Message du patriarche Sabbah : dialogue religieux avec l’islam et le judaïsme. Texte intégral en français de l’homélie du patriarche latin de Jérusalem, Michel Sabbah, lors de la messe de minuit en la basilique de la Nativité.
Frères et Soeurs
Monsieur le Président Mahmoud Abbas
1. Soyez le bienvenu avec tous vos compagnons dans cette vénérable basilique en cette nuit sainte. Pour vous, pour vos efforts pour arriver à la paix par les voies de la paix, nous demandons à Dieu de vous donner courage et persévérance dans la voie difficile que vous avez prise. Nous vous remercions pour votre choix, car il est le meilleur. A vous, grâce et paix.
Frères et Surs,
2. Je vous souhaite une sainte fête de Noël, pleine de la grâce et de la vie divine que l’enfant né á Bethléem est venu nous apporter. Noël veut dire l’entrée de Dieu dans notre histoire humaine : « le Verbe de Dieu prit chair et habita parmi nous ». Il est devenu l’Emmanuel, Dieu avec nous. Il a marché sur notre terre et est devenu pour chacun et chacune de nous un compagnon de route.
Il est le Verbe de Dieu. Il est la plénitude de l’être par qui tout a été fait, et sans lui rien n’a été fait » (Jn 1,3). Il est l’invisible : Nul ne l’a jamais vu ; le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître. Et de sa plénitude nous avons tous reçu (Jn 1,16-17). Noël c’est l’occasion pour nous, chaque année renouvelée, de mieux approfondir ce mystère de la présence de Dieu parmi nous, de notre union avec Celui, que « le Fils unique nous a fait connaître ». Noël nous rappelle que notre vie ne peut se faire sans cette relation permanente à la plénitude de l’être et de la divinité qui se manifeste à nous en cette nuit sainte dans l’Enfant Jésus.
Dans la joie de Noël aussi, nous nous rappelons que Dieu présent parmi nous a choisi notre terre pour sa demeure, une demeure humble, pour y vivre une vie offerte jusqu’à l’immolation. De condition divine, il s’anéantit lui-même prenant condition d’esclave et obéissant jusqu’à la mort et la mort sur la croix » (cf Philip 2, 6-7). Il s’est immolé pour nous redonner la vie abondante, et à tous sans distinction : car il est venu pour l’humanité. Toute personne humaine, de toute race, de toute nation et de toute croyance, est précieuse á ses yeux et pour elle il est venu.
3. Le message de Noël à notre Eglise de Jérusalem, 40 ans après le Concile Vatican II, est un message de vie nouvelle, spirituelle et religieuse, selon les divers documents conciliaires et les nouveaux horizons ouverts devant les croyants. Une vie nouvelle dans le dialogue avec les religions avec lesquelles nous vivons, avec l’islam et le judaïsme. Mais d’abord, un message de renouvellement de nous-mêmes, afin de mieux dialoguer, mieux connaître et nous faire connaître.
Afin de mieux dialoguer aussi avec toutes nos sociétés, avec leurs souffrances et leurs joies. Car le croyant est celui qui reste à l’écoute, d’un côté, il écoute ce que dit Dieu, comme le dit le psalmiste, ce qu’il dit dans l’Ecriture et dans les divers événements de notre vie, et à l’écoute, d’un autre côté, aux joies, aux souffrances et aux cris des peuples et de toute personne humaine.
Le message est un effort nouveau et persévérant afin que nous transformions notre vie en une marche constante devant Dieu, afin que nous sachions toujours voir la volonté de Dieu, sa Providence et son amour dans tous les événements de notre vie. Plusieurs ont répété en effet cette année encore : comment célébrer Noël et comment nous réjouir avec le mur, qui monte partout, étant réduits à vivre dans des prisons, nos terres confisquées, nos jeunes raflés dans les profondeurs de la nuit et jetés dans les prisons israéliennes, les morts qui tombent dans les diverses villes autour de nous et les clameurs de vengeance qui montent, en plus de l’instabilité et de l’insécurité dans notre propre société ? Comment avec tout cela célébrer et accueillir la joie de Noël ? Précisément pour tout cela, à cause de toute cette réalité de mort, nous avons besoin de la grâce de Noël pour la transformer en réalité de vie, afin de pouvoir faire face et rester vivants et croyants en Dieu aimant et juste, afin d’avoir le courage de voir en toute personne humaine, quelle qu’elle soit, l’image de Dieu, avec qui dès aujourd’hui il faut commencer à construire une vie nouvelle sur cette terre.
