Mgr Jean-Pierre RICARD, Archevêque de Bordeaux, et Président de la Conférence des Evêque de France nous livre son analyse des dernières JMJ de Toronto.
De retour de Toronto, les jeunes, la foi et l’Eglise 2/2
Chers amis,
Mon propos est situé. J’arrive de Toronto, où j’ai vécu une expérience forte de rencontre avec des jeunes du monde entier et je ferai référence à cette expérience. Je ne parlerai pas en psychologue, en sociologue ni en aumônier de jeunes mais en évêque, pasteur préoccupé au niveau d’un diocèse de l’évangélisation et de la pastorale des jeunes Je vous ferai part de mon approche, de mes convictions, de mes questions, de mes propositions. Tout ceci étant soumis à débat dans l’échange qui suivra ma prise de parole.
1 – La diversité des jeunes
Nous employons souvent l’expression : ” les ” jeunes. Il faut en fait tout de suite préciser qu’il n’y a pas qu’un type de jeune mais que le mot doit être employé au pluriel. Il y a ” des ” jeunes et des jeunes très divers, aussi divers que ” des adultes ” quand on emploie l’expression ” les adultes ”
– Il y a la diversité liée à l’âge : Les 14-18, les 18-30 ans (âge des JMJ) Mais on voit bien que dans cette même tranche d’âge-là les problèmes ne sont pas tout à fait les mêmes entre les étudiants, les jeunes professionnels et les jeunes couples qui viennent d’avoir un enfant. Soulignons en plus que dans l’Eglise, la signification du mot ” jeune ” a une large acception
On peut l’étendre jusqu’à 50 ans ! On désigne ainsi toutes ces générations qui sont peu présentes dans les communautés paroissiales
!
– Il y a la diversité liée à l’appartenance sociale des jeunes : Autres sont les jeunes de banlieues, de quartiers un peu difficiles […] Il y a des jeunes qui appartiennent à des familles chrétiennes pratiquantes
d’autres qui viennent de tout autre horizon (cf. ceux que l’on rencontre dans le cadre du catéchuménat)
– Il y a la diversité des provenances géographiques : Les évolutions des jeunes dans leur rapport à la foi et à l’Eglise ne sont pas les mêmes selon les pays. En Amérique latine, des jeunes sont actifs dans la vie d’un certain nombre de communautés (Pérou, Bolivie, par ex.) En Afrique, ils sont présents. Au Liban, ils sont très attachés à leur appartenance communautaire et fiers de leur foi. Dans les pays plus industrialisés et touchés par la sécularisation, l’éloignement se fait sentir avec des intensités variables. Solides rattachements ecclésiaux en Pologne, en Italie. Forte diminution en France, Belgique, Pays-Bas, Irlande. Effondrement au Canada, au Québec tout particulièrement. Il est toujours intéressant de situer sa propre situation sur un horizon plus large.
N’oublions donc pas cette diversité. Elle aura aussi à se traduire dans une diversité de propositions.
2- Des jeunes à distance de l’Eglise mais sensibles à une proposition qui les touche
Nous sommes en France dans une situation où l’évangélisation des jeunes et la proposition d’une appartenance à l’Eglise sont un véritable défi posé à l’Eglise, dans le double sens du mot défi : danger menaçant et appel à une énergie renouvelée.
Notons qu’il y a des jeunes convaincus, à l’aise dans leur foi, insérés dans l’Eglise, désireux de témoigner auprès d’autres de ce qui les fait vivre. Là où ils sont, ils sont souvent moteurs de l’évangélisation d’autres jeunes. Mais il faut reconnaître que les effectifs des jeunes touchés par nos instances ecclésiales sont faibles (aumôneries de lycée, publics ou privés, aumôneries étudiantes, mouvements, comme la JOC et les scoutismes avec leur problème d’encadrement, groupes de prière, groupes informels, groupes spirituels (CVX), communautés nouvelles .)
Cela est du à une sécularisation de nos sociétés qui se sont de plus en plus détachées d’un encadrement ecclésial, à une promotion exacerbée du sens de l’individu, l’individu roi dont le jugement et le sentiment priment sur les discours des autorités prescriptives (L’état, l’école, l’Eglise
) Ce qui est important, c’est ce que je sens, ce que je ressens, ce que je pense, ce dont j’ai envie. Quitte à ce que cette promotion de l’individu s’accompagne d’un très fort conditionnement médiatique sur le vêtement (unisexe), les produits de consommation, les modes de penser et les comportements (murs). Notre société se veut tolérante
sauf pour ceux qui semblent remettre en question l’autorité prescriptive de la pensée unique ou le mode de penser et de vivre ambiants.
