Après l’expérience des JMJ de Toronto, Mgr Ricard, Archevêque de Bordeaux et Président de la Conférence des Evêques de France, développe des propositions pour une pastorale des jeunes
De retour de Toronto, les jeunes, la foi et l’Eglise 1/2
Quelles propositions pour une pastorale des jeunes ?
a) développer une pastorale de l’invitation et de l’initiation
Je crois qu’il est important de répondre à l’interrogation des jeunes : est-ce que la foi apporte quelque chose, aide à vivre, donne du goût à la vie, vous fait entrer dans une expérience où on devient heureux, vous fait grandir en humanité ? Comme les grecs qui ” voulaient voir ” Jésus, beaucoup de jeunes veulent ” voir ” ; voir ce qui leur est proposé, ce que cela change dans une vie d’homme, dans la vie d’une communauté, en quoi cela est séduisant et non pas séducteur. Je pense à ce qu’écrivait le pape Jean-Paul II dans son Exhortation ” A l’Entrée du Troisième Millénaire ” : ” (ils) demandent aux croyants d’aujourd’hui non seulement de ” parler ” du Christ, mais en un certain sens de le leur faire ” voir “. L’Eglise n’a-t-elle pas reçu la mission de faire briller la lumière du Christ à chaque époque de l’histoire, d’en faire resplendir le visage également aux générations du nouveau millénaire ? ” (n°6)
Ce désir de ” voir ” renvoie au besoin de rencontrer des témoins, des communautés chrétiennes vivantes. C’est toute la pédagogie du ” Viens et vois ” de l’Evangile, la pédagogie des premières communautés chrétiennes.
A la pédagogie de l’invitation, il faut joindre aussi la pastorale de l’initiation, c’est-à-dire de l’entrée et de la découverte de la foi et de la vie chrétienne.
b) révéler le oecur même de la Bonne Nouvelle
Il est important de pouvoir faire découvrir ce qui est le cur de la Bonne Nouvelle de l’Evangile : la découverte transformante de l’amour de Dieu pour nous. Tu es aimé. Laisse-toi aimer. Tu es appelé à aimer. Tu as à découvrir que tu es fils de Dieu et frère de tous les autres hommes.
Cet amour est celui du Père que le Fils vient révéler et signifier. Il nous est communiqué par l’Esprit (” L’amour de Dieu qui a été répandu dans nos curs par l’amour qui nous a été donné. ” Rom 5,5)
Il est important de faire découvrir celui qui nous révèle cet amour : le Christ qui nous appelle à être ses disciples et ses témoins et l’Esprit, comme force de transformation et de transfiguration de nos vies. Il s’agit de bien autre chose que de vagues ” valeurs chrétiennes “. Il s’agit moins d’abord de faire des choses pour Dieu que de le laisser agir en nous.
Cette révélation est source de confiance. Or aujourd’hui la confiance est une denrée rare et recherchée. Beaucoup de jeunes ont peine à avoir confiance, confiance dans la filière professionnelle choisie, confiance dans le monde, dans la politique, dans le sport, dans les autres, confiance affective, confiance en Dieu, confiance en soi-même. Les problèmes affectifs vécus par beaucoup de jeunes rendent souvent cette confiance difficile. Importance de la découverte d’un Dieu en qui on peut avoir confiance et qui vous fait confiance. Beaucoup de jeunes ont dans notre société des difficultés à croire, à croire dans toutes les dimensions du terme. La confiance rend la foi, l’acte de croire possibles.
c) aider à l’édification du croyant comme disciple et témoin du Christ
Entrer dans l’expérience du croyant, c’est vivre cette relation personnelle à Dieu, vouloir faire de sa vie une réponse à Dieu (vivre sa vie comme ” vocation “). C’est s’ouvrir à un autre regard sur le monde. Ne pas en rester aux apparences, à la surface des choses mais découvrir la présence de celui qui les habite, qui les soutient dans l’être et dans l’amour. Cela implique l’expérience de l’intériorité. Pas de vie chrétienne dans la durée sans intériorité, sans recueillement, sans ce temps de relation et de dialogue avec Dieu.
Cela suppose qu’on fréquente ces lieux où le Seigneur se donne à rencontrer, nous donne des signes de sa présence (comme pour les disciples d’Emmaüs) : la prière, la lecture de l’Ecriture, la célébration de l’Eucharistie, la célébration du sacrement de pénitence et de réconciliation, la rencontre du frère.
Une formation fait aussi partie de l’initiation chrétienne : savoir dire en qui je crois, ce que je crois ; savoir expliciter ce que je veux vivre comme disciple du Christ. Nous avons aussi à apprendre la langue maternelle de l’Eglise (la formation catéchétique ou théologique).
