Comment Jean-Marie Vianney a-t-il suscité autour de lui un corps ecclésial vivant de la foi et de la charité, et annonçant l’espérance chrétienne ?
Les témoignages reçus après sa mort ont un seul but : montrer la sainteté de l’homme en vue d’un procès de canonisation. Ce n’est qu’au détour de ces témoignages qu’on devine la sainteté, la vie chrétienne de tout son entourage.
Le curé d’Ars
Bien sûr, la pastorale du curé d’Ars, l’implication de toute sa personne a engagé sa prière dans le chemin de la sainteté. Et c’est en agissant ainsi qu’il est lui-même devenu saint.
On parle de lui en mentionnant la mission qu’il a reçue : « le curé d’Ars ». Son identité est donc d’être curé et sa sainteté est advenue parce qu’il a pleinement fait corps avec la mission confiée. C’est là le lieu de la sainteté pour un prêtre.
Jean-Marie Vianney est resté 41 ans dans le village d’Ars. Lorsqu’il est arrivé, il n’y avait que 230 habitants ! Au-delà de ce village, il devint, comme le dit Jean-Paul II, « le pasteur d’une multitude ». On venait de partout pour l’entendre et se confesser. Ainsi, en 1848, on parle de 80 000 personnes !
Une communauté missionnaire
Il est clair que cela ne s’est pas fait sans le soutien de toute une communauté. Bien sûr, c’est le charisme d’un homme et une vocation particulière. Mais c’est aussi tout un village qui a été bénéficiaire de l’action de son pasteur et l’a accompagné dans cette vocation. On vient à Ars pour rencontrer un prêtre, mais on découvre plus que cela : une communauté chrétienne qui prie et célèbre son Dieu. Le pèlerin va s’appuyer sur la foi des villageois, sur leur prière et leur charité.
Jean-Marie Vianney a su transformer ce village pour qu’il puisse à son tour le porter dans cette pastorale si particulière. De même, il a su transformer les pénitents qu’il rencontrait en évangélisateurs. Comment s’est répandu ce désir qui mettait les gens en route ? Les anciens pèlerins étaient devenus des missionnaires, des témoins de la miséricorde de Dieu.
Notre péché et la miséricorde de Dieu
La reconnaissance de notre péché, et plus encore de la miséricorde de Dieu, est le socle du dynamisme missionnaire des chrétiens.
Sans nul doute, c’est grâce à leur témoignage que d’autres se sont mis en route. Nous touchons là le premier point qui fait naître une communauté d’apôtres : se découvrir pécheur sous le regard miséricordieux de Dieu et confesser ce Dieu qui nous aime. Autrement dit, avoir fait l’expérience vitale que le Christ me sauve. Autrement dit encore, l’annonce de la Bonne Nouvelle, c’est annoncer que le Christ est sauveur et en témoigner.
Le curé d’Ars avait conscience de son péché et de la grandeur de la miséricorde. Et c’est précisément cette expérience qu’il a fait vivre aux chrétiens d’Ars. C’est ce que fait tout prêtre, d’abord en entendant l’appel de Dieu et en y répondant, mais aussi tout au long de son ministère. Ainsi, Jean-Marie Vianney a constitué autour de lui une communauté de croyants, priant, vivant des sacrements, et qui pouvait naturellement accompagner son curé dans sa mission particulière.
La source de sa générosité pastorale, c’est son amour du Christ. Il veut sauver les âmes qui lui sont confiées et les conduire au Christ.
La réconciliation et l’eucharistie
Jean-Paul II a noté que le curé d’Ars « orientait vers l’essentiel » : la réconciliation et l’eucharistie. La première, au confessionnal, occupait la plus grande partie de sa journée, mais la messe était le cœur de celle-ci et de toute la communauté villageoise.
Ainsi, il conduisait les pénitents réconciliés à l’union eucharistique. La ferveur des assemblées devait être traversée par la gratitude immense de ces centaines de pèlerins réconciliés avec Dieu. On devait sentir dans l’église d’Ars, mais aussi dans les rues du village, cette foi palpable qui est un don de Dieu et qui est la gratitude devant le salut donné ! On devait sentir la vérité de cette promesse : « Le royaume des cieux est tout proche ».