40 ans après le concile invitent toutes nos Eglises de Jérusalem à poursuivre notre effort pour l’unité et pour une marche ensemble malgré toutes les complications de nos situations, et les Eglises catholiques à continuer notre renouvellement commencé après notre Synode terminé en l’an 2000 et par lequel nous sommes arrivés au Plan Pastoral commun qui reste notre guide.
4. Le message de Noël enfin pour la situation de conflit que nous vivons, deux peuples et trois religions, est un message qui dit : paix à tous, malgré toutes les différences, nationales ou religieuses. Un message qui nous redit que tout homme est précieux aux yeux de Dieu son Créateur et que le sang toujours facilement versé en ces jours dans cette terre, le sang de la personne humaine, dans les deux camps, crie vengeance et monte jusqu’aux oreilles du Très-Haut.
Nous nous rappelons les victimes du terrorisme en Jordanie, il y a quelques mois, toutes les victimes du conflit ici en cette Terre Sainte, les victimes au Liban et en Iraq et du monde entier, mais surtout de toute notre région dont la paix dépend de celle de Jérusalem, la cité de Dieu et le coeur de l’humanité. A tous nous disons : Dieu est d’abord un Dieu d’amour. Il est le Père de tous sans distinction de race ou de religion.
Il nous créa tous á son image. Et nous, nous avons créé les barrières de race, de religion et de nationalité ; nous avons ainsi limité notre capacité d’aimer et de construire ensemble et nous avons augmenté notre capacité de mort. La dignité humaine, est une valeur fondamentale. La religion aussi. La liberté aussi, et l’indépendance et la souveraineté. Mais des abus et des injustes, en plus d’un faux concept de la religion, de la nation, de la race et de la souveraineté, ont transformé tout cela en facteurs de mort. Et ce n’est pas pour cela que nous sommes crées. Ce n’est pas pour cela que nous construisons des pays indépendants et souverains. Tous les responsables et les chefs dans les gouvernements de ce pays ont l’obligation de trouver le moyen de ne pas sacrifier la personne humaine, sa vie ou sa dignité, pour des exigences de sécurité.
5. Avec Noël, en cette nuit sainte, nous prêtons attention à la volonté israélienne qui recherche la sécurité par les diverses actions militaires. Nous prêtons attention à la volonté palestinienne qui demande la fin de l’occupation et la liberté complète. Noël dit à tous: paix, sécurité et justice sont possibles.
Un nouveau paysage politique israélien et palestinien semble se dessiner quoique avec des contorsions et des hésitations multiples. Si nos chefs ont une volonté sincère et décidée, ils peuvent, s’ils le veulent, faire de ce temps que nous traversons un moment de grâce. Arrêt complet de toute violence, de toute vengeance, libération des prisonniers politiques, arrêter le passé pour un moment, pour permettre à un avenir nouveau de commencer, pour créer une terre nouvelle dans laquelle les curs nouveaux assureront, mieux que les murs et les autres actions militaires, la sécurité des Israéliens et produiront pour les Palestiniens la fin de l’occupation et la liberté.
Aux chefs de nos deux peuples dans cette terre sainte, à vous Autorités Palestiniennes ici présentes, à vous chefs d’Israël, Noël dit : les voies de cette terre sanctifiée par Dieu sont les voies de la paix, basée sur la justice et l’égalité entre les deux peuples, aucun supérieur à l’autre, aucun soumis à l’autre. Les deux égaux en dignité, en droits et en devoirs.
« Ne crains pas Jérusalem, dit le Prophète, Dieu est en toi » (Soph 3,17). Nous souhaitons voir le jour où personne n’a peur, personne ne reste recherché, personne ne triomphe aux dépens de l’autre, personne n’exclut l’autre : car Dieu est dans la ville pour sauver et rétablir la dignité de tous, parce que tous, Israéliens et Palestiniens, nous sommes sa créature et l’uvre de ses mains.
6. Frères et surs, ici présents, et dans tout notre diocèse, Palestine, Israël, Jordanie et Chypre, à tous les habitants de cette Terre Sainte, juifs, chrétiens, musulmans et druzes, aux prisonniers dans leurs prisons, aux malades, à tous ceux qui souffrent et sont sacrifiés dans les divers conflits de cette région, à tous ceux qui prient avec nous dans le monde entier, nous demandons à Dieu pour tous l’abondance de la grâce et de la paix et une Heureuse et sainte fête de Noël.