Dieu est souvent comparé à un potier dans la Bible. L’Un et l’autre modèlent la matière et s’effacent de leur création. Michel Carriquiry, potier, nous dit les points communs qu’il voit entre son métier et l’oeuvre de Dieu, entre l’uvre de Dieu et l’essence de son art.
La Bible contient beaucoup d’allusions au potier. Pour quelles raisons peut-on vraiment comparer Dieu à un potier ?
Michel Carriquiry : Dans la poterie, il n’y a jamais rien d’acquis, tant que ce n’est pas cuit , il y a de l’espérance. On peut toujours repartir à zéro. Je dirais que l’essentiel dans la poterie c’est l’Espérance. Oui, c’est un message d’Espérance. Si tu es mal foutu, ce n’est pas grave.
On peut toujours dire que le pot a mal tourné ?
MC : Ou le pot a mal tourné ou le potier n’a pas fait son boulot.
Le point commun entre Dieu et le potier est peut-être là : Dieu laisse l’homme libre de bien ou de mal tourner sans y être pour grand chose.
MC : Non, pas du tout. En ce qui concerne la liberté de l’homme, Dieu la respecte. Si l’homme se trompe, il se trompe, il a mal fait, il appréhende des chemins et Dieu dit ce n’est pas grave mais il le reprend, il le remet toujours sur le droit chemin.
Mais c’est vrai qu’il y a des points communs entre Dieu et le potier. J’aime bien voir les choses comme cela parce que ça m’amuse et ça me divertit de voir le parallèle entre Dieu et le potier. Dieu a fait la Terre, nous, on l’a pris et on s’est dit : ça c’est bien pratique, ça laisse des empreintes, c’est sympa on peut faire pas mal de choses avec. Ensuite Il a fait le jour et la nuit donc il a fait tourner la Terre. Nous, on s’est dit, si Dieu a fait tourner la Terre et bien nous, on peut la faire tourner aussi. Donc on l’a faite tourner. Ensuite Dieu a pris la Terre et a modelé l’Homme. On a dit : on peut rajouter des anses, on peut faire ça aussi. Et puis après Dieu a soufflé dedans et, là, on ne peut plus rien faire. C’est là que rentre le sens, l’essence de notre boulot. C’est-à-dire que, jusque là, on pouvait imiter Dieu mais à partir d’un certain moment on ne peut plus. A partir de là, on ne peut plus ! Si on veut que le pot soit vivant, si on veut que le pot parle à celui qui va l’acheter, il faut que ce soit le souffle de Dieu qui passe dans le pot mais nous on ne peut pas l’y mettre, et on y arrive à partir du moment où, justement, on est entièrement donné à ce qu’on fait . On a maîtrisé la matière, on a maîtrisé la technique, pour être capable de dire : c’est bien, je maîtrise ça, maintenant il faut tout donner pour que l’Amour passe dans ce qu’on fait.
Savoir s’effacer pour laisser passer ce qui nous est donné ?
MC : Je dirais avec beaucoup de prétention que c’est comme Jésus qui va au bout de la Passion, qui va se faire considérer comme le dernier des derniers, qui va se réduire à néant pour qu’il y ait la résurrection après. C’est exactement du même ordre, c’est-à-dire que l’on se prend pour un outil par lequel passe le génie ou le divin qui ne nous appartient pas. Et tout cela ne peut passer que par l’effacement. A notre époque, je trouve très dommage que les artisans, qui étaient jusqu’à présent comme les compagnons qui faisaient des cathédrales, soient connus ? Là n’était pas l’important. Les potiers, dans l’artisanat traditionnel, on ne connaît pas leur nom. C’étaient des ateliers, des villages. L’essentiel, ce n’était pas eux. Notre métier a un peu changé parce qu’ on a plutôt tendance à signer de notre nom et ça, c’est une perte de l’essence qui limite le génie qui peut nous être donné.
Ce que tu dis est un encouragement à vivre cet effacement pour chacun, quel que soit le métier
MC : Oui. Dans tous les métiers, à partir du moment où tu donnes ton boulot, soit tu te mets en avant, soit tu te dépasses, tu t’effaces. L’essentiel c’est que les gens sentent que quelque chose passe. Je me rappelle la réflexion d’un client qui avait acheté cinq bols pour toute la famille et qui au bout de quatre cinq jours était revenu en me disant : on a chacun notre bol. C’étaient cinq bols qu’ils avaient pris dans une pile ! ! ! Mais chacun y trouvait son compte. Il y a quelque chose de différent dans chaque bol, chacun s’était attaché à son bol. C’est bien la preuve que, quand je fais des bols, si je fais ce qu’il faut, quelque chose passe.