Jean-Emmanuel, séminariste du diocèse de Tours, nous partage ses impressions sur les Semaines Sociales. Il nous dit comment des chrétiens veulent réfléchir et être présent dans le débat.
« Les Semaines sociales de France sont nées au début du siècle, de la volonté d’un certain nombre de catholiques de faire connaître la pensée sociale de l’Eglise pour l’appliquer aux problèmes de notre temps. » Le thème des 76ème semaine sociale qui s’est déroulée à Issy-les-Moulineaux du 23 au 25 novembre 2001, était « Biologie, médecine et société : que ferons-nous de l’homme ? »
C’est la première fois que j’assistais à cette rencontre nationale et quelle n’a pas été ma surprise de découvrir cette véritable « institution » qui a traversée le siècle dernier ! Ma première impression a été celle de rentrer dans une « famille » : celle des chrétiens engagées dans le monde au nom de leur foi à différents niveaux de responsabilité et qui sont heureux de se retrouver pour réfléchir ensemble à une question de société. J’ai été particulièrement frappé par la qualité des intervenants : Robert Rochefort, directeur du CREDOC (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie), Axel Kahn, directeur du département génétique, développement et pathologie moléculaire du CHU Cochin Port-Royal, Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique, Jean-François Mattei, professeur de génétique médicale et parlementaire etc De plus le grand nombre des intervenants nous a permis d’avoir une approche pluridisciplinaire de la question. Les semaines sociales me sont apparues comme un des rares lieux de débat dans notre société qui privilégie le divertissement.
La santé ça intéresse tout le monde. A regarder les journaux télévisés et notre expérience de tous les jours, la recherche de la bonne santé est une préoccupation majeures. En ce début de troisième millénaire, les sciences de la vie triomphent et apportent chaque jour leur lot d’espoir ou de crainte. Les nouvelles techniques médicales nous permettent aujourd’hui d’envisager de maîtriser la vie. Mais que ferons-nous de l’homme ? La réflexion éthique est souvent dépassée par les nouvelles prouesses techniques qui sont encouragées par la perspective d’immenses bénéfices financiers. Les progrès scientifiques ont souvent été l’occasion de repenser la place de l’homme dans l’univers et le sens de sa vie. L’intervention de Xavier le Pichon, professeur de géologie au Collège de France, nous a particulièrement éclairer à ce sujet. Pour lui, l’humanisation d’une société peut être jugée à sa capacité d’accueillir le plus faible. Et d’illustrer son propos avec l’exemple de la découverte du squelette d’un homme qui a vécu il y a 100 000 ans dans un tribu de nomades dans le désert irakien. Son analyse a permis de savoir que cet homme était handicapé mais qu’il avait vécu longtemps ; ce qui signifie que la tribu nomade avait dû adapter son mode de vie pour porter cet homme faible qui ne pouvait pas se déplacer seul de campement en campement. « Il y a 100 000 ans, nous savons que l’homme a été inventé ! » nous dit-il. Les critères d’humanité de notre société se fonde aujourd’hui sur la capacité de l’homme à être autonome. Il doit pouvoir assumer sa vie sur tous les plans. La vulnérabilité, la faiblesse de fin de vie, l’être souffrant sont perçus comme une perte de dignité. La dignité de l’homme ne se révèlerait-elle pas au contraire dans son dépouillement, dans son dénuement le plus complet ? C’est la vision judéo-chrétienne de l’homme qui va à l’encontre de l’éthos séculier. Que ferons-nous de l’homme ? Rechercher l’homme parfait avec le mythe du tout génétique car croire que la génétique va nous permettre de découvrir la « vérité » de l’homme est bien un mythe c’est trouver tout sauf de l’humain. Une société qui élimine les individus qui ne répondent pas à la norme qu’elle a fixée est-elle encore « humaine » ? Quelle moyen notre société se donne-t-elle pour accompagner les hommes en fin de vie ou pour aider les personnes handicapées et leur famille ? Autant de question que notre société a à se poser : J-F. Mattéi, avec son enthousiasme, nous a encouragé à rencontrer nos parlementaires et de nous engager à prolonger le débat là où nous vivons.
Voilà une manière originale pour l’Eglise de contribuer au débat de société. Nous avons trop tendance, dans notre Eglise, à nous replier sur nos positions. La privatisation de la foi est une tendance lourde dans un contexte de sécularisation. Avec les semaines sociales j’ai pris d’autant plus conscience que la foi chrétienne était une parole forte et pertinente dans une société en panne de projet politique original. Il n’y a là aucun triomphalisme car tous les intervenants en sont bien restés à la proposition d’une vision chrétienne de l’homme. Toujours ouverts au dialogue, ils ont donné l’image d’une Eglise enracinée dans une tradition sociale qui n’hésite pas à critiquer certaines tendances déshumanisantes jamais en terme moralisant, toujours sous le mode de l’interrogation : est-ce cela que nous voulons transmettre aux générations futures ? Nous sommes devant des choix de société. J’ai rencontré durant ces trois jours l’Eglise, peuple de Dieu en marche, riche de compétence, humble mais appelant à la responsabilité citoyenne de tout croyant. Les semaines sociales sont l’occasion de montrer que les positions éthiques de l’Eglise catholique loin d’être monolithiques ou en décalage avec la société se fondent sur une réflexion solide partagée par les spécialistes parmi les plus reconnus qui se veut au service de l’humanité. Contrairement à ce que pense souvent l’opinion publique, l’Eglise est peut-être l’une des institutions qui encouragent le plus la recherche biomédicale ; c’est une nouvelle fois ce qu’a affirmé Jean-Paul II dans son message adressé à Michel Camdessus, le président des Semaines Sociales.
Les retombés de cet événement semble avoir portées du fruit sur la scène politique française depuis quelques semaines.