Notons que l’évolution des murs a contribué à accroître un éloignement vis-à-vis des points de repère ecclésiaux (généralisation du divorce, cohabitation avant le mariage, discours sur l’homosexualité
)
Cette évolution a amené depuis une trentaine d’année une rupture dans le mode de transmission des valeurs au sein de beaucoup de familles. Ceci a eu des répercussions sur la transmission de la foi évangélique et sur le mode d’appartenance à l’Eglise (même si le phénomène déborde largement la sphère religieuse). Ce qui autrefois se transmettait avec une certaine automaticité ne se transmet plus de même. A partir d’une même éducation, les choix des enfants peuvent être différents
D’où problème pour les parents ou les grands parents. De plus on voit aujourd’hui arriver des enfants et des jeunes dont les parents ont quitté l’Eglise après les années 1970-1980
.par ex : répercussion sur les inscriptions au catéchisme.
Cet éloignement de l’Eglise a amené, il faut le reconnaître, un effondrement de la culture religieuse. Cela a même inquiété l’Education nationale (cf. rapport Debray)
Nous avons à faire à des générations qui n’ont plus forcément de contentieux avec l’Eglise. La génération précédente avait voulu transformer la maison familiale, certains l’avaient quittée par déception. La génération suivante est plutôt sur la porte. On voit les choses de l’extérieur. On y entrera si quelque chose fait signe, donne de l’intérieur envie d’y entrer à ceux de l’extérieur.
Beaucoup de jeunes se posent des questions vitales, sur leur vie, sur l’amour, sur le monde qui les entoure, sur l’au-delà .ils sont ouverts à une recherche spirituelle mais celle-ci n’est pas forcément chrétienne Elle accueillera les propositions qui semblent répondre à une quête de bonheur, qui paraissent conduire à un épanouissement personnel, qui sont séduisantes, qui conduisent à un mieux vivre.
3 – Les JMJ comme révélatrices des attentes d’un certain nombre de jeunes
Comme beaucoup j’ai été surpris du succès grandissant et qui dure des JMJ. Je fais référence aux JMJ de Paris, Rome et Toronto. Leur succès n’est pas du qu’à une bonne orchestration médiatique. Il résulte essentiellement du fait qu’elles ont su répondre aux aspirations d’un certain nombre de jeunes. En ce sens, elles sont révélatrices des attentes de nouvelles générations. Elles en sont comme le ” révélateur ” au sens photographique du terme.
Elles me paraissent répondre aux aspirations suivantes :
– le besoin de se retrouver nombreux, de faire l’expérience d’un peuple de croyants, alors qu’habituellement, les jeunes croyants se sentent très minoritaires dans la société où ils vivent (cela rejoint l’expérience de pèlerinages, de rassemblements diocésains)
– le désir de vivre ensemble un temps de fête et de convivialité. Importance du ressenti, de l’ambiance joyeuse.
– la découverte de jeunes vivant dans d’autres contextes, une autre Eglise, un autre pays, une autre culture (importance de la semaine passée dans un diocèse d’accueil). Il y a une ouverture à l’universel qui est également importante, le signe d’une mondialisation à visage humain (cf. le cadre de Toronto..)
– une joie de croire et une fierté non agressive mais joyeuse de se montrer comme chrétiens, alors que souvent la tentation est forte de cacher son appartenance chrétienne.
– Avoir une proposition de la foi qui vous renvoie sans cesse à l’essentiel. L’enseignement du pape et celui des catéchèses est très christocentrique : il invite à se tourner vers le Christ. Il fait appel au dynamisme spirituel des jeunes et à leur responsabilité de disciples et de témoins (” sel et lumière “)
– Pouvoir faire aussi une démarche personnelle de conversion et de réorientation de la vie ( place de la confession et d’une rencontre personnelle avec un prêtre)
– Bénéficier de la présence du pape qui apparaît comme un témoin et un spirituel. On sent qu’il vit ce qu’il dit. S’expriment chez lui une affection et une confiance vis-à-vis des jeunes. Sa maladie a renforcé son aspect ” grand-père “. Je suis d’ailleurs frappé de voir l’importance des grands parents aujourd’hui pour les jeunes.
– Notons enfin l’importance des temps forts ponctuels où peut retentit l’invitation ” Viens et Vois “. Cela a l’avantage et les limites des invitations ponctuelles (cf . aussi ce qui s’est passé en France dans les différents diocèses en lien avec les JMJ de Toronto)
Le Cap Ferret – Mardi 13 août 2002
Source : http://catholique-bordeaux.cef.fr/
Dans un second article Mgr Ricard envisagera à la lumière de cette analyse “quelques propositions pour la pastorale des jeunes”
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