Il portait également une très grande attention à la prédication. Au cours de la messe, bien sûr, mais aussi pour les enfants du catéchisme, et on sait que beaucoup d’adultes, de pèlerins y participaient volontiers !
Enfin, soulignons aussi qu’il encourageait fortement l’adoration du Saint Sacrement.
La dimension missionnaire de la vie d’une communauté croyante.
Nous avons souligné le lien entre mission et réconciliation, et montré comment la conscience de notre péché pardonné par Dieu conduit à l’action de grâce et au désir de faire connaître et aimer le Christ sauveur.
De même, la participation à l’eucharistie, qui conduit à une compréhension intérieure, intime, du mystère eucharistique, conduit également à la louange, à la gratitude et au désir d’annoncer le Christ.
Ainsi, mieux saisir l’offrande du Christ, l’offrande de la croix, nous amène à rendre grâce et à faire connaître celui qui nous a tant aimés. Et aussi à entrer dans le même mouvement, celui de l’offrande, de la mort à nous-même.
L’eucharistie nous pousse à entrer dans le même don de nous-même, dans l’imitation de Jésus-Christ. Elle nous donne la force, la vitalité pour entrer effectivement dans cette oblation.
L’eucharistie, la liturgie, l’adoration sont des moments missionnaires. Ceci parce que les participants, par leur ferveur, leur prière, l’attitude de leur corps, l’expression de leur visage, expriment à leur insu ce qu’il y a dans leur cœur.
Dans la liturgie, nos corps révèlent de manière plus ou moins visible la mobilisation de notre âme. Nous n’y sommes pas immédiatement sensibles, mais la foi, la ferveur de ceux qui nous entourent nous soutient, nous stimule, nous encourage.
Sans le savoir, les pèlerins se portaient mutuellement témoignage, se soutenaient pour avoir la force d’aller se présenter devant le Seigneur à travers son humble serviteur, le curé d’Ars.
Nous voyons ainsi comment une communauté missionnaire naît à la fois d’un cœur à cœur intime de chaque croyant avec son Seigneur, dans la réconciliation, l’eucharistie, l’adoration. Nous comprenons aussi que la liturgie de ce corps rassemblé est elle-même missionnaire.
La dimension sociale
Je voudrais maintenant insister sur deux points : la grande capacité du curé d’Ars à s’appuyer sur les autres (prêtres, religieux, religieuses, laïcs, etc.) et la dimension sociale de sa pastorale.
Le curé d’Ars est aussi un homme d’action parce qu’il est un grand spirituel. Par exemple, il allait personnellement visiter les foyers, les familles et pouvait ainsi les accompagner et les inviter à une vie plus chrétienne, dans la miséricorde et le don d’eux-mêmes.
Il a pris également l’initiative de fonder une école de jeunes filles et une école de garçons. Même s’il était présent avec attention, en particulier pour le catéchisme, il s’est appuyé sur des religieuses et des religieux. A travers ces écoles, son but était comme aujourd’hui la croissance de toute la personne dans son humanité, sans oublier la dimension vitale de sa vie spirituelle.
C’est tout le corps ecclésial, dans la diversité des vocations, qu’il mobilisait au service de l’annonce de l’Evangile et du développement de toute la personne. Il ne cessait de confier l’amour des pauvres aux paroissiens. Lui-même venait à leur secours quand il le pouvait.
Il ne cessait aussi de sensibiliser à la mission universelle. Il faisait prier pour les missions, les missionnaires et invitait à les soutenir par une offrande.
Une de ses grandes qualités d’apôtre a été de mettre les autres en situation de participer à sa charge en leur confiant ce qui correspondait à leur vocation propre.
Enraciné dans sa communauté paroissiale
Le curé d’Ars, en invitant chaque paroissien à sa conversion personnelle, les a conduits à une vie chrétienne féconde, à rayonner de leur foi, de leur espérance, de leur charité. Ceci a transformé les familles et le village, mais aussi a été au service des nombreux pèlerins.
Resituer le curé d’Ars dans la communauté où il a été envoyé nous permet de le redécouvrir avec toute sa chaleur de pasteur et nous amène à comprendre que jamais il n’aurait pu accomplir son ministère unique sans les membres de sa communauté paroissiale.
évêque auxiliaire de Paris