avec l’individualisme contemporain. Elle peut bien préparer les nouvelles générations à se laisser conditionner par une société marchande qui endort les populations avec des plaisirs artificiels nullement vitaux. Pire, cette philosophie ne semble pas proposer d’idéal, aucune force spirituelle qui donnerait aux jeunes la force de résister aux plaisirs manifestement dangereux que sont par exemple l’alcool, la drogue ou même l’ivresse de courses-poursuites à contresens sur les autoroutes ou de rodéos dans les cités.
Que répondre à l’accusation de pulsion de mort ? Que répondre à l’accusation de haine ?
Elle permet certes à M. Onfray de dénoncer des dérives très graves (et il en omet !) dont les “Chrétiens” se sont rendus coupables : croisades, inquisitions, la traite des Noirs (entre 50 et 200 millions de victimes, ne l’oublions pas !), l’esclavage dans les Amériques, l’extermination des Indiens, les guerres de religions, les chasses aux sorcières, l’antisémitisme etc. Tout cela est accablant, c’est vrai. Notre auteur a parfaitement raison de rappeler à la conscience chrétienne ces drames dont elle a été complice sinon responsable. La haine s’est massivement installée dans la vie des populations chrétiennes et la résistance n’a souvent été assumée que par des minorités. Comment comprendre ces scandales à propos desquels le Pape Jean Paul II nous a invités à la repentance ? Les questions qui nous sont posées par notre philosophe nous rappellent que l’invitation du Pape ne doit surtout pas être prise à la légère. Mais comment interpréter tous ces faits ? Comme une conséquence logique de la foi ? Comme une perversion de la foi ? La perversion des grandes valeurs débouche en effet sur les plus grandes horreurs : les idéaux de la Révolution française et des Lumières sont-ils responsables de la Terreur ? Les idéaux socialistes sont-ils causes du Goulag ?
M. Onfray attribue la haine au monothéisme. Il aurait amplement raison si de tels excès ne se rencontraient que dans le judaïsme, le christianisme et l’islam… Mais les religions polythéistes sont-elles, au contraire des grandes religions monothéistes, à l’abri de toute violence ? Les Aztèques, les hindous, les anciens cananéens, les animistes d’Afrique Noire n’ont-ils jamais pratiqué les sacrifices humains ? L’histoire en outre, nous a laissé peu d’exemples de régimes politiques indiscutablement athées. Pourtant, était-ce la défense de la Vie qui inspirait le régime stalinien lorsqu’il multipliait les camps de travail et d’internement sur tout le territoire de l’Union Soviétique ? Même chose pour la Chine communiste, et sa Révolution culturelle, pour le génocide khmer etc. Pourquoi notre philosophe ne les dénonce-t-il pas ? Chercherait-il donc à cacher ces crimes ?
En réalité, il est impossible d’expliquer le message chrétien à partir de la seule hypothèse de la haine. Que viendrait alors faire le commandement de l’Amour érigé au rang de premier commandement ? La “petite théorie du prélèvement” qui nous est proposée (p. 189 et s.) pourrait de fait expliquer que se soient produites ce que nous nommons des dérives… Elle est impuissante à expliquer l’existence d’un premier commandement de l’Amour, impuissante à expliquer la plupart des créations de mouvements et d’ordres religieux qui jalonnent l’histoire chrétienne : l’érémitisme, le monachisme bénédictin, cistercien, trappiste, les ordres mendiants, franciscains, dominicains, jésuites, congrégations missionnaires, caritatives etc. Quelle pulsion de mort poussait saint Vincent de Paul à recueillir les enfants trouvés ? et tant d’institutions religieuses à prendre soin des malades, des lépreux, des infirmes avant que n’existent les services sociaux correspondants ? Quelle haine de l’intelligence a pu conduire au développement des écoles de théologie en Orient dès les premiers siècles du christianisme, et à la création d’universités sur tout le territoire de l’Europe, dès le Moyen Âge ; tant de prêtres, religieux, religieuses à prendre soin de l’éducation du peuple quand n’existait pas l’école laïque ? On peut faire valoir tant de contre-exemples qu’on ne voit pas comment on peut tenir longtemps les thèses du Traité d’athéologie .
Que répondre à l’accusation de faiblesse, de volonté de puissance négative ?
Le Christianisme affirme la toute-puissance de Dieu, la vocation de l’homme à dominer le monde, et la victoire de Jésus crucifié sur les forces de mort. Mais en même temps, il fait l’éloge de la faiblesse : “C’est lorsque je suis faible que je suis fort” 2 Cor 12,10. La faiblesse chrétienne (cf. Ph. 2,6-12) est la contrepartie d’une pratique de solidarité, d’ouverture aux autres, une condition nécessaire pour vivre l’accueil d’autrui, l’acceptation des choix de celui qui pense différemment. Elle est la marque des esprits libres (Gal. 5,1) qui ne cherchent pas à contraindre la liberté d’autrui, qui se refusent aux démarches totalitaires, sinon fascisantes. Cette faiblesse n’est rien d’autre que la capacité de s’ouvrir à la force que Dieu et que les autres nous communiquent librement.
Michel Onfray se dit “populaire” : qu’en pensez-vous ?
C’est vrai qu’il a fondé à Caen une “Université populaire”. On pourrait imaginer que cette initiative devrait stimuler la soif de savoir et d’intelligence dans le peuple. Pour moi, cependant, cette expression n’a pas la même signification que pour lui : “populaire” est un terme qui vise les milieux défavorisés ; ce terme s’oppose aux éléments aisés, dirigeants, de notre société. Je réside précisément dans un quartier dit “populaire” : jeunes et adultes y souffrent du chômage, les familles sont souvent éclatées et ce n’est pas forcément vécu avec plaisir ; l’accès à l’enseignement, à la formation, à la culture n’y est pas évident ; la violence s’exprime de bien des manières, mais on ne voit pas à quel monothéisme on pourrait l’attribuer. Au contraire, les croyants sont souvent parmi ceux qui essaient des solutions pour remédier à ces difficultés. L’Université fondée par Michel Onfray a-t-elle quelque chose à voir avec ces milieux ? Pourrait-elle les toucher et faciliter leur vie ? j’en doute… !
Conseilleriez-vous de lire le “traité d’athéologie” ?
Je ne conseillerais ni n’interdirais : chacun doit pouvoir faire les lectures dont il a personnellement besoin. Mais si l’on entreprend cette lecture, je conseillerais de lire avec intelligence, avec le sens critique qui convient, c’est-à-dire avec la conviction que l’on peut déconstruire même une “déconstruction”.
Et pourtant, de cette lecture, il faudra bien retenir ceci : la foi chrétienne n’est possible que si Dieu s’est révélé dans l’histoire. D’où l’importance de la connaissance des origines du christianisme. D’où l’importance d’une juste évaluation de ce que le christianisme a historiquement apporté à l’Occident : sens de la liberté, des droits de la personne, le sens de la question sociale, de la charité, sinon de l’humanitaire, de la connaissance scientifique etc. La foi chrétienne en son essence même, alimente la passion de l’intelligence. Dieu est un mystère : non pas pour décourager l’intelligence des croyants, mais pour la provoquer à se dépasser constamment, sans jamais se satisfaire de ce quelle pourrait tenir pour acquis. La foi ne déteste pas l’intelligence, elle l’aime. Dieu en effet est le Dieu qui donne l’intelligence, et s’il la donne c’est que, dans la foi, elle ne peut être que bénéfique.