L’apprentissage de la vie chrétienne implique une vue claire de ce que l’on est appelé à vivre, de ce que l’on veut vivre, de l’homme qu’on souhaite voir l’Esprit modeler en nous. C’est par rapport à cette visée, qu’on peut comprendre les points de repère que l’Eglise donne, les interdits qu’elle énonce (comme pour un régime amaigrissant ou un régime sportif !). Cela implique que les chrétiens apprennent à savoir nager à contre-courant (comme la truite ou le saumon !). Il n’y a que les poissons morts qui le ventre à l’air se laissent porter par le courant. Sans ériger une forteresse, les chrétiens dans le monde dans lequel ils vivent doivent savoir dire non à telle ou telle façon de penser ou de vivre avec lesquelles ils ne sont pas d’accord
Ce désir de voir ce que donne dans une vie l’expérience chrétienne pleinement vécue appelle un dialogue avec des témoins. Des témoins, comme un certain nombre de grands saints (cf. expérience de jeunes à Assise, actualité du témoignage de Saint François et de Sainte Claire..). Des témoins comme des adultes qui vivent aujourd’hui leur foi, qui n’hésitent pas à en parler tout en respectant la liberté de ceux à qui ils s’adressent. Pas des adultes ” adolescentriques ” (T. Anatrella), qui singent les jeunes, qui ne disent plus rien ou qui n’en restent qu’à l’écoute.
Cela suppose une attention personnalisée à chaque jeune, une écoute, un dialogue avec lui, un accompagnement spirituel qui l’aide à faire une relecture de sa vie, à entrer dans la pratique d’un discernement spirituel.
d) susciter des communautés fraternelles porteuses
Aujourd’hui, les jeunes dans leur démarche de foi ont besoin d’un groupe porteur, d’une communauté de partage et d’enracinement dans la foi. Un chrétien isolé est un chrétien en danger. Cela rejoint la pédagogie du Christ avec ses disciples. Cette communauté sera un lieu d’échange, de partage, de découverte de la foi, de célébration, de ressourcement apostolique. Importance d’un lieu où des questions puissent être posées, des réponses données, où des échanges puissent s’instaurer. Ces lieux peuvent être divers (mouvements, groupes de confirmation, groupes de jeunes, aumôneries) Je crois qu’il est bon que ces groupes puissent croiser d’autres groupes ecclésiaux, faire l’expérience d’une dimension plus large de l’Eglise (diocésaine, universelle). Dans la mobilité actuelle et dans la situation d’appartenance fluctuante des jeunes, il est important de respecter cette liberté des jeunes et de ne pas s’en sentir les propriétaires.
J’ajouterais, enfin, que dans ces communautés les jeunes doivent être pleinement responsables même s’ils sont aidés et secondés par de plus âgés qu’eux. Les jeunes ne sauraient être que les bénéficiaires d’une pastorale des jeunes (pour eux). Ils doivent en être les acteurs et les collaborateurs (avec eux).
e) savoir faire une diversité de propositions
Tous les jeunes ne demandent pas au départ la même chose, n’en sont pas au même point de l’itinéraire spirituel. Il faut mêler des temps forts ponctuels et des propositions dans la durée. Les deux ne sont pas d’ailleurs antagonistes.
Yvette Chabert, cette théologienne de Lyon,mère de famille, investie dans la formation, parle de déployer dans la diversité une pédagogie du goût :
” – goût de l’apéritif gratuit pour le plus grand nombre, à entrée et sortie libre.
– goût de mets divers, proposés à la carte, à picorer selon soi-même, sans ordre forcément cohérent..
– goût du plat du jour, plat du mois, du trimestre, fidèlement consommés.
– goût du menu complet, pour un petit nombre. ” (Doc Episcopat n°4-5 Mars 2001 p.10)
f) veiller à l’équilibre entre ressourcement et service du frère
Certains entreront dans l’expérience chrétienne par le service du frère, l’engagement vis-à-vis d’autres. Il faudra qu’ils découvrent l’importance d’enraciner cet engagement dans un ressourcement de foi (le trépied de la vie chrétienne : la Parole, le Sacrement et le Frère. D’autres, au contraire auront besoin de découvrir que la foi ne se réduit pas qu’à un jardin intérieur mais qu’ils ont comme membres du corps du Christ à être témoins du Seigneur. Ils auront à découvrir la responsabilité missionnaire de l’annonce de l’Evangile. Ils auront à découvrir qu’ils sont appelés à être les annonciateurs et les serviteurs du Royaume de Dieu qui vient (cette communauté fraternelle des fils de Dieu) Il y a là un enjeu important de la pastorale des jeunes aujourd’hui.
Les jeunes, un défi pour l’Eglise ? Certainement mais aussi une chance pour celle-ci. Ils l’appellent à être encore plus pleinement elle-même, fidèle à sa mission d’être le corps du Christ dans le monde, la servante du Seigneur et la servante des hommes.
Chaque époque a ses chances et ses difficultés. A chaque époque, le grain est lancé dans toutes sortes de terrains. A chaque époque, il y a cette bonne terre, où le grain semé peut pousser au centuple. C’est là mon espérance ! Merci.
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