Voici la suite de la catéchèse sur Origène donnée par Benoît XVI. Il nous présente plus précisément deux aspects de sa pensée: ses enseignements sur la prière et sur l’Eglise.
La catéchèse précédente était consacrée à la grande figure d’Origène, docteur alexandrin des II et III siècles. Dans cette catéchèse nous avons pris en considération la vie et l’œuvre littéraire du grand maître d’Alexandrie, en trouvant dans la « triple lecture » de la Bible, qu’il a effectuée, le centre vital de toute son œuvre. J’ai laissé de côté — pour les reprendre aujourd’hui — deux aspects de la doctrine d’Origène, que je considère parmi les plus importants et les plus actuels : j’entends parler de ses enseignements sur la prière et sur l’Eglise.
En vérité, Origène — auteur d’un important et toujours actuel, traité Sur la prière — mêle constamment sa production exégétique et théologique à des expériences et des suggestions relatives à la prière. Malgré toute la richesse théologique de pensée, cela n’est jamais une approche purement académique ; elle est toujours fondée sur l’expérience de la prière, du contact avec Dieu. Selon lui, en effet, la compréhension des Ecritures demande, plus encore que l’étude, l’intimité avec le Christ et la prière. Il est convaincu que la voie privilégiée pour connaître Dieu est l’amour, et qu’il n’y a pas d’authentique scientia Christi sans tomber amoureux de Lui. Dans la Lettre à Grégoire, Origène recommande : « Consacre-toi à la lectio des divines Ecritures ; applique-toi à cela avec persévérance. Engage-toi dans la lectio avec l’intention de croire et de plaire à Dieu. Si durant la lectio tu te trouves devant une porte close, frappe, et le gardien t’ouvrira, lui dont Jésus a dit : ‘Le gardien la lui ouvrira’. En t’appliquant ainsi à la lectio divina, cherche avec loyauté et une confiance inébranlable en Dieu le sens des Ecritures divines, qui est largement contenu dans celles-ci. Tu ne dois cependant pas te contenter de frapper et de chercher : pour comprendre les choses de Dieu, tu as absolument besoin de l’oratio. Précisément pour nous exhorter à celle-ci, le Sauveur nous a non seulement dit : “Cherchez et vous trouverez” et “Frappez et on vous ouvrira”, mais il a ajouté : “Demandez et vous recevrez” » (Ep. Gr. 4). Le « rôle primordial » joué par Origène dans l’histoire de la lectio divina saute immédiatement aux yeux. L’évêque Ambroise de Milan — qui apprendra à lire les Ecritures à partir des œuvres d’Origène — l’introduit ensuite en Occident, pour la remettre à Augustin et à la tradition monastique successive.
Comme nous l’avons déjà dit, le plus haut niveau de la connaissance de Dieu, selon Origène, naît de l’amour. Il en est de même parmi les hommes : on ne connaît l’autre réellement en profondeur que s’il y a l’amour, si les cœurs s’ouvrent. Pour démontrer cela, il se fonde sur une signification parfois donnée au verbe connaître en hébreu, lorsque celui-ci est utilisé pour exprimer l’acte d’amour humain : « L’homme connut Eve, sa femme ; elle conçut » (Gn 4, 1). Il est ainsi suggéré que l’union dans l’amour procure la connaissance la plus authentique. De même que l’homme et la femme sont « deux dans une seule chair », ainsi Dieu et le croyant deviennent « deux dans un seul esprit ». De cette façon, la prière de l’Alexandrin atteint les niveaux les plus élevés de la mystique, comme l’attestent ses Homélies sur le Cantique des Cantiques, et notamment un passage de la première Homélie, dans laquelle Origène confesse : « Souvent — Dieu m’en est témoin — j’ai senti que l’époux s’approchait de moi au degré le plus élevé ; après il s’en allait à l’improviste, et je ne pus trouver ce que je cherchais. Le désir de sa venue me prend à nouveau, et parfois celui-ci revient, et une fois qu’il m’est apparu, lorsque je le tiens entre les mains, voilà qu’il m’échappe encore, et une fois qu’il s’est évanoui, je me mets encore à le chercher…» (Hom. Cant. 1, 7).
Il me revient à l’esprit ce que mon vénéré prédécesseur écrivait, en témoin authentique, dans Nuovo millennio ineunte, là où il montrait aux fidèles «comment la prière peut progresser, comme un véritable dialogue d’amour, au point de rendre la personne humaine totalement possédée par le Bien-Aimé divin, vibrant au contact de l’Esprit, filialement abandonnée dans le cœur du Père… Il s’agit », poursuivait Jean-Paul II, « d’un chemin totalement soutenu par la grâce, qui requiert toutefois un fort engagement spirituel et qui connaît aussi de douloureuses purifications, mais qui conduit, sous diverses formes possibles, à la joie indicible vécue par les mystiques comme “union sponsale” » (n. 33).
