Monseigneur Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, nous présente Carlos Chagas Filho, ancien président de l’Académie Pontificale des Sciences. L’occasion de découvrir cette institution trop peu connue qui concentre pourtant le plus grand nombre de Prix Nobel.
Carlos Chagas Filho, médecin, professeur, scientifique, et essayiste, est né à Rio de Janeiro le 12 septembre 1910. La communauté scientifique reconnaît en lui non seulement un grand scientifique mais aussi un grand homme, une figure morale imposante témoignant d’un humanisme profond et engagé. De 1973 à 1990, Carlos Chagas Filho a été Président de l’Académie Pontificale des Sciences. Grâce à lui, cette Institution, fondée en 1603 pour honorer et promouvoir la science pure en favorisant la liberté de recherche, a reçu une réelle impulsion.
Carlos Chagas Filho s’est entièrement mis au service de la science et de l’Homme. Il a utilisé ses connaissances avec beaucoup de sagesse pour le bien de toute la famille humaine. Il a fourni à la science une éthique qui l’enracine solidement dans la nature de la personne humaine et dans le respect de l’environnement. Il a défendu l’autonomie de la science pour la soustraire aux pressions économiques et politiques sans jamais rechercher le profit et les honneurs. Tout en favorisant la recherche de la vérité et du bien commun pour l’aide des peuples du monde il a approfondi le dialogue entre foi et science.
Le Président Chagas a toujours fait entendre sa voix dans les Congrés internationaux pour inciter ses collègues à prendre des décisions en faveur de l’instruction, du développement de la santé, d’une plus juste distribution des ressources, de la libre circulation de l’information et de l’accès pour tous au savoir.Sous son mandat, l’Académie Pontificale des Sciences a encouragé, entre autres, le désarmement atomique et le procès de révision de la condamnation de Galilée (1981). En outre, il a fait partie de la Commission scientifique et épistémologique (1992) concernant la controverse tolémaïque-copernicaine du XVI-XVII siècle.
L’enseignement du professeur Chagas reste d’actualité car des situations analogues se présentent aujourd’hui et pourront se présenter demain. Il nous apprend qu’au temps de Galilée, il était inconcevable de se représenter un monde qui fût dépourvu d’un point de référence physique absolu. Et comme le cosmos alors connu était pour ainsi dire contenu dans le seul système solaire, on ne pouvait situer ce point de référence que sur la terre ou sur le soleil. Aujourd’hui, après Einstein et dans la perspective de la cosmologie contemporaine, aucun de ces deux points de référence n’a plus l’importance qu’ils présentaient alors. Cette remarque ne vise pas la validité de la position de Galilée dans le débat, elle entend indiquer que souvent, audelà de deux visions partiales et contrastées, il existe une vision plus large qui les inclut et les dépasse l’une et l’autre.
Les diverses disciplines du savoir appellent une diversité de méthodes. Galilée avait compris pourquoi seul le soleil pouvait avoir fonction de centre du monde, tel qu’il était alors connu, c’estàdire comme système planétaire. Quand les théologiens d’alors soutenaient la centralité de la terre, leur erreur fut de penser que notre connaissance de la structure du monde physique était, d’une certaine manière, imposée par le sens littéral de l’Écriture Sainte. En réalité, l’Écriture ne s’occupe pas des détails du monde physique, dont la connaissance est confiée à l’expérience et au raisonnement humains. Il existe deux domaines du savoir, celui qui a sa source dans la Révélation et celui que la raison peut découvrir par ses seules forces. Les sciences expérimentales et la philosophie appartiennent à ce dernier domaine. La distinction entre les deux domaines du savoir ne doit pas être comprise comme une opposition. Ils ne sont pas purement extérieurs l’un à l’autre, ils ont des points de rencontre. Les méthodologies propres à chacun permettent de mettre en évidence des aspects différents de la réalité.
C’est dans cet état d’esprit que l’Académie Pontificale des Sciences a conduit ses travaux sous la direction du Professeur Carlos Chagas Filho et qu’elle continue toujours à les conduire. Sa tâche principale est de promouvoir le développement des connaissances en respectant l’ autonomie légitime de la science que le Saint-Siège reconnaît expressément dans les statuts de cette institution.
Le but de l’Académie Pontificale des Sciences est précisément de discerner et de faire connaître, dans l’état actuel des connaissances et dans le domaine qui est le sien, ce qui peut être considéré comme vrai ou comme probable, trop probable en tous les cas pour être imprudemment et déraisonnablement rejeter. Elle garantit la qualité de l’information scientifique. Telle est sa contribution à l’énoncé exact et à la solution apportée aux problèmes angoissants auxquels l’Eglise catholique, en vertu de sa mission propre, a le devoir de porter attention. Problèmes qui ne concernent pas seulement l’astronomie, la physique et la mathématique, mais également des disciplines relativement nouvelles comme la biologie ou la biogénétique. De nombreuses découvertes scientifiques récentes, qui peuvent avoir de multiples applications possibles, ont une incidence plus directe que jamais sur l’homme luimême, sur sa pensée et sur son action, au point de sembler menacer les fondements mêmes de l’humain.
« Il y a, pour l’humanité, un double mode de développement. Le premier comprend la culture, la recherche scientifique et technique, c’estàdire tout ce qui appartient à l’horizontalité de l’homme et de la création, et qui s’accroît à un rythme impressionnant. Pour que ce développement ne demeure pas totalement extérieur à l’homme, il suppose un approfondissement concomitant de la conscience ainsi que son actualisation. Le second mode de développement concerne ce qu’il y a de plus profond dans l’être humain quand, transcendant le monde et se transcendant luimême, l’homme se tourne vers Celui qui est le Créateur de toute chose. Cette démarche verticale peut seule, en définitive, donner tout son sens à l’être et à l’agir de l’homme, car elle le situe entre son origine et sa fin. Dans cette double démarche horizontale et verticale, l’homme se réalise pleinement comme être spirituel et comme homo sapiens. Mais on observe que le développement n’est pas uniforme et rectiligne, et que la progression n’est pas toujours harmonieuse. Cela rend manifeste le désordre qui affecte la condition humaine. Le scientifique, qui prend conscience de ce double développement et en tient compte, contribue à la restauration de la concorde et de la paix »
(Jean Paul II, Discours à l’Académie des Sciences, 31 octobre 1992).
A la suite de Carlos Chagas Filho, celui qui s’engage dans la recherche scientifique et technique admet comme présupposé à sa démarche que le monde n’est pas un chaos, mais un cosmos, c’estàdire un ordre régi par des lois naturelles qui se laissent appréhender et penser, et qui, de ce fait, ont une certaine affinité avec l’esprit. Einstein disait : Ce qu’il y a, dans le monde, d’éternellement incompréhensible, c’est qu’il soit compréhensible. Cette intelligibilité, attestée par les prodigieuses découvertes des sciences et des techniques, renvoie en définitive à la Pensée transcendante et originelle dont toute chose porte l’empreinte.