Nous arrivons, enfin, à un enseignement d’Origène sur l’Eglise, et précisément — à l’intérieur de celle-ci — sur le sacerdoce commun des fidèles. En effet, comme l’Alexandrin affirme dans sa neuvième Homélie sur le Lévitique, « ce discours nous concerne tous » (Hom. Lev. 9, 1). Dans la même Homélie, Origène — en faisant référence à l’interdiction faite à Aaron, après la mort de ses deux fils, d’entrer dans le Sancta sanctorum « à n’importe quel moment » (Lv 16, 2) — admoneste ainsi les fidèles : « Cela démontre que si quelqu’un entre à n’importe quelle heure dans le sanctuaire, sans la préparation due, ne portant pas les vêtements pontificaux, sans avoir préparé les offrandes prescrites et s’être rendu propice à Dieu, il mourra… Ce discours nous concerne tous. Il ordonne, en effet, que nous sachions comment nous présenter à l’autel de Dieu. Ou ne sais-tu pas que le sacerdoce t’a été conféré à toi aussi, c’est-à-dire à toute l’Eglise de Dieu et au peuple des croyants ? Ecoute comment Pierre parle des fidèles : “Race élue”, dit-il, “royale, sacerdotale, nation sainte, peuple que Dieu s’est acquis”. Tu possèdes donc le sacerdoce car tu es une “race royale”, et tu dois donc offrir à Dieu le sacrifice… Mais pour que tu puisses l’offrir dignement, tu as besoin de vêtements purs et différents des vêtements communs aux autres hommes, et le feu divin t’est nécessaire » (ibid.).
Ainsi, d’un côté, les « flancs ceints » et les « vêtements sacerdotaux », c’est-à-dire la pureté et l’honnêteté de vie, de l’autre, la « lumière toujours allumée », c’est-à-dire la foi et la science des Ecritures, se présentent comme les conditions indispensables pour l’exercice du sacerdoce universel qui exige pureté et honnêteté de vie, foi et science des Ecritures. A plus forte raison, ces conditions sont indispensables bien évidemment, pour l’exercice du sacerdoce ministériel. Ces conditions — une conduite de vie intègre, mais surtout l’accueil et l’étude de la Parole — établissent une véritable « hiérarchie de la sainteté » dans le sacerdoce commun des chrétiens. Au sommet de ce chemin de perfection, Origène place le martyre. Toujours dans la neuvième Homélie sur le Lévitique, il fait allusion au « feu pour l’holocauste », c’est-à-dire à la foi et à la science des Ecritures, qui ne doit jamais s’éteindre sur l’autel de celui qui exerce le sacerdoce. Puis il ajoute : « Mais chacun de nous a en soi » non seulement le feu, mais « aussi l’holocauste, et de son holocauste il allume l’autel, afin qu’il brûle toujours. Quant à moi, si je renonce à tout ce que je possède et que je prends ma croix et que je suis le Christ, j’offre mon holocauste sur l’autel de Dieu ; et si je remets mon corps pour qu’il brûle, en ayant la charité, et que j’obtiens la gloire du martyre, j’offre mon holocauste sur l’autel de Dieu » (Hom. Lév. 9, 9).
Ce chemin éternel de perfection « nous concerne tous », à condition que « le regard de notre cœur » soit tourné vers la contemplation de la Sagesse et de la Vérité, qui est Jésus Christ. En prêchant sur le discours de Jésus de Nazareth — lorsque « tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui » (Lc 4, 16-30) —, Origène semble s’adresser précisément à nous : « Aujourd’hui aussi, si vous le voulez, dans cette assemblée vos yeux peuvent fixer le Sauveur. En effet, lorsque tu tourneras le regard le plus profond de ton cœur vers la contemplation de la Sagesse, de la Vérité et du Fils unique de Dieu, alors tes yeux verront Dieu. Heureuse assemblée, celle dont l’Ecriture atteste que les yeux de tous étaient fixés sur lui ! Combien je désirerais que cette assemblée reçoive un tel témoignage, que les yeux de tous, des non baptisés et des fidèles, des femmes, des hommes et des enfants, non pas les yeux du corps, mais les yeux de l’âme, regardent Jésus !… La lumière de ton visage est imprimée sur nous, ô Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen ! » (Hom. Lc. 32, 6).